LITTÉRATURE

La chanson amère de Leïla Slimani

« Ô le joli conte que voilà » chantait Henri Salvador dans son titre célébrissime intitulé Une Chanson douce. En revanche, la Chanson douce de Leïla Slimani n’a rien d’un joli conte. Ce roman ayant reçu le Prix Goncourt 2016 narre en effet l’histoire d’une nounou qui assassine les deux enfants dont elle a la garde.

Chanson douce est le second roman de Leïla Slimani, une journaliste et écrivaine franco-marocaine. Son premier roman paru en 2014 aux éditions Gallimard, Dans le jardin de l’ogre, raconte l’histoire d’une journaliste nymphomane et est sélectionné dans les cinq finalistes pour le prix de Flore 2014. Mais c’est en 2016 que le travail de l’auteure sera primé avec l’obtention du Prix Goncourt pour Chanson douce (Gallimard) face à L’autre qu’on adorait de Catherine Cusset (Gallimard), Cannibales de Régis Jauffret (Seuil) et Petit Pays de Gaël Faye (Grasset) qui obtiendra le Prix Goncourt des lycéens 2016.

Entre fait divers et fiction

C’est en lisant un fait divers dans la presse -l’histoire d’une nourrice portoricaine qui a tué les enfants qu’elle gardait aux États-Unis-, que Leïla Slimani compose son intrigue. L’histoire se déroule à Paris dans une famille de classe moyenne avec deux enfants, Mila et Adam. Comme dans un fait divers, un genre pour lequel l’auteure a un intérêt particulier, le roman commence par le drame : la découverte par la mère puis par les policiers des enfants, du sang, des traces de lutte et de la nourrice (qui survivra) dans le petit appartement parisien. La nounou s’appelle Louise, elle est française et tombe à pic pour Myriam, maman à plein temps qui souhaite reprendre sa carrière d’avocate et s’épanouir en tant que femme active. Louise semble parfaite, appréciée par les parents, adorée par les enfants, ne comptant pas ses heures, également femme de ménage et cuisinière à l’occasion… La nounou prend de plus en plus de place au sein de la cellule familiale et devient vite indispensable. À travers une longue analepse, Leïla Slimani nous raconte la vie de Louise, marquée par les dettes, les humiliations, la solitude et les déceptions. Ce personnage de nourrice qui donne la mort et non la vie, comme l’étymologie du mot le suggère (du latin nutrix, « celle qui nourrit l’enfant »), est particulièrement complexe. C’est un personnage déchiré entre un amour profond pour les enfants qu’elle garde et ses propres traumatismes, un personnage tour à tour touchant et inquiétant, attachant et détestable.

Un conte social

Leïla Slimani a vécu au Maroc, un pays où les familles aisées ont un personnel varié qui travaille et vit au sein de la famille. Dans ce roman, elle s’interroge sur cette situation particulière, ce rapport à la fois professionnel et intime entre des personnes appartenant à des classes sociales différentes, autant dire à deux mondes bien séparés. L’auteure questionne aussi la place de la femme au sein de la société française, tiraillée entre sa carrière professionnelle et l’éducation de ses enfants. Enfin, les rapports de classes, de cultures et les préjugés qui leurs sont liés sont évoqués à travers une peinture du « milieu » des nounous, qui sont pour la plupart en situation précaire. Cette fiction regroupe donc diverses problématiques actuelles.

À l’égal de Tchekhov que l’auteure cite comme l’une de ses principales influences, Leïla Slimani ne juge jamais ses personnages, elle se contente d’apporter des faits et des témoignages pour étayer l’intrigue sans aucune interprétation hâtive. La narration est parfaitement maîtrisée et le lecteur est pris dans cette histoire haletante dont le suspense est poignant alors même que le dénouement est évident. Si l’écriture est précise, froide, tranchante et incisive (la nourrice tuera les enfants à coups de couteau), elle est paradoxalement douce et aimante parfois, tout comme le personnage de Louise à la personnalité ambiguë.

Je suis Finistérienne, étudiante en master de littérature comparée et animatrice radio à Rennes. J'écris pour la rubrique littérature de Maze Magazine et participe ponctuellement à Maze Radio - Rennes.

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