Le Labyrinthe, Divergente, Hunger games, Twilight… Tous ces noms de films doivent vous dire quelque chose. Si l’on met de côté le dernier, qui appartient plutôt au genre fantastique, tous ont un point commun évident. Lequel ? Ils sont tous considérés comme des dystopies. Et tous visent un public relativement jeune, situé quelque part entre l’adolescence et le début de l’âge adulte.
[NDR : Cet article, discutant des intrigues de certains de ces films, contient des spoilers ]
Une dystopie peut être définie comme étant une contre-utopie, soit une histoire se déroulant dans une société imaginaire, futuriste, et ne fonctionnant pas aussi bien qu’on pourrait le croire. Il s’agit souvent d’un univers post-apocalyptique, qui permet de repartir sur des bases prétendues saines, et qui renforcent la hiérarchie d’une société qui, en l’occurrence, pèse par trop sur les individus. Ce genre est en fait une critique de l’utopie, et vise à révéler tout ce qu’elle pourrait avoir de mauvais dans ses désirs de perfection.
Le héros comme événement perturbateur
En effet, dans Le Labyrinthe, Divergente et Hunger games, la population est divisée en castes ou districts ; chacun a sa place, tout doit suivre un certain ordre. Mais bien évidemment, un beau jour un jeune trouble-fête décide que non, il ne trouve pas sa place dans ce monde et refuse de jouer selon les règles. Jeune, disons-nous, car il s’agit effectivement d’une littérature centrée sur des adolescents, pour des adolescents.
On a ainsi affaire au schéma classique du roman d’initiation : le lecteur a accès aux événements à travers un héros ou une héroïne dont on suit le parcours dans un monde qu’il ne comprend pas, ce qui permet de s’y identifier plus facilement : on découvre cet univers nouveau avec lui.
Mais ce qui fait souvent l’intérêt de l’histoire et fait figure d’élément déclencheur, c’est la révélation d’une différence avec ses semblables ; porteur d’une anomalie (le caractère divergent qui empêche de rentrer dans une caste définie pour Tris, l’imperméabilité de son esprit aux pouvoirs des vampires pour Bella, des souvenirs étranges d’une autre vie pour Thomas…), le héros ne rentre pas dans le moule et finit par se rebeller contre le système étouffant qui veut l’éliminer. Car bien évidemment, ces sociétés-là n’aiment pas le désordre et préfèrent supprimer la différence que se repenser calmement.
La rébellion a alors lieu à cause d’un élément interne, déjà présent en le personnage, et souvent à son insu. Le système est bien rejeté car il est montré injuste sous une apparence d’harmonie. On touche là à un questionnement éternel sur la meilleure manière d’organiser une société et qui pourrait être traité de manière subtile et délicate à l’image de la situation, mais… non. A cela est préféré une situation manichéenne, avec un héros presque seul contre tous, et surtout montré comme le premier à vouloir changer les choses. Car entendons-nous bien ; avant lui, durant les dizaines voire centaines d’années ayant conduit à un tel monde, personne n’avait voulu ou pu bousculer les choses. Et c’est ainsi qu’à 17-18 ans un petit jeune, portant souvent un regard frais presque naïf sur le monde, arrive à renverser tout un système.
Ces héros sont-ils vraiment des exemples ?
Soit, ces histoires nous montrent de vrais héros, au caractère extra-ordinaire, et on peut toujours croire que c’est la ténacité de Katniss (Hunger games), de Tris (Divergente) et de Thomas (Le Labyrinthe) qui entraîne tout le reste et parvient à leur faire déclencher et mener une cascade de rébellions. Ces personnages sont exemplaires et se posent comme autant de modèles à suivre. Mais c’est malheureusement toujours esquissé sur le modèle-type du « suis ton cœur », ton instinct, ta nature. Même lors de choix cornéliens, tout obligés qu’ils sont, les héros ne peuvent être blâmés de leur décision finale. A la fin du premier Hunger games, Katniss refuse de choisir selon les règles du jeu, et elle a bien de la chance que Panem cède sous la pression. Mais il y a fort à parier que si elle avait choisi de tuer ou de se laisser tuer, et pas de menacer les organisateurs d’un double suicide sans vainqueur, son choix aurait de toute façon été accepté par le spectateur, car il s’agissait d’un réel dilemme, sans véritable bon choix ; se laisser mourir aurait été un beau geste de sacrifice, mais d’un autre côté, refuser de le faire permettait de pouvoir nourrir et protéger sa famille plus longtemps. Grâce à ces sortes d’échappatoires scénaristiques, telle une troisième option miraculeuse qui s’offre à la manière d’un deus ex machina, il est rare de pouvoir blâmer un héros de ce genre à cause d’une action moralement condamnable. Ce qui prime est la loi de la nécessité, qui finit elle-même par gouverner le héros. Hollywood commence un peu à creuser cette dimension univoque du personnage moralement infaillible dans ses films de super-héros, mais cela s’inscrit dans une volonté de le rapprocher du spectateur et non pas dans une tentative de révéler le pouvoir que monsieur tout le monde tient déjà dans ses mains.
En effet, le héros est humanisé pour qu’on s’y attache. Mais même si, tout comme le public, il est rempli de doutes et d’étonnement quant au monde qui l’entoure, il reste difficile de s’identifier réellement à lui. Car sa condition sort de l’ordinaire ; s’il se dresse contre le monde, c’est presque sans le choisir et le vouloir, grâce à des capacités innées. Bella de Twilight n’a pas choisi d’être imperméable aux attaques psychiques, Thomas du Labyrinthe demeure un rat de laboratoire aux mouvements anticipés par le programme qui l’a élevé, et il devient bien difficile de distinguer ce qu’il a choisi de faire de lui-même de ce qui a été calculé au préalable par les scientifiques. Ce genre de protagoniste incarne donc un modèle dont on peut rêver pour s’évader, mais qu’on ne peut pas suivre. Ces exemples ne racontent pas comment remettre en question notre monde, la société, de l’intérieur, en en étant un membre capable de réfléchir sur lui-même et ce petit univers confortable, mais comment un vrai héros, grâce à une faculté extraordinaire, innée, grandit et sauve le monde. Il ne s’agit pas réellement d’un monsieur tout-le-monde, intérieurement faillible et corruptible, et quelquefois impuissant et malchanceux.
Plutôt qu’une réflexion, c’est une évasion qui nous est proposée
Si l’on doit qualifier cette nouvelle littérature, qui succède à une longue lignée d’œuvres dystopiques du XXè siècle en y immergeant des adolescents, ce serait plutôt comme échappatoire que comme fiction engagée. Ces héros sont créés ainsi pour attirer les jeunes lecteurs ; « et si j’avais quelque chose de spécial, moi aussi ? » pourrait-on se demander, à l’image du jeune garçon/de la jeune fille qu’on était il y a quelques années, se demandant si l’on recevrait bientôt notre lettre de Poudlard.
A la manière de Brecht, on pourrait peut-être aussi déplorer un cruel besoin de rêver, une impression persistante du spectateur moyen d’être bien impuissant et bien incapable de changer les choses dans la société à laquelle il appartient. Ainsi déclarait-il dans La Vie de Galilée, en 1938 : « malheureux, le pays qui a besoin de héros ». Malheureux les hommes qui s’en remettent à un hypothétique pouvoir supérieur qu’incarnerait un héros choisi et fait par le destin. Cette idée, pourtant empreinte d’humilité, refuse cependant toute liberté et toute efficacité à nos actions. A ce moment-là, à quoi bon essayer de changer les choses par soi-même ? Autant aller se vider l’esprit dans une salle obscure, un cornet de pop-corn à la main.
Ce qui est surtout dommage, c’est que ces blockbusters, puisqu’il faut les appeler par leur nom, ne vont en fait pas au-delà de ces caractéristiques qu’on leur reproche bien trop souvent : l’objectif reste plutôt de divertir que de faire réfléchir, et on privilégiera les scènes d’action et le rythme, capables de nous hypnotiser pendant deux heures assis dans un fauteuil, à une réelle réflexion de fond.
Le blogueur L’Odieux Connard vous le montrera : souvent, même le plus simple des films manque cruellement de cohérence, à tel point que son scénario, au bout de deux minutes de relecture, semble souvent ridicule. Allez jeter un coup d’œil à ses critiques, si vous ne les connaissez pas déjà et que son ton particulier ne vous rebute pas. Non seulement est-il très perspicace, et très doué pour nous faire réfléchir un peu au pouvoir happant du cinéma, mais son humour décapant, s’il oblige une condamnation sans appel de films tout compte fait médiocres, est aussi très efficace.
Les dystopies et mondes fictifs sont indubitablement à la mode dans les médias pour jeunes adultes : serait-ce le signe d’une lassitude générale de notre société, vue comme injuste et insuffisante ? Le genre n’est pourtant pas nouveau et remonte à près d’un siècle, tandis que sa première face, incarnée par l’utopie, est encore plus ancienne. Mais malheureusement, à travers ces tentatives répétées de nous faire réfléchir à ce qui nous entoure et ce qui fait de nous ce que nous sommes, les plus gros succès restent ceux rencontrés par ces films enthousiasmants, certes, mais qui ne parviennent, au mieux, qu’à nous frapper d’effroi un instant jusqu’à la résolution finale de l’histoire. Rassurés par l’issue de cette fiction déroutante, il ne nous reste plus qu’à rentrer chez nous, soulagés que de telles horreurs demeurent des projections bien éloignées de nos vies, de nos gouvernements, et de nos sociétés.