A l’heure où accéder à l’information en une fraction de seconde est devenu banal, certains voient dans le web une entité supérieure omnisciente et détenant la vérité absolue. Sans mâcher leurs mots, un nombre croissant de personnes considère Internet comme une véritable religion.
Internet, une entité supérieure en laquelle croire ?
C’est l’idée qu’avancent certains, notamment dans le film documentaire augmenté IN LIMBO d’Antoine Viviani, qui sortait sur Arte en février 2015. Ce webdocumentaire, qui utilise les données publiées sur le web de son spectateur, questionne ce dernier sur la mémoire et le stockage de données personnelles dans un espace virtuel, mais également publique. Au fur et à mesure du documentaire, les données personnelles du spectateur défilent et le mettent face à une réalité parfois inquiétante : sur le web, l’oubli est impossible, et les informations et autres données privées qui y ont un jour été publiées peupleront à jamais la toile. En outre si, dans la religion chrétienne notamment, l’immortalité se trouve dans la vie après la mort au Paradis ou dans les Enfers, il en irait de même pour Internet : fonctionnant comme les archives de notre vie, nos publications personnelles, sur les réseaux sociaux par exemple, permettent de nous rendre, en un sens, immortels. Cette trace virtuelle de notre passage sur Terre restera gravée pour toujours sur la toile. A la fin du documentaire, nous sommes mis face à l’idée que tous les souvenirs que l’on stocke, nos données, nos photos, etc., sont en fait peut-être finalement l’idée que l’on se fait de l’au-delà et de ce que pourrait être la vie après la mort : notre trace virtuelle, un passage de l’autre côté de l’écran.
Dans ce webdocumentaire, on découvre des personnes qui considèrent Internet comme une religion à part entière. C’est notamment le cas de l’historien George Dyson, qui s’exprime en ces termes : « Toute la morale de ma mère venait de la Bible. Quand elle est morte, j’ai eu beaucoup de mal avec le contexte biblique de la morale religieuse. Mon esprit ne connectait pas avec ça. Il m’a fallu du temps pour réaliser que toutes mes valeurs et mon système moral venait d’Internet. Tout ce qui était de l’ordre du partage, de la connexion, de la transparence et de l’authenticité, toutes ces choses étaient mes valeurs, ma morale. Et c’est à ce moment-là que j’ai compris qu’Internet était devenu ma religion. »
Un peu plus tard dans le visionnage, on rencontre un homme qui lui-aussi considère Internet comme une forme religieuse, et dont les membres tourneraient « dans le désert comme les personnages de l’Ancien Testament qui n’auraient pas encore trouvés leur messie », même si d’après lui cela ne saurait tarder. Comme une communauté religieuse autonome, les adeptes de la religion Internet en parlent comme d’une intelligence supérieure qui posséderait la connaissance et la vérité ultime, qu’elle offrirait au monde par écran interposé. Dans un monde dans lequel « les données deviennent le socle de notre société », un homme interrogé dans IN LIMBO avoue qu’il aimerait pouvoir compter sur Internet pour le guider dans ses choix de vie, lui demander conseils sur quoi penser, quoi faire, que choisir, ou encore la raison de sa présence sur Terre, comme un croyant le ferait lorsqu’il s’adresse à son dieu à travers ses prières. Encore une fois, le net est mis sur un pied d’égalité avec les dieux dans leur rôle de conseillers, de guides des hommes.
Il est une nouvelle fois possible d’établir un parallèle entre religion et Internet lorsqu’un homme évoque son expérience personnelle avec le web : son travail consiste à rester éloigné d’Internet, à en être privé. Son expérience de vie ne peut alors pas être enrichie par ce que représente l’accès à la toile : en l’occurrence, l’accès illimité à l’information, une forme de connaissance ultime et sans limites, ainsi qu’une idée de vérité et de transparence. Ce qui représente, en somme, une privation non-négligeable par rapport à chacune des personnes ayant accès au web. Il avoue d’ailleurs se sentir diminué par rapport à ces dernières, en retrait face à un monde dans lequel l’information circule à la vitesse de la lumière. L’idée d’un enrichissement des connaissances et de l’expérience de vie grâce à Internet est relativement similaire à l’enrichissement qu’apporte la religion à ses adeptes : un exutoire, quelque chose qui nous dépasse mais en lequel on croit, une entité supérieure à laquelle se raccrocher et qui serait en mesure de trouver des réponses aux questions que l’on se pose car détentrice d’une vérité absolue. Et les quelques interventions dans le webdocumentaire faisant part de leur perception religieuse de web sont loin d’être des cas isolés.
En Suède, une nouvelle religion revendique le partage et la copie d’informations sur le net
Il s’agit de la communauté religieuse du Kopimisme, reconnue en 2012 comme association religieuse à part entière en Suède. Créée en 2010 par Isak Gerson, le Kopimisme tire son nom de l’anglais copy me et prône les valeurs de la copie et du partage d’informations, à l’heure où de plus en plus de mesures sont prises contre le piratage de données en ligne. Ses membres – plus de 3000 à travers le monde – considèrent que « l’information est sacrée » et que « le partage et la copie d’information est un sacrement ». Par cette reconnaissance, les adeptes de cette nouvelle organisation religieuse ont la légitimité d’exercer librement leur foi en piratant, copiant, téléchargeant des contenus web afin de les rediffuser par la suite. Les descendants directs du Parti Pirate, parti politique suédois fondé en 2006 prônant « un Internet libre, sans aucune licence, dans une société ouverte », passent alors de l’illégalité à la légalité de par cette légitimation par le gouvernement suédois d’une association religieuse dont le web est en centre des croyances.
Une foi en Internet qui tend à se généraliser
En règle générale, on assiste aujourd’hui à une généralisation de la foi en la communication et en la circulation d’informations, ainsi qu’en les médias et le pouvoir colossal qu’ils peuvent avoir, tant sur le plan culturel que politique. Si dans son ouvrage Le Culte de l’Internet Philippe Breton s’interroge sur cette nouvelle forme de culte et le rôle qu’il pourrait jouer dans la cassure progressive du lien social, ici il semble que le culte de l’Internet rapproche plus qu’il ne divise, rassemblant de nouvelles communautés autour d’idéaux communs.