LITTÉRATURE

La nouvelle réussite de Laurent Gaudé

Laurent Gaudé est l’un de ces auteurs dont on ne peut plus se passer une fois qu’on a commencé leur œuvre. Un auteur dont l’écriture puissante emporte le lecteur dans un lieu de violence et de douceur, de sueur et de bonheur, de destruction et de défaite.

Dans Cris, son premier roman (paru en 2001), il parlait déjà de la guerre, celle de 14.  Dans ce texte poignant, le lecteur entendait les voix des soldats, il écoutait les défaites de ces personnages unis dans la douleur et le hurlement.

Avec Écoutez nos défaites, Laurent Gaudé réalise un projet qu’il avait depuis plus de cinq ans. Et il replonge le lecteur dans cette atmosphère, qui n’est plus ici dominée par le cri, mais toujours par un bruit caractéristique de la défaite, suggéré dans le titre. Pourtant, c’est un roman complexe d’une grande variété. Écoutez nos défaites parle de combats. Tous les personnages du roman affrontent un ennemi, palpable ou non, commun ou non, mortel ou non. Mais surtout, ce roman parle de défaites. Celles que l’on vit face à la guerre, face à la violence, face à la mort.

24, Hans Hartung (1953). (source : tate.org.uk)

24, Hans Hartung (1953). (source : tate.org.uk)

Écoutez nos défaites, c’est un roman qui mêle les époques, les lieux, à chaque chapitre. Un roman qui mêle les personnages l’un à l’autre, à chaque page.

Assem Graïeb a mené des missions au service de la France. Il doit aujourd’hui retrouver un ancien soldat américain qui détient des informations importantes pour savoir s’il doit disparaître ou non. Mais ce dénommé Job l’intrigue. Un homme qui, pour échapper au retour à la vie normale après la guerre, n’a jamais quitté le monde de la violence, du trafic, du risque. Un homme charismatique qui détient un secret jamais livré, un homme hanté par son désir de mort, hanté par ses victoires. C’est là que se trouve la défaite : dans la conscience des hommes.

Assem Graïeb rencontre Mariam, le temps d’une nuit. Ils ne captent qu’une infime partie de l’autre, ne partageant pas leur histoire, trop compliquée. Malgré cela, ils connaissent une union puissante, qui les lie au-delà des mots, au-delà des pays, au-delà des mers. Ils partagent une anecdote de Mariam, archéologue, sur la grande découverte du chercheur Mariette Pacha. La question est soulevée au cours du récit : les découvreurs d’Histoire sont-ils des gardiens ou des pillards ? L’ombre du temps révolu doit-il subir la lumière au nom de la culture ?

Mariam, quant à elle, est bouleversée par la destruction méthodique des cultures antiques par les rebelles du Moyen-Orient, les premiers hommes de Daech. Le temps lui est compté, réglé par le sablier de sa maladie qui la ronge, mais elle s’accroche à ce qui dure, ce qu’elle voulait éternel, détruit pourtant en quelques secondes à Mossoul, à Bagdad, à Nimroud, à Hatra, à Palmyre, en mille autres lieux de mémoire. Son combat à elle est celui de la culture.

Les autres combats sont ceux d’Hannibal, face à l’Empire romain, du général Grant face à l’armée du général Lee pendant la guerre de Sécession, du roi éthiopien Hailé Sélassié face à Mussolini, puis face à son propre pays.

Tous ont en commun ce partage du temps, cette présence dans l’Histoire qui immobilise l’instant avant de basculer dans la défaite.

Hannibal franchissant les Alpes.

Hannibal franchissant les Alpes.

Mais Écoutez nos défaites, c’est aussi un roman de l’espoir, de la beauté, des victoires personnelles qui transcendent la défaite. Même face à la mort, ou peut-être parce qu’il est face à la mort, l’homme se réjouit, car si cela marque la plus grande défaite de son corps comme de son esprit, la mort et l’oubli permettent aussi de se soustraire au temps qui règne sur toute chose.

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