SOCIÉTÉ

Clémence Le Bozec : « La presse jeune a besoin de soutien face aux tentatives d’étouffement de nos paroles »

Réseau qui fédère des milliers de journalistes jeunes en France, Jets d’encre était invité à venir échanger avec les rédacteurs du magazine lors des Journées Maze. La place des journalistes jeunes en France, leurs droits, leur avenir, leurs revendications : Clémence Le Bozec, présidente du réseau, a répondu à nos questions.

Jets d’encre, “association nationale pour la promotion et la défense de la presse d’initiative jeune”, c’est votre sous-titre. Mais concrètement, qu’est-ce que vous faites ?

Concrètement, nous avons pour mission de fédérer, valoriser et défendre les journaux faits par des jeunes qui ont entre 11 et 25 ans. Cela concerne tous les jeunes qui s’expriment dans un journal au collège, au lycée, à la fac, dans leur quartier ou leur ville, sur format papier ou en ligne. Nous organisons des événements nationaux, tels que le festival Expresso, qui est LE grand rendez-vous annuel de la presse jeune : il faut s’imaginer 300 jeunes réunis pendant un week-end pour écrire un journal en 15h, nuit blanche comprise ! Entre autres, nous avons également créé un concours national, Kaléïdo’scoop ; et nous proposons des ressources et formations pour les journalistes jeunes qui souhaitent bénéficier de l’expérience de leurs pairs.

Le journalisme d’initiative jeune, ça représente combien de personnes et combien de médias en France ?

Jets d’encre est en contact avec près de 300 rédactions jeunes, c’est-à-dire environ 3000 journalistes jeunes à travers toute la France. Mais ces chiffres ne représentent pas l’ensemble de la presse jeune : il est impossible de toucher toutes les rédactions existantes tant leur diversité est importante, d’autant que les journaux jeunes ont souvent une durée de vie assez courte.

Quelles sont les différentes formes de journalisme jeune ?

Les journaux jeunes varient selon le cadre de publication, le mode de diffusion, la périodicité, les moyens utilisés, la ligne éditoriale, le lectorat, etc. Entre une publication reconnue par la structure éditrice, et un journal géré en complète autonomie par les jeunes, il y a une pluralité de formes de journalistes jeunes, et de manières de vivre son activité de journaliste jeune. C’est ce qui fait toute la richesse du journalisme jeune.

Les participants au festival Expresso 2016, qui a réuni plus de 300 journalistes jeunes de toute la France.

Les médias en ligne se sont-ils beaucoup développés ces dernières années ?

Les journaux en ligne ne sont pas un phénomène récent, mais il s’agit en effet d’un phénomène qui prend de l’ampleur. Encore une fois, Jets d’encre n’est pas représentative de l’ensemble de la presse jeune, mais on observe que le format numérique attire de plus en plus de journalistes jeunes de nos réseaux.

Le journaliste jeune en France a-t-il un statut ? Des droits ? Des moyens de se défendre ?

Comme tous citoyens, les jeunes disposent d’un droit d’expression qui est inscrit, entres autres, dans la Déclaration des Droits de l’Homme, dans la Convention internationale des droits de l’enfant et dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Ce cadre règlementaire est donc propice au développement d’une presse jeune, libre et responsable.  Les journalistes jeunes peuvent de plus se retrouver dans la Charte des journalistes jeunes, code déontologique de la presse jeune créé en 1991 à l’occasion d’un rassemblement national de journalistes jeunes. Je ne sais pas s’il y a un statut de journaliste jeune, mais il y a un mouvement dans lequel tous les journalistes jeunes peuvent se reconnaître. L’une des missions de Jets d’encre est d’ailleurs de leur faire prendre conscience de leurs droits pour qu’ils puissent s’en emparer et les défendre.

« Il y a un mouvement dans lequel tous les journalistes jeunes peuvent se reconnaitre. »

Les médias d’initiative jeune sont pour partie installés dans des cadres scolaires et universitaires. Y a-t-il des risques de censure ?

Nombre de rédactions fédérées par Jets d’encre ont déjà fait face à des résistances par rapport à la création du journal, à la publication d’un article ou à l’identité du directeur de publication : il y a donc bien des risques de censure et donc d’autocensure. C’est pour prévenir ces risques que l’association a créé un service d’assistance juridique, « SOS Censure », qui apporte aide et conseils, voire médiation, aux journalistes confrontés à ces résistances.

Jets d’encre a beaucoup travaillé autour du projet de loi “égalité et citoyenneté”. Vous pouvez nous en dire un petit peu plus ?

La loi Égalité citoyenneté modifie l’article 6 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse de façon à permettre aux mineurs de 16 ans révolus d’assumer la responsabilité de publication. Il s’agit en fait d’une des propositions du plaidoyer de Jets d’encre : le droit de publication était auparavant réservé aux seuls jeunes de plus de 18 ans, et aux lycéens grâce à un contexte dérogatoire. Cela signifie par exemple que les mineurs qui créaient un journal dans leur quartier ou leur ville devaient demander à un adulte d’assumer la direction de publication. Élargir ce droit à tous représente une avancée pour laquelle nous militions depuis au moins 2013 !

Un mot sur la carte de presse jeune, que vous avez créée ? À quoi sert-elle ?

La carte de presse jeune est le support qui représente symboliquement l’adhésion à la Charte des journalistes jeunes. Jets d’encre la délivre gratuitement à tous les journalistes jeunes qui adhèrent à l’association : elle est un lien symbolique entre tous les journalistes jeunes qui se reconnaissent dans le code déontologique de la presse jeune. C’est donc aussi un gage de crédibilité pour tous ses détenteurs.

Que reste-t-il à conquérir politiquement sur le terrain du journalisme jeune ?

Notre livre blanc « Quel avenir pour la presse jeune », publié en 2014, comporte 25 propositions : la loi Égalité et citoyenneté répond à deux d’entre elles (droit de publication et droit d’association pour les mineurs), mais il reste encore de nombreux objectifs à atteindre. Par exemple, il reste encore beaucoup à faire sur le terrain de la prise en compte de la presse d’initiative jeune dans le débat public : nous travaillons à ce que la presse jeune locale soit davantage invitée aux événements organisés par les acteurs publics (conférence de presse, inauguration, interview), au même titre que les médias professionnels. La presse jeune a également encore besoin de soutien face aux tentatives d’étouffement de la parole des jeunes, aux difficultés à faire reconnaître le cadre réglementaire, et au manque de moyens mis à disposition des jeunes.

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