CINÉMA

Réalité virtuelle : rencontre avec deux pionniers du futur

Le Festival International du Film d’Animation d’Annecy accueillait Google Spotlight Stories, soit des histoires en réalité virtuelle commandées par la multinationale. À cette occasion nous avons pu nous entretenir avec deux réalisateurs qui s’y sont essayés : l’américain Patrick Osborne avec Pearl et l’anglais Felix Massie avec Rain or Shine. On a profité de cette rencontre pour échanger sur les tenants et aboutissants artistiques qu’une telle technologie peut offrir. Technologie qui pourrait bien bouleverser notre rapport à l’image dans les années à venir.

Une fois chaussé du casque, les premières secondes sont déstabilisantes. Comme un nouveau-né qui acquière la vue, on s’ébahit sur chaque détail : un nuage au-dessus de nous ou des gouttelettes d’eau qui coulent le long de notre vitre passager. On se contorsionne dans tous les sens pour que rien ne nous échappe, qu’importe l’allure que l’on doit avoir. Nouveauté oblige, nous sommes plus attirés par tout ce qui nous entoure que par l’histoire qui défile sous nos yeux. Mais c’est sans compter l’ingéniosité des réalisateurs pour récupérer notre attention, notamment en utilisant le son surround.

Il est passionnant de constater comment ces pionniers reprennent à leurs comptes des outils de leurs voisins du cinéma (le travelling, le montage) tout en s’aventurant dans de nouvelles contrées. Car tout l’enjeu de cette technologie est là. Offrant des possibilités impossibles jusque-là, toutes les règles sont à inventer. On se met alors à imaginer tout le potentiel que la réalité virtuelle peut avoir entre les mains d’artistes qui tentent d’aller toujours plus loin dans la narration. Si Steven Spielberg et James Cameron s’investissent dans de tels projets, c’est bien que nous sommes aux prémices d’une nouvelle vague artistique.

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Rain or Shine de Felix Massie – Crédit : Google

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la réalité virtuelle ?

Patrick Osborne : Quand on a commencé à travailler sur le projet Rain or Shine, la demande principale de Google était de faire une histoire à 360°, sans aucune autre indication. Ils ne m’ont pas dit quelle type d’histoire ils voulaient, je pouvais tout faire. Ce n’est pas souvent que vous avez des opportunités comme celle-là. Quand on a commencé, on a réalisé que ce qui est intéressant c’est de faire immerger totalement le spectateur dans l’univers du film. C’est différent que de voir un film comme on a l’habitude. Le bon côté c’est que le monde est autour de vous, vous pouvez regarder n’importe où. Il y a une plus grande connexion avec les personnages, vous vous consacrez pleinement à l’expérience. Vous n’êtes pas perturbé par votre téléphone portable ou d’autres distractions qui peuvent intervenir dans une salle de cinéma. Le mauvais côté est que c’est solitaire, alors que dans une salle de cinéma il y a une communion avec les autres, qu’il n’y a pas là.

Félix Massie : Je pense que c’est une excellente opportunité pour faire des films d’une nouvelle manière. C’était intéressant d’essayer d’appréhender la frontière entre un film en réalité virtuelle et un film normal. Là où vous regarder, c’est ce que vous voyez. Donc l’histoire change soudainement selon que vous regardez ici ou là. Ce n’est pas simplement comme regarder un film sur un écran plat, c’est plus immersif, vous vous sentez à l’intérieur. Ce qui m’a plu dans Buggy Night, l’un des 3 films en réalité virtuelle que l’on a fait, c’est que vous regardez autour de vous et avec une torche vous trouvez des insectes. Vous êtes donc responsable de ce qui se passe dans le film.

La réalité virtuelle offre t-elle plus d’avantages que le cinéma traditionnel ?

P.O. : Tout dépend de l’histoire. Pour certaines, la réalité virtuelle sera plus adaptée, pour d’autres, le cinéma le sera. Tout dépend du lien que vous voulez entre le personnage principal et le spectateur.

F.M. : La particularité de la réalité virtuelle est de pouvoir raconter des films d’une manière que vous ne pourriez pas traditionnellement. Ici, il y a Alice qui marche dans le parc pour échapper au nuage, puis elle s’arrête, puis elle repart, et ainsi de suite. Dans un film traditionnel vous en auriez vite assez. Mais avec la réalité virtuelle vous découvrez les choses par vous-même, c’est ludique.

Pensez-vous que la réalité virtuelle va coexister avec le cinéma ou, plus radicalement, le remplacer à long terme ?

P.O. : Je pense que les deux peuvent coexister en même temps, de la même manière qu’avec le jeu vidéo. Ce qui va être très intéressant c’est son implication dans les réseaux sociaux comme Facebook. Imaginez que pendant un appel téléphonique on puisse voir la personne, tourner autour, ça va être cool, et bientôt.

Immersion dans une voiture au fil du temps: Pearl de Patrick Osborne - Credit : Google

Immersion dans une voiture au fil du temps : Pearl de Patrick Osborne – Crédit : Google

Vous êtes réalisateurs, Patrick Osborne vous avec réalisé un court métrage pour Disney [Feast, Oscar 2015 du meilleur court métrage d’animation, ndlr]. Est-ce que vous adaptez les règles de la mise en scène propres au cinéma à la réalité virtuelle ?

P. O. : Au départ tout consiste à raconter une histoire. Le processus est le même : on pitch une idée, on cherche des personnes qui la comprennent et qui veulent y prendre part, puis on cherche un financement. La seule différence c’est que pour la réalité virtuelle, les outils de création n’existent pas. Par exemple c’est très difficile de réaliser un storyboard pour guider les animateurs, puisqu’il n’y a pas de cadre. Ils doivent tout animer, alors qu’au cinéma ils s’arrêtent à ce qu’il y a dans le champ, cela prend donc plus de temps. Mais la réalisation en elle-même est similaire. On utilise aussi des techniques cinématographiques, comme cadrer les personnes à travers la fenêtre. On reprend d’anciennes techniques, dont celles de Hitchcock, pour rendre l’histoire visuellement intéressante.

F.M. : C’est intéressant parce que vous donnez l’opportunité de contrôler la caméra. Et en même temps le réalisateur peut faire changer la caméra de position et de lieu. Le spectateur ne peut pas le contrôler puisque vous ne faites que regarder autour de vous, comme dans un train. Les gens savent naturellement ce qu’il faut regarder dans le cadre. Comme quand le titre apparaît, le public sait que c’est par-là que ça se passe. Pour cela on a à notre disposition des éléments de mise en scène traditionnels pour le faire regarder au bon endroit. A cause du 360°, vous devez guider le spectateur par rapport aux personnages et à l’action.

Justement utilisez-vous des moyens pour forcer le public à regarder là où vous le voulez ?

P.O. : Je pense que c’est comme au cinéma, le spectateur peut regarder n’importe où dans le cadre. Mais si on met un éclairage sur un personnage, le public sait qu’il faut regarder ici. Si vous faites des endroits avec plus de contrastes, plus de formes, on guide inconsciemment le regard du spectateur.

F.M. : C’est une histoire à 360° donc il peut y avoir plein de trucs dingues qui peuvent se passer n’importe où. Mais on a compris que si il y a trop de distractions vous perdez le cœur du film, qui est ici la petite fille. Les actions autour du parc sont suffisamment intéressantes pour rendre l’environnement plus réel, plus immersif. Mais pas assez intéressantes pour concurrencer l’histoire principale.

Donc comme au cinéma vous manipulez le public…

P.O. : Oui bien-sûr !

Avec la réalité virtuelle, pensez-vous qu’il existe un risque que certaines personnes s’y perdent et ne fassent plus de distinction avec la réalité ?

P.O. : Oui cela peut arriver, mais pas avec ce film. Mais je pense que ce danger n’existe pas vraiment puisque l’on a conscience de ce que l’on fait. Par contre ça peut devenir très addictif pour certains qui peuvent y passer tout leur temps. Beaucoup de livres ont commencé à parler de ce danger mais cela n’arrivera pas avant une vingtaine d’année. Et ici on fait des choix de couleurs, de look, de style impressionniste qui font dire à votre cerveau que vous n’êtes pas dans le vrai monde.

F.M. : (rire) Non pas avec ce film ! Parce que vous ne ressentez pas les choses comme si vous étiez branché à la Matrice. Quand le cinéma a commencé et qu’il y avait ce train qui arrivait face caméra [référence à L’arrivée en gare du train de la Ciotta de 1985 des Frères Lumière, ndlr], je n’arrive pas à imaginer que le public pensait vraiment que le train allait leur sauter dessus. Mais c’est quelque chose d’instinctif. Aujourd’hui les gens ont l’habitude de jouer aux jeux vidéo. Je ne pense pas que le public soit facilement dupé, comme avec Avatar qui semble très réel. Je joue beaucoup aux jeux vidéo mais je ne pense pas que les gens fassent la confusion avec la vraie vie.

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