SOCIÉTÉ

Travailleurs détachés : vers une réforme du statut ?

La France a haussé le ton ces derniers mois contre la directive européenne de 1996 définissant le cadre juridique des travailleurs détachés, accusée de favoriser le « dumping social ».

Qu’est-ce qu’un travailleur détaché ?

Selon la définition officielle donnée par l’Union Européenne, un travailleur détaché est « un  salarié envoyé par son employeur dans un autre État membre de l’UE en vue d’y fournir un service à titre temporaire », à ne pas confondre avec les travailleurs mobiles qui eux s’intègrent au marché du travail d’un autre État membre en vue de trouver un emploi. Ainsi, un prestataire de service qui remporte un contrat dans un autre État peut dépêcher des employés sur place afin d’exécuter le contrat.

Ce qui est actuellement reproché à la directive « Bolkestein », c’est d’offrir aux travailleurs détachés des conditions sociales moins favorables que les conditions normales du pays d’accueil. En l’occurrence, le débat porte sur les cotisations sociales versées à ces travailleurs étrangers qui sont calquées sur le pays d’origine. Il est donc plus tentant pour un employeur de se tourner vers cette main d’œuvre au détriment du travailleur national, d’où les accusations de concurrence déloyale (dumping social).

« Les travailleurs détachés ne sont pas des travailleurs de seconde classe »

Marianne Thyssen, la commissaire à l’emploi et aux affaires sociales, fervente défenseure d’un projet de revalorisation de la directive, exige que les droits de ces travailleurs venant généralement de pays européens dits « low-cost » soient alignés sur les régimes des travailleurs locaux. Les travailleurs détachés bénéficient déjà d’un « noyau dur » des droits en vigueur dans le pays d’accueil, parmi lesquels figurent le salaire minimum, la durée des congés payés, les périodes maximales de travail et minimales de repos.

La commissaire plaide désormais pour des règles de rémunération tout à fait égales « pour un même travail dans un même lieu ». S’ajouterait alors à la directive de 1996 le droit des travailleurs détachés aux bonus, aux primes d’ancienneté, au 13ème mois, aux tickets-restaurant, de bénéficier des accords de conventions collectives, ainsi qu’une transparence dans leur rémunération. Par ailleurs, cette dernière doit être égale au salaire du travailleur national, pas seulement au SMIC.

Orbán et l’Est vent-debout

La bataille est cependant loin d’être gagnée : le texte doit obtenir une majorité qualifiée au Conseil et au Parlement européen. Or, onze pays frondeurs – la plupart d’Europe de l’Est – ont utilisé la procédure dite du « carton jaune » pour contester le droit à la Commission de statuer sur le sujet. Ces pays sont la Roumanie, la Slovaquie, la Pologne, la République Tchèque, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Croatie, la Bulgarie, le Danemark, menés par la Hongrie de Viktor Orbán qui dénonce un manquement à la libre circulation de leurs travailleurs, liberté fondamentale de l’Union Européenne. Comble de l’ironie pour un anti-européiste convaincu que de se baser sur les rudiments de l’Union, mais il faut dire que cette directive rogne en effet sur ses intérêts : la main d’œuvre de l’Est perdrait l’avantage compétitif dont elle bénéficie aujourd’hui.

Le Front National et le Parti de Gauche, deux extrêmes sur l’échiquier, en ont fait un argument de campagne. Il faut dire qu’en 2014, la France comptait aux alentours de 200 000 travailleurs détachés dans l’agriculture, les abattoirs ou principalement le secteur du BTP, se faisant ainsi le 2ème pays qui en accueille le plus en Europe derrière l’Allemagne. Ce dumping social européen n’est pas sans dérives : début septembre, une entreprise du BTP a été accusée d’avoir fraudé l’Urssaf pendant un an grâce à une boîte d’intérim fantoche extra-territoriale basée au Portugal afin de n’embaucher que des salariés destinés au travail détaché. C’est contre le développement de ce type de pratique que Myriam El-Khomri s’est déplacée à Bruxelles le 9 septembre pour tenter de convaincre ses homologues européens de la nécessité d’un alignement de traitement par le haut entre travailleurs locaux et détachés.

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