La rumeur Skam est arrivée en France tout en douceur, vers la fin 2016. Par le bouche à oreille d’abord, alors que l’engouement pour la série se répand sur le net et que les communautés du web rassemblent leurs efforts pour traduire les épisodes, jusqu’à ce que Skam se fraie un chemin jusque dans les médias. Lancée en 2014, la série est un franc succès en Norvège, son pays d’origine, et une quatrième saison est déjà en préparation. Retour sur cette nouvelle pépite scandinave.
Si les séries scandinaves nous ont jusqu’ici habitués à des thrillers ambitieux et sombres, Skam nous invite à Oslo et nous plonge en immersion dans le quotidien d’une bande de lycéens qui, entre émois amoureux, soirées arrosées et journées à l’école, construisent peu à peu leur identité. Chaque saison se concentre sur l’un des personnages principaux en adoptant son point de vue de bout en bout. Jusqu’ici, Skam nous a ainsi fait découvrir Eva, Noora et Isaak, tous trois confrontés à des passages de transition dans leurs vies respectives.
La comparaison avec les déchirures adolescentes de Skins est sur toutes les lèvres, et en effet Skam reprend de nombreux codes caractéristique du teen drama : des parents majoritairement absents, des jeux de pouvoirs entre les cliques lycéennes et des moments poignants de crise identitaire. Mais si le propre de la série culte britannique est de tendre vers la noirceur pour exploser en vol dans un climax final souvent tragique, Skam déjoue les attendus et s’avère à la fois optimiste et brutalement honnête. Les amitiés comme les relations amoureuses se nouent et se dénouent sans drames et les crises se résolvent alors que les personnages luttent et grandissent à travers ce qui n’est ni plus ni moins qu’une immersion ultra réaliste dans les aléas de leur vie.
Couleurs pastels et jeux de lumières
L’ensemble de la série déploie une esthétique diaphane ; des lumières douces de soleil froid subliment les corps de ces acteurs aux visages frais qui ont le même âge ou quasi que les personnages qu’ils incarnent avec justesse. La série joue sur les codes avec humour, déployant sans hésiter, de manière presque touchante, des procédés de mise en scène parfois aussi cools et clinquants que le dernier iPhone mais qui ne manquent pourtant pas d’efficacité. Les ralentis –qui ne déplairaient probablement pas à un certain Xavier Dolan- pullulent notamment à travers les épisodes, que ce soit à travers les soirées qui rythment la vie des personnages ou lorsque ces derniers arrivent en bande quelque part. Certaines scènes sont visuellement saisissantes. On pense par exemple au baiser échangé par deux personnages clés au fond d’une piscine, référence directe au Roméo + Juliette de Baz Luhrman. Les jeux de lumière et de couleurs autour de ces portraits adolescents ne sont pas sans rappeler le travail de Gia Coppola, la réalisatrice de Palo Alto (2013), ou les photographies éthérées de Petra Collins.
Une esthétique du quotidien
Skam donne toute leur importance aux activités banales, aux petits gestes. Les personnages font la vaisselle après une soirée, mangent à la cantine, scrutent leurs écrans dans l’attente d’un message qui n’arrive pas, et ça n’est jamais ennuyeux de les regarder exister. La série prend le temps des scènes longues, qui occultent pour un instant l’efficacité narrative propre au format de la série pour laisser vivre et respirer les personnages devant nos yeux.
Les écrans et la technologie prennent sans surprise une grande place au sein de la série, et chaque épisode est rythmé par les tintements et vibrations des notifications. Les personnages communiquent par Skype, passent du temps à s’appeler ou à traîner sur Internet. Certains des échanges les plus forts émotionnellement se font via les SMS qui apparaissent à l’écran et qui sont d’une rare vraisemblance. La façon dont apparaissent ces communications est révélatrice de l’absence totale de condescendance des créateurs de la série envers la jeunesse.
Skam bénéficie de plus d’une BO réjouissante qui résonne justement avec les goûts musicaux des jeunes personnages et spectateurs. Lorde, The Weeknd, Tame Impala, London Grammar ou encore l’inattendu Je veux te voir, de Yelle, sont ainsi au rendez-vous.
Une série pensée pour Internet
La stratégie transmedia ultra immersive développée par Skam l’inscrit fermement dans les enjeux contemporains de la création télévisuelle. Si les épisodes de la série sont diffusés sur la chaîne publique norvégienne NRK P3, c’est sur le web qu’ils trouvent un premier espace de disponibilité, les épisodes télévisés étant en réalité la somme de plusieurs clips dévoilés au cours de la semaine sur Internet. La série déploie dès lors une temporalité qui lui est propre à travers ces moments de vie entrecoupés d’ellipses. Le procédé est d’autant plus immersif que les clips vidéos sont publiés sur le net aux mêmes dates et heures qui les introduisent en lettres capitales jaunes, sans que les spectateurs ne soient prévenus en avance des horaires de diffusion.
A l’ère de la consommation massive de contenu vidéo, cette stratégie de diffusion renforce l’impression que ces clips sont des tranches de vie nous donnant un accès direct aux personnages, un peu comme si quelqu’un les filmait en live continuellement. Par ailleurs, le site regroupant les différents clips (dont la durée varie de 5 à 15 minutes) donne aussi un accès direct à des captures d’écran de textos que s’envoient les personnages entre les épisodes. Chaque personnage possède également un compte Instagram à son nom dont le contenu alimente encore l’espace fictif de la série sur le web.
Skam, à la fois série et websérie, est dès lors très représentative des nouveaux modes de consommation. C’est à travers Internet que des fans y ont accès à l’internationale, et c’est ce mode de diffusion ultra rapide, privilégié par la jeunesse habituée au streaming, qui permet de rassembler aussi massivement autour de la série. Même si la stratégie transmedia n’est pas une nouveauté dans le paysage audiovisuel, elle contribue grandement au succès grandissant de Skam.
Un regard frais sur le monde
Les thèmes abordés à travers le prisme de l’ultraréalisme typique de la série participent également à l’engouement général. Il est en effet facile de s’identifier aux personnages de Skam et à leurs problèmes quotidiens, qu’on soit en train de traverser la même période qu’eux ou qu’on l’ait connue par le passé. Le véritable point fort de la série, c’est de parvenir à traduire l’adolescence dans sa dimension universelle tout en s’attaquant à des problématiques contemporaines ancrées dans l’actualité.
Les personnages se construisent et se questionnent par rapport à leur avenir, à leur place au sein du groupe, aux émotions qu’ils ressentent et aux idéaux qui leur tiennent à cœur. Ils ne sont pas idéalisés ; comme tout un chacun ce sont des êtres complexes et nuancés qui dévoilent tour à tour leurs forces et leurs failles. A travers ses personnages, la série aborde sans détours de nombreuses thématiques : la sexualité, la tolérance, la religion, le féminisme, la violence ou encore la maladie mentale, sans jamais verser dans le pathos ou l’exagération.
Les réflexions des uns trouvent écho chez les autres, et c’est à travers de longues discussions que les protagonistes résolvent les conflits extérieurs ou intérieurs et déconstruisent les préjugés. La série prône ce qui manque peut-être parfois le plus dans notre réalité : la communication. Ce qui en ressort, c’est une bienveillance diffuse et un regard frais sur le monde.
Si aucune diffusion française n’est envisagée pour le moment, une adaptation américaine de la série est déjà prévue sous le nom de Shame et sera probablement plus accessible dans le reste du monde. Reste à voir cependant si cette adaptation conserve la fraîcheur de la série d’origine, ou si elle perd tout son charme à l’image de la version américaine de Skins.