CINÉMA

Kubo et l’Armure magique : les yeux grands ouverts

Deux des cinq films qui ont le plus marché financièrement cet été sont des films d’animation numérique : Le Monde de Dory et Comme des Bêtes. Pendant ce temps Kubo et l’Armure magique, avec son animation artisanale image par image, est passé presque inaperçu. Mais d’un point de vue artistique, la stop motion a t-elle encore sa place face à l’animation par ordinateur ?

À l’origine, le cinéma est un tour de magie : mettre bout-à-bout une série de pictogrammes pour donner l’illusion du mouvement et donc rendre vivant ce qui ne l’est pas. Avec cela, Georges Méliès nous a appris que nous pouvions rendre réel l’imaginaire. C’est cette magie que ressuscite l’art de la stop motion. Sous des mains expertes, une simple poupée ou boule de pâte à modeler (la spécialité du studio anglais Aardman) prend vie sous nos yeux.

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Copyright Universal Pictures Spain

Orgie visuelle

Dans l’histoire de la stop motion, ce Kubo et l’Armure Magique représente un réel tour de force. L’animation des marionnettes, crées grâce à une imprimante 3D (une habitude pour ce studio Laika depuis L’étrange pouvoir de Normal), n’a jamais été aussi fluide et expressive. On comprend difficilement comment, avec un processus aussi limité, le film peut aboutir à de telles chorégraphies de combats. En comparaison avec la concurrence du tout numérique, on constate que la contrainte favorise l’inventivité. Le film en profite même pour faire un clin d’œil à un autre artiste de la stop motion, Ray Harryhausen, avec un squelette géant.

Mais le nouveau souffle qui transparaît de l’image provient d’un habile mélange entre ces prises de vues réelles des marionnettes et l’intégration d’éléments totalement numériques. La réussite de cette cohabitation provient des effets spéciaux digitaux qui sont pensés pour reproduire les textures des miniatures physiques (comme ce qu’avait fait La Grande Aventure Lego).

D’ordinaire, la réalisation de ce type de film est plutôt sobre car limitée par la technique très contraignante. Or ici la caméra est libre, à la fois fluide et dynamique, voguant au milieux des décors. Le réalisateur Travis Knight, en plus de se concentrer sur l’aboutissement de l’animation, compose des cadres puissamment évocateurs. Cela lui permet d’ancrer la relation émotionnelle mère-fils avec des séquences baignées dans le silence, sans dialogues descriptifs. Kubo et l’Armure Magique multiplie également les fresques spectaculaires à travers un jeu d’échelle entre les personnages et les décors. Les arrières plans démesurés semblent happer le héro dans un monde imaginaire plus grand que lui.

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Narration mythologique

Le scénario reprend les grandes étapes du voyage initiatique du héro, telles que théorisées par Joseph Campbell. Mais la reprise de ce Monomythe ne sert finalement que d’un cadre, d’un canevas pour y développer à l’intérieur un univers et des problématiques propres. L’utilisation de codes mythologiques n’est jamais artificielle, ils sont plutôt réinterprétés. Par exemple Kubo doit affronter des monstres marins dont le pouvoir est de le posséder, comme le font les sirènes d’Ulysse. Mais ces créatures ne sont pas de simples copier-coller de l’Odyssée : elles vont le contrôler en fouillant dans ses souvenirs. La mémoire est justement l’un des thèmes centraux de l’histoire. Plus qu’une simple réutilisation de codes préexistants, ils sont digérés puis traduits avec ce qui fait le cœur du film.

Finalement, ce qu’il y a au centre de Kubo et l’Armure Magique c’est la croyance en la puissance des histoires et plus généralement de l’imaginaire. Le garçon est d’ailleurs assimilé à un réalisateur lorsqu’il manipule des feuilles de papier pour créer des spectacles. On remarque toute une réflexion autour de la vue (autre archétype mythologique) : Kubo a perdu un œil et son ennemi veut lui prendre le second, pour l’empêcher d’appréhender le monde. Ce dernier, comme tout héro en devenir, va devoir apprendre à voir ce monde, réellement, pour ce qu’il est, c’est-à-dire avec toute sa richesse de l’imaginaire qu’il renferme. D’ailleurs, le film a l’intelligence de proposer un univers de plus en plus rare : celui qui nourrit les cauchemars des enfants, à travers les tantes et même le cadavre du personnage.

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D’une grande richesse, tant visuelle que thématique, les premiers mots qui ouvrent le film nous avaient pourtant prévenu : « Si vous devez cligner des yeux, faites-le maintenant ».

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