Le Wax est un véritable emblème de la mode africaine. Depuis plusieurs mois, on voit ce tissu traditionnel fleurir un peu partout : dans les magazines, dans les collections des marques de mode, dans les campagnes publicitaires et dans la rue. Aujourd’hui, le Wax se voit aussi bien réinterprété par de jeunes marques africano-européennes qui cherchent à se réapproprier cette culture africaine en la mixant avec des référents occidentaux, que par des Maisons de mode occidentales qui y voient une source d’inspiration esthétique. Dès lors que le Wax est abordé comme une tendance, le danger de l’appropriation culturelle n’est jamais très loin. Décryptage de cette frénésie autour du Wax et de la mode africaine.
Wax, kézako ?
Le Wax est une toile de coton qui tient son nom de son cirage (wax en anglais) recto-verso, la rendant ainsi imperméable et imprimée de motifs et de couleurs chatoyantes. Ce tissu qui date du XIXème siècle est en fait une appropriation du batik, un tissu indien, par les colons portugais qui l’importèrent en Afrique subsaharienne dans le but d’en faire le commerce avec les populations locales. Depuis cette période, le marché du Wax s’est ancré durablement dans la culture africaine.
La forme la plus connue de ce textile est le pagne africain, mais la signification des motifs du Wax reste souvent inconnue des occidentaux. En effet, le Wax n’a pas qu’une vocation esthétique : originellement, chaque motif correspond à un message, permettant aux femmes africaines, alors souvent soumises à leur mari, de s’exprimer de manière non-verbale grâce à leurs vêtements. En ce sens, le Wax a joué un grand rôle émancipateur pour la femme. Parmi les motifs les plus appréciés, on retrouve le « Genito » (J’aime les hommes jeunes), le « Tu sors, je sors » (Si tu me trompes, je te trompe) ou encore le « Mon mari est capable » (Mon mari me comble sexuellement).
L’apparition du Wax dans la mode occidentale est récente, de même que les influences de la mode africaine qu’on peut dater à moins de cinq ans. C’est Solange Knowles qui en 2012 sort son clip Losing You dans lequel on la voit évoluer dans des paysages africains, mixant imprimés et couleurs, et qui donne ainsi le coup d’envoi d’une African touch. Dans son clip, on peut voir la jeune chanteuse d’origine afro-américaine accompagnée de sapeurs congolais. La S.A.P.E (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes), mouvement dont se revendiquent ces hommes vêtus de manière ostentatoire, est un style de vie qui reprend les codes du dandysme en les mixant avec la culture congolaise. A l’image du Wax, le style vestimentaire des sapeurs est aujourd’hui une source d’inspiration non négligeable dans la mode occidentale et française.
Partant de ce constat, beaucoup de marques de mode se sont emparées de ce phénomène, comme si son apparition était récente. Or, le problème de l’utilisation du Wax et de l’engouement que suscite ce dernier, ainsi que la mode africaine de manière plus large, provient de l’utilisation des codes culturels africains, sans forcément en comprendre la signification et les enjeux. Plusieurs marques se sont ainsi brûlées les ailes en flirtant dangereusement avec l’appropriation culturelle…
Appropriation culturelle ou influence ?
L’appropriation culturelle est un thème souvent évoqué ces derniers temps dans les médias. Mais qu’est-ce l’appropriation culturelle au juste ? C’est l’adoption de codes vestimentaires, comportementaux, religieux et/ou plus largement culturels d’un groupe social par un autre. Ce terme est souvent connoté négativement, et sous-entend que cette appropriation se fait de manière illégitime et que le groupe social à l’origine de ce vol soustrait un aspect identitaire à l’autre groupe social sans en connaître les tenants et les aboutissants.
Récemment, la Maison Valentino a été au cœur d’un débat houleux au sujet de l’appropriation culturelle, concernant une de ses campagnes publicitaires pour la collection Printemps/Été 2016. L’objet de la polémique ne se trouvait pas tant dans les vêtements qui mêlaient les influences africaines avec la griffe Valentino, que dans la posture passive et hautaine des mannequins, coiffées de tresses africaines et en majorité blanches. Dès lors, comment ne pas penser au passé colonialiste des européens à l’égard de nombreux pays africains ? L’emprunt de codes vestimentaires et culturels ne peut se faire en les dépouillant de leur contexte historique et social, au risque de faire passer les influences pour un folklore, une lubie ethnique.
Mais alors, faut-il être africain pour faire de la mode africaine ? Pas forcément. Mais l’héritage culturel ne peut être occulté, la méconnaissance du sujet étant l’erreur primordiale à ne surtout pas commettre. Aujourd’hui en France, véritable vivier de mode, beaucoup de marques qui s’inspirent de la mode africaine sont fondées par de jeunes Français, pour beaucoup d’origine africaine.
La nouvelle garde de créateurs africano-européenne propose une mode métisse
Pour ces jeunes créateurs élevés avec une double culture, il devient indispensable de se réapproprier une culture trop souvent tut en raison d’un racisme omniprésent, et systématiquement laissée à un imaginaire collectif qui voit en la mode africaine un folklore populaire. Cette jeune garde arrive à proposer un savant mélange entre les référents culturels européens et africains, proposant ainsi une mode hybride.
Parmi eux, Maison Château Rouge, label ancré dans le quartier Château Rouge du 18ème arrondissement de Paris qui se propose de moderniser le Wax en le transformant en hauts sportswear aux inspirations urbaines occidentales. Derrière ce projet branché, Youssouf et Mamadou Fofana, deux frères qui allient leurs origines pour donner vie à un projet social, en achetant le Wax dans le quartier de Château Rouge et reversant une partie des bénéfices à leur association, Les Oiseaux Migrateurs, qui aide les PME africaines à se développer en Afrique et en France.
Pour beaucoup de ces jeunes créateurs, le rôle social reste indissociable du fonctionnement de leur marque. La volonté de contribuer à l’économie et à la promotion de l’Afrique restant une des motivations principales. Ainsi, le projet de Marché Boucotte, qui se définit elle-même comme une « marque de vêtements franco-sénégalaise 100 % solidaire » vise à reverser l’intégralité de ses revenus à l’association Futur Au Présent afin de financer des projets sociaux au Sénégal. La marque propose une collection de vêtements aux coupes européennes, mais aux imprimés africains en se servant essentiellement du Wax.
Dès lors qu’il y a curiosité et recherche de la compréhension de l’autre, l’échange et l’influence culturelle s’enrichissent l’une et l’autre, car la forme peut alors répondre au fond. Ce bouillon culturel et cette effervescence qui existe aujourd’hui autour de la mode africaine est un bel exemple de métissage culturel. Il est intéressant de constater que ce mouvement s’ancre dans un contexte économique, politique et identitaire qui paraît peu propice à l’ouverture sur l’autre. Prenant le contre-pied de la politique actuelle, ces marques de mode permettent de rassembler autour de valeurs de proximité et en même temps, autour de la (re)découverte d’une culture méconnue. Pour cette jeune garde, cet acte de création est une manière de revendiquer fièrement ses origines et de sortir du folklore populaire. La mode produite, forme hybride issue du métissage, fonctionne grâce à un enrichissement mutuel de deux cultures complémentaires. Loin du repli identitaire, cette mode multiculturelle adresse un message politique à une génération maussade : Oui, un avenir commun est envisageable.