SOCIÉTÉ

Quand les chiffres se trompent…

Sous le choc, nous assistions le 8 novembre dernier à la victoire du candidat républicain Donald Trump aux élections présidentielles américaines. Un événement inattendu, si on se fie aux sondages qui, pour la plupart, prédisaient sa défaite. Comment expliquer l’écart entre les sondages, qui excluaient une présidence Trump en 2017, et la réalité amère à laquelle nous devons finalement faire face ?

Ce 8 novembre dernier, nous avons été nombreux à remplir les bars tout plein d’espoir, une bière à la main, pour visionner les élections présidentielles américaines, cet événement historique qui allait être déterminant pour l’avenir des États-Unis et pour le reste du monde. Remplis de rage et d’incompréhension, nous avons eu du mal à digérer la triste victoire de Donald Trump, qui s’est progressivement imposée à nous. Tandis que les sondages prédisaient la victoire d’Hilary Clinton, une présidence Trump paraissait effectivement inatteignable et impensable. Et pourtant, sa victoire n’est pas un cauchemar duquel on se réveille un peu étourdis, elle est une sombre réalité à laquelle il faut tenter de s’adapter. Mais comment expliquer l’erreur des instituts de sondages qui annonçaient pour la plupart la victoire d’Hilary Clinton ? Peut-on dorénavant faire confiance aux chiffres ?

Élections américaines 2016 : quelles étaient les prédictions ?

La grande majorité des sondages qui ont été réalisés pour les élections présidentielles américaines de 2016 prévoyait la victoire d’Hilary Clinton avec plusieurs points de pourcentage d’avance tout au long de la campagne. Parmi les nombreux instituts de sondage qui ont tenté de prédire les élections de 2016, les plus connus restent Bloomberg Politics, ABC News et FOX News.

En juin 2016, Bloomberg Politics accordait à Hilary Clinton 12 points de pourcentages d’avance sur Donald Trump. Quelques mois plus tard en octobre 2016, Clinton avait toujours 9 points d’avance sur Trump. Des avantages considérables, donc, et qui ne laissaient aucune chance à Donald Trump de remporter les élections. Quelques jours avant les élections et après le scandale des e-mails d’Hilary Clinton découverts par le FBI, cette dernière menait toujours la course avec 3 points de pourcentage d’avance, selon Bloomberg Politics. De la même manière, ABC News donnait 8 points d’avance à Hilary Clinton en août, 12 à la mi-octobre et 3 quelques jours avant les élections. Quant à FOX News, bien qu’il accordait 1 point d’avantage à Trump au milieu du mois de septembre, il donnait l’avantage à Clinton au mois d’octobre avec 7 points d’avance, ainsi qu’à la veille des élections avec 4 points d’avance.

De manière générale, la victoire de Clinton faisait donc consensus auprès des instituts de sondages. C’est ce dont témoigne le site Real Clear Politics, qui présente une moyenne de tous les sondages effectués par plusieurs instituts tout au long de la campagne. On y retrouve sensiblement les mêmes résultats que ceux qui viennent d’être présentés, soit entre 3 et 8 points de pourcentage d’avance pour Hilary Clinton de août 2016 à la veille des élections. Tout au long de la campagne, les différents sondages ont donc entretenu l’idée qu’une victoire républicaine était impensable et improbable. Tous se sont trompés, puisque Donald Trump l’a remporté avec 290 grands électeurs, contre seulement 232 pour Hilary Clinton. Comment expliquer une telle erreur de prédiction ?

Comment expliquer l’erreur des instituts de sondages ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer l’erreur commise par les instituts de sondages qui ont avancé la victoire de la démocrate. D’une part, les sondages ne prétendent pas donner une prédiction précisément exacte des résultats électoraux. Généralement, les instituts n’interrogent qu’entre 800 et 3 000 individus à chaque étape de la campagne. Seuls quelques instituts sondent à grande échelle, à hauteur de 20 000 à 70 000 individus. Un sondage n’est donc par nature pas représentatif de tout l’électorat, et ce n’est pas un fait caché. D’ailleurs, c’est bien pour cela que la plupart des instituts affichent une marge d’erreur comprise entre 1 % et 4 % du pourcentage prédit pour chaque candidat. Une marge qui paraît suffisamment élevée pour faire basculer le résultat des élections, et donc pour commettre une telle erreur de prédiction.

D’autre part, cette erreur peut être la conséquence de la honte que peut représenter un vote en faveur de Donald Trump – c’est le vote shaming. Ce dernier a été si négativement dépeint dans les médias du fait de son programme conservateur, qu’adhérer à ses idées est devenu une honte dans la société. L’électeur pro-Trump apparait comme un individu raciste et misogyne, au même titre que l’est Donald Trump lui-même. Par conséquent, il convient de suggérer que les partisans de Trump n’aient peut-être pas souhaité révéler leur réelle préférence lorsqu’ils ont répondu à des sondages. Pour autant, ils ne se sont pas empêchés de voter pour leur candidat favori. De cette façon, ses électeurs auraient faussé les sondages réalisés tout au long de la campagne. Cette honte potentielle d’une partie de l’électorat républicain peut donc être à l’origine de l’écart entre les sondages et la réalité.

Faut-il faire confiance aux sondages d’opinion ?

Il n’est probablement pas judicieux de placer une confiance aveugle dans les sondages d’opinion, puisqu’ils peuvent commettre des erreurs et comporter des biais apparents, comme en témoignent les élections américaines de 2016. Cependant, on ne peut nier qu’ils restent un outil performant d’analyse des élections présidentielles.

Bien que les sondages des élections américaines de 2016 n’aient pas prédit la victoire de Donald Trump, ils ne se sont pas tant éloignés de la réalité en ce qui concerne le pourcentage de voix des électeurs. Le mode de scrutin états-unien implique que le candidat qui sort victorieux des élections en termes de grands électeurs n’est pas forcément celui qui a obtenu le plus de voix populaires. Justement, ce fut le cas des élections de 2016 : alors que Donald Trump a remporté le plus grand nombre de grands électeurs, il a obtenu environ 2 millions de voix populaires de moins que sa concurrente. En pourcentages, cela se traduit par à peu près 48 % des voix pour Hilary Clinton contre à peu près 46 % des voix pour Donald Trump, soit environ 2 points de pourcentage de plus pour la candidate démocrate. Sachant que les derniers sondages donnaient un peu plus de 3 points de pourcentage d’avance à Hilary Clinton, leurs prédictions se sont finalement révélées proches de la réalité en termes de voix populaires.

D’autre part, il faut garder à l’esprit que les sondages sont réalisés par des experts qui manipulent des outils quantitatifs élaborés et complexes. Un champ disciplinaire entier est consacré aux études quantitatives en science politique et il serait incorrect de le négliger. Bien qu’il faut être prudent avec l’utilisation et l’interprétation des chiffres dans un contexte électoral, ceux-ci restent un outil performant, et s’inscrivent dans une approche positiviste qui a sa place et sa valeur en science politique.

De la complémentarité des approches

Les élections présidentielles sont si complexes que leur analyse requiert la mobilisation d’outils supplémentaires. En effet, que l’on veuille ou non faire confiance aux sondages d’opinion, il est certain qu’ils ne sont pas suffisants pour analyser les élections présidentielles. L’approche positiviste dans laquelle ils s’inscrivent nécessite d’être complétée par une approche constructiviste (ou interprétative), qui privilégie la recherche d’une interprétation de la réalité qui va au-delà de l’usage des chiffres.

Une approche constructiviste ne pourrait prédire des résultats électoraux comme le font les sondages d’opinion, et c’est en cela qu’elle est intéressante. Une telle approche prendrait en considération la multiplicité des expériences, et donc la diversité des raisons du vote. L’usage d’une approche constructiviste permet par exemple, dans le cas des élections de 2016, de s’intéresser à la catégorie des hommes blancs âgés qui ont voté pour Donald Trump, et de comprendre la raison de leur vote en fonction d’un grand nombre de facteurs. Cette approche est donc absolument nécessaire pour interpréter et analyser les élections présidentielles. Par conséquent, bien que les chiffres sont performants pour mettre en lumière des comportements politiques et pour prédire des résultats électoraux, il convient de les compléter avec des interprétations qualitatives plus poussées.

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