Le 16ème sommet de la Francophonie s’est tenu à Antananarivo du 22 au 27 novembre 2016, autour du thème de la croissance partagée et du développement responsable. C’est un retour sur la scène internationale pour la Grande Île, longtemps tenue à l’écart des organisations mondiales dont elle était membre, après une crise politique en 2009. Une véritable opportunité pour le gouvernement malgache, prêt à tout pour donner au pays l’image d’une nation exemplaire.
La sécurité est à la hauteur des normes internationales, la circulation en ville est fluidifiée et en un rien de temps, les bidonvilles ont laissé place à des bâtiments innovants et des routes flambant neuves. Pour la première fois depuis des années, un semblant de stabilité semble avoir touché Antananarivo et c’est aujourd’hui une capitale métamorphosée qui a accueilli les délégations du monde entier. Mais à quel prix ?
Une population déclarée indésirable
A l’appel : 34 chefs d’Etat, 11 premières dames, 37 ministres des Affaires étrangères mais nulle ombre d’un tireur de pousse-pousse, d’un marchand ambulant, ni même d’un sans-abri. Dans la capitale, c’est une véritable opération cache-misère qui a été orchestrée par les organisateurs et les pouvoirs publics. Mise en place de jours chômés pour les travailleurs et suspension de l’enseignement pour les élèves et étudiants : « tout le monde reste à la maison », et la consigne est non négociable. Mais les mesures liberticides ne s’arrêtent pas là. Le port de vêtements usagés sera aussi sanctionné, tout comme la circulation des troupeaux, des charrettes, des chars à bras et des deux-roues, considérés comme « fauteurs d’embarras de circulation ». Un arrêté du ministère des Transports et de la Météorologie, qui vise principalement les travailleurs les plus démunis. Véritable opération pour fluidifier le trafic ou mesures pour occulter certaines facettes de la capitale ? Le ministère de la Population malgache préfère parler lui « d’assainissement et de sécurisation de la ville » et les autorités s’y attellent sans relâche pour dresser un cadre idéal autour de ce sommet.
Une équipe investie jour et nuit
Totalement impliqué dans son rôle, le pays hôte n’a pas hésité à former et à mobiliser toute une équipe, et ce sont les ouvriers qui sont les premiers à en pâtir. Plusieurs chantiers ont été lancés dans la capitale, et c’est un véritable défi majeur pour les entreprises de construction qui ont mis à l’œuvre des milliers d’ouvriers jour et nuit pour sortir de terre et dans les temps, les infrastructures qui ont accueilli les délégations mondiales.
Les forces de l’ordre ont aussi été sollicitées pour travailler de nuit, en contribuant à l’évacuation des sans-abris de la capitale. Depuis le 14 novembre 2016, une nuée d’enfants et de nombreuses familles démunies sont embarquées toutes les nuits à bord d’un camion, et conduites vers des centres d’accueil en périphérie, à l’abri des regards.
Côté sécurité, ce sont 2500 militaires, policiers et gendarmes qui ont été recrutés pour l’arrivée massive des participants de haut rang, tandis que sur le plan médical, les autorités réclament la mobilisation d’un personnel médical important, qui devra être disponible à 100 % et à tout moment. Conséquence : les grands hôpitaux d’Antananarivo ont été contraints de fermer leurs blocs opératoires, et reporter les opérations chirurgicales programmées.
Des familles délogées au profit du Village de la Francophonie
Parmi les grands travaux entrepris dans la capitale pour l’accueil du sommet figure la construction du Village de la Francophonie, qui comprend neufs grands bâtiments flambant neufs divisés en deux parties : une première qui a hébergé tous les pays de l’OIF, et une deuxième où se sont installées les boutiques des artisans. Mais pour certains, la construction de ce village s’est faite dans la douleur : de nombreuses familles de fonctionnaires ont dû renoncer à leurs habitations, injustement détruites pour céder la place à ces nouvelles infrastructures. Pire encore : elles se sont vues retirer leurs maisons sans aucune indemnisation de l’Etat, alors qu’une attribution de logement était mentionnée dans les contrats. Une information pourtant démentie par le gouvernement, qui affirme sa possession des terrains et accuse les documents d’être falsifiés.
Pour fêter son grand retour, le gouvernement malgache a vu les choses en grand : un total renouveau de la capitale mais aussi de grosses dépenses engendrées, qui ne profitent pourtant qu’à une minorité. Béatrice Atallah, présidente de la Conférence ministérielle de la francophonie parle d’un « grand rendez-vous convivial et productif, empreint de l’authenticité malgache ». Difficile de savoir si l’authenticité malgache fait référence à la beauté de l’île et de la culture de ses habitants ou aux pratiques contestables bien connues du gouvernement entre corruptions, vols et abus de pouvoir. Difficile aussi de croire à une ville placée sous haute sécurité quand on sait que les habitants vivent au quotidien dans la crainte, impuissants face aux insécurités qui s’intensifient un peu plus chaque jour dans la capitale. Et au milieu des réjouissances autour de ces routes nouvellement construites, on oublie trop souvent de mentionner l’état des routes nationales à la limite de l’impraticable, ou encore des familles victimes de délestages électriques presque quotidiennement alors que des dépenses conséquentes ont été engendrées pour assurer l’illumination des rues d’Antananarivo pendant le sommet. Un retour sur la scène internationale prématuré ? En tout cas une chose est sûre : Madagascar est encore bien loin de cette utopie que son gouvernement cherche à construire.