Il sortait un nouvel album en mars dernier, travaillait une nouvelle fois avec le cinéaste Christophe Honoré sur le film Les Malheurs de Sophie. Son morceau Au Départ fut l’hymne de campagne de François Hollande en 2012… Nous avons voulu en savoir plus sur la façon de travailler de l’auteur-compositeur-interprète qu’est Alex Beaupain. Rencontre.
Votre cinquième et dernier album se nomme Loin, pourquoi avoir choisi ce nom ?
Traditionnellement pour mes albums je choisis toujours le titre d’une des chansons de l’album. Il y a deux écoles, il y a ceux qui mettent leurs noms et puis c’est tout, il y a ceux qui font un truc un peu conceptuel en se disant « tiens, ça va être marrant de faire une phrase qui n’a rien à voir ». Moi je choisis un titre de chanson et j’essaie de choisir un titre qui résume un peu ce que j’ai essayé de raconter dans l’album. En l’occurrence l’album là il est un peu rétrospectif, mélancolique diront certains. C’est un album avec des chansons bilans. Cette chanson Loin raconte que je suis loin de pleins de gens que j’aimais et qui ne sont plus là, de pleins de garçons que j’étais, que je ne suis plus mais qui me constituent aujourd’hui. Voilà, je trouvais ça marrant d’utiliser le terme loin qu’on emploie souvent pour parler de distance mais pour parler du temps. Après je trouve que le mot est court et très joli. J’ai eu des titres d’albums assez longs (Après moi le déluge, Pourquoi battait mon cœur) Je trouvais qu’il y avait quelque chose d’efficace et de très français dans Loin. Je trouvais ça poétique, tout simplement.
Vous utilisez l’adjectif « mélancolique » pour parler de votre album, ce n’est pas du tout ce que l’on a ressenti à l’écoute, on l’a même trouvé plus joyeux que les autres.
Ça doit être la musique qui fait cet effet. C’était un peu voulu aussi. Si j’ai voulu produire l’album mais ne pas écrire toutes les musiques, c’est parce que j’avais écrit beaucoup de musique cette année (musique de film, un livre disque). J’étais un peu rincé au niveau de mon inspiration musicale. Et c’est plus compliqué pour moi de me renouveler sur l’inspiration musicale. Les textes, ça vient plus facilement. Je suis allé chercher d’autres gens et je leur ai demandé, à la fois à eux et aux arrangeurs que j’ai choisi, d’aller vers une direction un peu « up-tempo » (ndlr : Terme employé dans le jazz indiquant un tempo au-delà de 180 bpm). Je voulais jouer sur ce contraste entre des textes mélancoliques et une musique plus sautillante, quelque chose qui soit dans une énergie différente de ce que je pouvais faire avant. C’est ce qu’on dit de la pop souvent. La pop, c’est peut-être ça : des textes qui semblent rien au début, des musiques sur lesquels on a envie de danser. Puis en fait quand on écoute vraiment les chansons, on se rend compte que c’est triste ce que raconte les Beatles, Etienne Daho…
Vous avez travaillé avec Vincent Delerm, Julien Clerc et d’autres, comment ça se passe de travailler avec quelqu’un d’autre ?
C’est des rencontres. Je ne travaille qu’avec des gens avec qui j’ai envie de travailler, souvent parce que j’admire leur travail ou quelque chose dans leur travail. Pour ce qui est de Julien Clerc ou de la Grande Sophie, ce sont des gens avec qui j’avais déjà travaillé. Je savais qu’il était possible d’écrire des chansons avec eux. Comment ça se passe ? Ça se passe très simplement. En ce qui me concerne, j’ai vraiment besoin de la musique pour écrire dessus, j’ai besoin d’écrire en chantant pour que ça fonctionne. Je leur demande donc des musiques, pour que je puisse écrire dessus. Et après on se rend très vite compte si ça marche ou pas. On ne peut pas le théoriser. De toute façon ce sont des métiers où on fait, des métiers très empiriques. Quand je me retrouve avec une musique de Julien qui m’inspire quelque chose, un sentiment, qui m’amène quelque part alors je chante dessus. Le texte s’écrit de cette façon-là. Après ça peut marcher ou non, et ça c’est le miracle. C’est toujours un petit miracle d’écrire une chanson.
Vous avez déjà beaucoup travaillé avec Christophe Honoré pour les bandes originales de ses films, dont le dernier, Les Malheurs de Sophie. Qu’est-ce qui vous plaît dans son travail ? Comment réfléchissez-vous aux compositions pour ses films ?
Ce qui me plaît, c’est que Christophe a du style comme cinéaste, c’est un genre de cinéaste. Il fait des choses très différentes d’un film à l’autre. Il passe des Biens aimés, comédie musicale avec Catherine Deneuve à une adaptation des Métamorphoses d’Ovide avec des acteurs non-professionnels. Ensuite il fait un film pour enfant pour lequel il embauche – en dehors des acteurs avec lesquels il a l’habitude de travailler –, Muriel Robin. Qu’on aime ou pas ce qu’il fait, sa force de proposition m’intéresse. Je trouve qu’il a du talent, je l’admire, c’est mon ami mais je suis toujours flatté quand il me demande, parce que j’attends toujours qu’il me demande. Ce qui m’amuse, c’est d’être obligé de faire quelque chose de différent à chaque fois. Pour Les Malheurs de Sophie, dès le début on a senti qu’il allait falloir beaucoup de musique.
Il n’y a que deux chansons et beaucoup de musique instrumentale. Dans un film pour enfant, à la fois pour l’enfant acteur et l’enfant spectateur, je pense que c’est important qu’il y ait beaucoup de musique instrumentale. Avec Christophe c’est toujours intéressant. Il se pose beaucoup de questions. Il ne laisse pas la musique aux musiciens, en se disant que ce n’est pas son domaine de compétences… Il demande des choses très précises. Les arrangements on les a définis ensemble. On a fait une musique des années 70 avec un mélange de vieux synthé, de cordes comme on pouvait en entendre, nous, quand on regardait des films pour enfants. Et puis ce qui m’intéresse, c’est les problématiques rencontrées en cours de route. Par exemple, là on est sur une musique de films pour enfant, on commence à travailler. Je lui propose des choses qui lui conviennent jusqu’au moment où il me dit « Dans ce que tu as fait on sent que tu écris la musique comme un adulte qui regarderait les bêtises de ses enfants, c’est-à-dire que ta musique est amusée des bêtises qu’ils font, un peu au-dessus, un peu en regard, en surplomb, on a l’impression qu’elle dit que c’est pas grave ce qu’ils font ». Et il me dit qu’il ne faut surtout pas faire ça. Et c’est intéressant parce qu’on se rend pas forcément compte, on se dit que c’est pour des enfants, que ça ira bien mais en fait pas du tout. Je me dis alors qu’il a raison, qu’il faut être en empathie avec les enfants, il faut que ce soit grave ce qu’il se passe ; ce n’est pas parce que c’est des enfants qu’il faut négliger cela. Christophe est très exigeant et il me pousse à faire des choses que je n’aurais pas faites sinon, j’ai l’impression que je m’améliore quand je travaille avec lui.
Cette impression de vous améliorer, d’acquérir une compétence supplémentaire, l’avez-vous retrouvée dans le travail que vous avez fait avec Isabelle Monnin pour son livre album Les Gens dans l’enveloppe ?
Ce n’était pas la même chose avec Isabelle, je faisais un truc que j’avais l’habitude de faire. Faire un album de chansons, faire chanter des gens qui n’étaient pas du métier, à la fois des actrices, des vrais gens qu’on a choisi de faire chanter. J’ai été en terrain connu, pas en terre inconnue. Pour autant, la décision que j’ai prise c’était de réaliser seul cet album là pour me mettre en danger à un moment. La musique du film de Christophe c’était quelque chose que je n’avais jamais fait. Pour le livre album, ce que je n’avais jamais fait, c’est le projet en lui-même. Mais le projet vient d’Isabelle.
Vous mêlez pas mal les influences artistiques. Vous parlez de Van Gogh dans votre dernier album ; comment ça vous vient, quelles sont vos inspirations ?
Ça vient comme ça, parfois. Ce n’est pas un travail de bureau d’écrire des chansons… Je dis ça parce que dans mon métier je travaille parfois sur des projets où je dois tenir des plannings ; quand je fais une musique de film, j’ai des impératifs de rendu par exemple. Quand je fais des albums je suis un peu plus libre, j’écris mes chansons et quand je trouve que j’en ai assez, je rentre en studio pour faire un album. Là l’inspiration elle vient souvent des films, des expos, de ce que je vois, je lis ou j’entends de beau. C’est ça qui me donne envie d’en faire. Après je n’y arrive pas forcément. Mais je sais qu’au moment où je me mets à un piano c’est souvent parce que j’ai entendu une chanson que j’aime beaucoup. Pour Van Gogh, j’avais déjà une musique faite par Victor Painblanc qui m’accompagne sur scène à la guitare. Je ne savais pas tellement quoi en faire. Puis un jour, je revois le film A nos amours de Pialat dans lequel le cinéaste a cette irruption à la fin d’un repas de famille où il parle des derniers mots de Van Gogh. Parait-il que les derniers mots de Van Gogh auraient été « la tristesse durera toujours ». Quand Pialat dit que ce n’est pas le peintre qui est triste mais les autres qui sont obligés de faire des choses pas drôles pour vivre qui sont tristes, ça m’a parlé. Ça m’a donné envie de faire une chanson ironique sur moi – je me prends pas pour Van Gogh, je ne suis pas encore complètement zinzin encore – mais comme j’écris des chansons qu’on trouve un peu triste on m’imagine comme un type sordide qui se balade dans les cimetières toute la journée. Je suis pourtant très heureux de ma vie, je la trouve exaltante, et souvent je trouve que c’est les autres qui n’ont une vie pas facile, ou triste. Ce qui inspire, c’est de voir des choses inspirantes.
Au moment de l’écriture en tant que telle, comment ça se passe, quand vous avez la musique, vous réécrivez plusieurs fois vos textes ?
Les musiques je les écoute d’abord beaucoup, quand on me les donne ou que je les écris moi. Sans doute que ça murit de façon inconsciente, que des choses viennent. Par contre, quand je me mets au travail je ne suis pas du tout mystique, il n’y a pas de processus de transe ou autre. Bon, des fois j’écris des chansons bourré mais je suis plus bourré qu’en transe, je pense. Mais quand je m’y mets ça prend deux ou trois heures. Sans papier, sans ordinateur, je suis avec la musique en play-back ou au piano, et je chante. Quand ça marche pas, sauf quand c’est une commande, je laisse tomber, je jette. Peut-être que c’est de la paresse mais je ne crois pas ; je travaille beaucoup, parce que ce métier m’amuse. Je laisse tomber parce que je sens qu’on va entendre dans les paroles ou dans ce que je raconte que c’est forcé. Je jette quand je pense que ça ne va pas être intéressant.
François Hollande avait choisi votre morceau Au départ pour accompagner sa campagne de 2012 en tant qu’hymne, le regrettez-vous aujourd’hui ?
Non, c’est idiot de regretter. Je l’ai donné avec les espoirs que j’avais en lui, pas avec le bilan que j’imaginais. Sinon on ne vote plus jamais pour personne. (rires) Oui, je suis déçu, mais je ne regrette pas. Après à la question « est-ce que vous le referiez aujourd’hui ? » : ma réponse est non. J’ai toujours voté à gauche, toujours socialiste, depuis que je vote, c’est à dire 1993 ; au moment où ils me demandent la chanson en 2012, je leur dit que c’est étrange parce que c’est quand même une chanson sur la désillusion que vous apportez quand vous arrivez au pouvoir… Donc prenez là si vous voulez mais écoutez ce qu’elle raconte ! Après je me suis beaucoup posé la question, savoir si c’était la place des chansons. Il y a tellement de gens dans ce métier qui ne disent plus rien – je ne suis pas un rebelle ni rien – mais cet espèce de discours qui consiste à dire que « moi la politique je m’en occupe pas » et quand il s’agit de gueuler sur les impôts ça y va… non je ne regrette pas, je trouvais ça cohérent par rapport à comment je votais, qui j’étais à ce moment-là. Par contre aujourd’hui je regrette qu’il n’ait pas écouté la chanson (rires). Il va falloir qu’il se trouve un autre troubadour pour 2017…
L’inauguration du festival Mythos a été interrompue par des intermittents du spectacle qui manifestait contre le projet de loi travail et qui dénonçait la précarisation de leurs professions. Qu’en pensez-vous et comment est-ce que vous vous positionnez par rapport à leurs combats ?
Soyons clairs, je soutiens leurs combats. Ce qui me gêne toujours c’est que… ça va les vexer… mais ces gens sont censés faire partie de la CGT spectacle. Comment se démerdent-ils à chaque fois qu’ils interviennent, à la télévision, aux Césars, pour que ce soit toujours aussi ennuyeux et inefficace ? Pourquoi ils ne mènent pas d’actions spectaculaires ? Je les soutiens complètement mais c’est dommage qu’en face, Gattaz ou le MEDEF soient plus spectaculaires qu’eux dans leurs actions… Si vous n’êtes pas foutus, vous les artistes, de mettre en scène vos revendications pour qu’elles aient une portée, qui pourra le faire ? Sur le fond je suis d’accord, sur la forme je trouve ça dingue, c’est leur métier…
Pour revenir sur votre travail artistique, comment arrivez-vous à traduire le contraste entre vos chansons et votre musique, sur scène ?
Je parle pas mal sur scène, je martyrise mes musiciens en les présentant, j’essaie d’établir un rapport avec le public en faisant des blagues. J’essaie de faire en sorte que ce ne soit pas la messe. J’essaie d’avoir cette petite ironie.
Comment on va chercher et travailler avec une chanteuse comme Camélia Jordana qui a fait la nouvelle Star, avec tous les a priori qu’on peut avoir sur les artistes qui sortent de ce genre d’émission ?
Globalement je n’ai pas d’a priori dans la vie, sinon il y a plein de choses que je n’aurais pas faites. Alors Camélia c’est super simple. Il a existé un magazine sur la chanson française, ça a duré un an, ça s’appelait Serge. Et ce magazine organisait des soirées à la flèche d’or à Paris et Camélia (elle aimait beaucoup les films de Christophe Honoré) est invité à faire un set de huit chansons. Je me retrouve à chanter sur scène Avant la haine avec Camélia, le magazine avait su qu’elle aimait cette chanson. J’entends sa voix. Et là, il n’y a plus de questions à se poser. Je cherchais depuis longtemps une fille pour chanter cette chanson avec moi. Après ça s’est fait naturellement, je lui ai proposé qu’on enregistre et qu’on la mette sur mon disque et on l’a fait. Je n’ai pas beaucoup d’a priori sur les émissions comme la Nouvelle Star ou la Star Academy. Cela me dégoûte pas trop. A l’époque où Camélia ou Julien Doré en sortait ce n’était pas formaté, on sentait qu’il y avait encore un truc… sincère.