ARTSOCIÉTÉ

Art et politique – L’engagement dans le milieu artistique : une notion dépassée ?

Qu’est-ce qu’un artiste engagé aujourd’hui ? Du cinéaste Ken Loach récompensé à Cannes à la signature d’une tribune dénonçant le dénigrement médiatique de François Hollande, en passant par le contournement de la censure par le cinéaste iranien Jafar Pahani, cette question semble bien large. Selon les temps et selon les lieux, les définitions diffèrent.

En 2016, les artistes peuvent être engagés en choisissant de produire des œuvres à consonance politique. L’un des films qui a marqué l’année est sans conteste Moi, Daniel Blake. Son réalisateur Ken Loach est défini comme le « social worker » du cinéma anglais. Ses films se caractérisent par une approche très réaliste et orientée vers le social : le cinéaste choisit de décrire le quotidien des plus pauvres. Il dénonce les dysfonctionnements de la société britannique et dénonce les injustices que subissent ceux dont on entend pas la voix.

Cette façon de s’engager n’est pas nouvelle dans le milieu artistique, la question de l’engagement politique de l’oeuvre était déjà soulevée par Sartre au XXème siècle. Dans un autre registre, le mystérieux graffeur Banksy est un artiste engagé qui choisit d’exprimer ses opinions anti-capitalistes et qui a également dessiné sur le mur de Gaza séparant Israéliens et Palestiniens.

Photo : MOHAMMED ABED / AFP

Ils peuvent être considérés comme engagés pour le choix même d’oser être artiste dans certains contextes politiques. En Iran où la censure imposée par le régime est encore très forte pour les œuvres artistiques, choisir de créer malgré cela peut être en soi considéré comme un engagement de l’artiste. Le réalisateur Jafar Pahani a été confronté à la censure, emprisonné et interdit de tournage. Cela ne l’a pourtant pas empêché de tourner en secret le film Taxi Téhéran, ce qui lui a valu le qualificatif de « cinéaste résistant ».

En Syrie, un collectif de cinéastes syriens a choisi de s’engager par le biais artistique. Le site Abounaddara publie des court-métrages décrivant la société syrienne dans le contexte de la guerre.

Ils peuvent aussi porter un engagement politique qui n’a pas forcément de rapport avec leur production personnelle, en choisissant de soutenir un candidat politique, ou de signer une tribune. Mais ce dernier type d’engagement semble être perçu comme illégitime et doit faire face en tout cas à des critiques de plus en plus nombreuses.

Un exemple assez récent est celui de la tribune signée par une soixantaine de personnes et publiée dans Le Journal du Dimanche pour dénoncer le dénigrement médiatique de François Hollande. Parmi les signataires, de nombreux artistes dont Catherine Deneuve et Benjamin Biolay. Si l’engagement des artistes pour un candidat est une sorte de rituel depuis les années Mitterand, cette tribune a provoqué un bad buzz. Le texte en lui-même parle plus d’économie que de culture avec des termes plutôt techniques, et ressemble à un texte écrit par un responsable politique. La dimension spontanée de la démarche a été remise en question, et beaucoup n’y ont vu qu’une opération de communication menée par l’Elysée en sous-main. Le Ministère de la Culture a nié toute intervention.

Aux États-Unis le soutien massif d’Hollywood et du monde artistique de façon plus large pour Hillary Clinton a été utilisé contre elle par Donald Trump. Dans un contexte où l’on évoque un divorce entre le peuple et les élites, ces engagements d’artistes pour des politiciens et non plus des causes est perçu comme un symptôme de la déconnexion des artistes des réalités.

Meryl Streep lors d’un meeting en faveur d’Hillary Clinton, le 26 juillet 2016. Photo : J. Scott Applewhite/AP/SIPA

Il est intéressant de noter tout de même que les artistes ont longtemps été associés à la marginalité et relégués au banc de la société. S’ils sont aujourd’hui considérés comme des membres de l’élite, c’est une tendance qui s’inscrit dans un contexte plus large de fracture entre le monde politique et la population.

Secrétaire générale de la rédaction du magazine Maze. Provinciale provençale étudiante à Sciences Po Paris. Expatriée à la Missouri School of Journalism pour un an. astrig@maze.fr

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