CINÉMA

Quelques minutes après minuit – Il était une fois la vie

Depuis quelques années la presse n’a cessé de chercher un héritier à Steven Spielberg. Furent ainsi désignés J. J. Abrams (Super 8) puis Jeff Nichols (Midnight Special). Pourtant pour ceux qui avaient vu les deux premiers films de l’espagnol Juan Antonio Bayona (L’orphelinat et The Impossible) l’heureux élu était naturellement tout trouvé. Avec son approche de l’imaginaire et de l’enfance tourmentée, Quelques minutes après minuit ne fait que confirmer l’évidence.

L’imaginaire comme évasion

Dans les films traitant de l’enfance, le recours au fantastique est une longue tradition. Avec Quelques minutes après minuit aucun doute ne subsiste quant à la nature du monstre, un arbre. Dès sa première apparition il est clairement définit comme une projection du subconscient tourmenté de Conor O’Malley. C’est la manifestation d’un préadolescent maltraité par ses camarades et qui doit faire face au cancer dégénératif de sa mère. Ce prolongement est d’ailleurs incarné par un jeu entre le premier et l’arrière plan, respectivement l’enfant et le fantastique.

Dans un premier temps l’imaginaire est donc un refuge, un moyen d’échapper à son cauchemar futur, le deuil inévitable. Cela passe par des petits contes racontés par le monstre avec rois, sorcières et dragons. L’art appelle l’art : les trois principales apparitions du monstre sont précédées d’un croquis, d’un lecteur DVD et d’un carnet de dessins. Son existence est donc étroitement liée à ce besoin d’imaginaire.

Mais très vite cette première approche du fantastique parait limitée. Nous comprenons qu’il s’agit en réalité pour l’enfant non pas d’une évasion, mais d’une solution à son mal être.

L’appel du monstre – Copyright 2015 A Monster Calls A.I.E. / Quim Vives

L’imaginaire comme remède au réel

La réalité, ou ce que nous croyons l’être, est un leurre, un simulacre. Seule le passage par la narration, la fiction permet d’accéder et de révéler la vérité de notre condition humaine. C’est en passant par l’imaginaire que nous pouvons savoir qui nous sommes au fond de nous. Avant de raconter ses histoires, le monstre prend d’ailleurs la peine de fermer les yeux de Conor. Il faut qu’il fasse abstraction du monde, supposé réel, pour mieux voir la vérité que lui montre les contes. Ce réel douloureux que Conor essaie de cacher est justement l’épreuve du deuil. Le lien étroit entre la créature et la mort est même incarné visuellement dès son premier éveil, en le filmant en contre plongée avec une stèle.

Conor et le monstre, une seule et même personne – Copyright 2015 A Monster Calls A.I.E. / Quim Vives

Cette vérité dont le personnage doit faire face est nuancée, ambiguë et non manichéenne. Les contes racontés poussent l’enfant à percevoir le monde dans toute sa complexité, au-delà des frontières entre le bien et le mal.

Cet apprentissage commence dès la projection du film King Kong de 1933. Alors que le singe est narrativement un personnage négatif (il représente un danger meurtrier qu’il faut abattre) c’est pour lui qu’est portée toute notre empathie. Personne ne peut être que bon ou mouvais. Cette leçon devra être appliquée par Conor pour lui-même et ceux qui l’entourent.

L’espèce de l’arbre n’est pas un détail, il s’agit d’un If qui est reconnu pour ses effets thérapeutiques. Le monstre, le fantastique et l’art en permettant l’accès à notre vérité, permettent de guérir nos blessures les plus intimes. Notons que le film prend la peine à plusieurs reprises de détruire une église. Il écarte ainsi l’idée que la guérison du deuil passe par le dogme religieux. En cela Quelques minutes après minuit est résolument païen.

Conor et sa mère – Copyright 2015 A Monster Calls A.I.E. / Quim Vives

L’imaginaire comme moteur émotionnel

Toute cette dialectique sur l’importance vitale de l’imaginaire ne serait rien sans compter la charge émotionnelle dévastatrice du film. Toute la symbolique développée s’adresse avant tout à nos émotions plutôt qu’à notre intellect.

La première partie du film aurait eu tendance à laisser émerger une certaine déception. L’histoire et les personnages sont déroulés en nous laissant émotionnellement sur le bord de la route. Mais c’est à partir d’une scène pivot (la destruction cathartique) que l’on se rappelle toute la maîtrise de la narration de J.A. Bayona et son scénariste Patrick Ness. Jusque là ils se consacraient à poser les pièces du récit, les unes après les autres. Sans que l’on ne s’en rende compte, notre identification aux personnages et aux enjeux étaient mis en place malgré nous.

Dès lors, Quelques heures après minuit nous fera l’effet d’un raz de marée émotionnel. Il parvient à soulever des piliers intimes de nos vies sans que l’on ait à fournir le moindre effort. Un silence déchirant, un échange de regard ou un contre champ suffisent à nous faire basculer. Quelle que ce soit votre expérience de la vie, de la maladie ou de la mort le film a de grandes chances de vous terrasser.

Avec une telle maîtrise de l’émotion (forte mais toujours digne), avec une telle justesse du regard sur la jeunesse, nul doute que la relève de Steven Spielberg soit toute trouvée.

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