Certaines couvertures nous happent comme un visage à l’ossature particulière vu à la va-vite sur le coin d’une rue. Le regard s’arrête un instant, sent qu’il a quelque chose à saisir, mais vacille dans la cacophonie ambiante et ne saisit pas le titre. La couverture reste donc là, entre deux pensées, à tarauder son littéraire. Heureusement, contrairement à une personne, un livre n’est pas animé et ne possède pas cette tiédeur humaine qui pourrait susciter la timidité.
Le littéraire est donc de retour le lendemain en librairie sachant pertinemment qu’il est peu probable que sa hantise ait bougé d’un iota. Il ne peut s’empêcher de sourire, car il sait qu’il lui ait maintenant possible de prendre dans ses mains un peu fébriles, son histoire tant fantasmée qui est ici :
Le Château des Étoiles

Alex Alice, 2014, Le Château des Étoiles, Rue de Sèvre, 64 pages.
Cette bande-dessinée d’Alex Alice nous envoie au XVIIIème siècle dans le nord de la France. On y rencontre dès les premières pages Marie Dulac, mère du protagoniste de l’histoire. Celle-ci s’apprête à partir explorer le ciel afin d’y découvrir l’éther, une énergie qui pourrait permettre moult possibilités dont celle de voyager dans l’espace. Les temps sont hélas fort orageux et la brave pionnière disparaît en plein vol. Un an plus tard Séraphin et son père sont contactés par un mystérieux inconnu qui leur dit avoir retrouvé le journal de la scientifique. Cet étranger n’est autre que le roi de Prusse aux prises avec son ennemi Bismarck qui tente d’unifier l’Allemagne. Les deux personnages se retrouvent donc bien malgré eux dans une Bavière en proie à des litiges politiques et géographiques et surtout, en proie au rêve fou de son souverain : celui de construire un vaisseau qui permettra de voyager dans l’espace et de trouver l’éther.
Alex Alice a signé, avant le Château des Étoiles, deux autres séries respectivement disponibles chez Dargaud et Glénât. Il est aussi l’homme derrière l’adaptation en bande-dessinée du célèbre jeu vidéo Tomb Raider. À la vue de l’ouvrage, on ne peut douter du savoir-faire de l’auteur et de la maison d’édition. Le mot élégance bien que peu souvent employé pour décrire un livre, semble ici celui qui sied le mieux aux deux albums.

Alex Alice, 2014, Le Château des Étoiles, Rue de Sèvre, 64 pages.
Car l’œuvre est définitivement un baume à prescrire pour tous les esprits cyniques. Il serait facilement possible de la comparer à une berceuse qui permet le rêve doux si ce n’était de son histoire merveilleusement ficelé qui tient éveillé du début à la fin. Elle dégage une expertise rarement rencontrée en littérature et en bande-dessinée : à posséder des aquarelles aussi sublimes on aurait pu craindre que son scénario et ses dialogues en pâtissent, mais il n’en n’est rien. La plume est tout aussi élégante et soutient les illustrations avec la même force rêveuse. La pâleur des dessins oblige d’ailleurs la concentration et la recherche de l’œil pour dénicher au travers des cases les objets de curiosité que l’auteur a placé. Lorsque ce dernier cherche à provoquer la sensation chez le lecteur c’est toujours d’une manière subtile et épurée. Les émotions ne sont pas destinées à animer un égo ou un voyeurisme quelconque : elles sont traitées avec respect et sévissent avec douceur en travers les personnages et ultimement en travers nous. Aussi bien le dire, l’harmonie générale qui s’échappe de l’ouvrage est un véritable vent de beauté qui nous souffle dessus page après page.
Il ne faut pas s’y méprendre, Le Château des Étoiles s’adresse à tous et il serait d’une tristesse insondable que les amateurs de Jules Verne – modéré ou non – passe leur chemin sans y jeter un coup d’œil. Aux fans déjà acquis il y a matière à se réjouir puisque les aventures de Séraphin recommenceront dans un prochain ouvrage nommé Les Chevaliers de Mars.
Quant aux autres, l’aventure n’attend que vous pour débuter.

Alex Alice, 2014, Le Château des Étoiles, Rue de Sèvre, 64 pages.

Alex Alice, 2014, Le Château des Étoiles, Rue de Sèvre, 64 pages.