MUSIQUE

Stunfest 2016 – Entretien avec Perturbator : “Je ne suis pas fan des genres”

Salut James, on te connaît sous le pseudonyme de Perturbator au sein de la scène Synth Wave. C’est un mouvement hommage aux 80’s qui connaît un fort engouement depuis quelques années. Il est propulsé par des bandes originales de jeu vidéo, de court métrage… Perturbator, c’est plutôt lugubre comme nom, plutôt inquiétant. Est-ce que c’est volontaire ? Comment l’as tu choisi ?

Je ne vais pas te mentir, ça m’a pris 10 minutes pour penser à ce nom. Je voulais un truc qui sonne un peu comme un film d’action / horreur, genre Terminator ou Predator. Pertubator n’a jamais été pris, il n’y a pas de film, je vais prendre ça pour mon projet et ça va refléter le côté retro, années 1980. C’est cool que tu aies trouvé ça sombre et lugubre. C’est aussi un autre côté de ma musique que je voulais mettre en avant.

Un côté sombre qu’on retrouve aussi dans l’imagerie d’ailleurs. Ton dernier album, The Uncanny Valley, s’étoffe d’éléments tantôt nerveux, parfois plus posés. Quels objectifs te donnes-tu avec le projet, qu’est ce que tu veux en faire ?

Récemment j’ai été très saoulé, même si c’est fort comme mot, plutôt fatigué d’être affilié systématiquement à la bande son d’Hotline Miami. Je voulais juste briser cet espèce d’a priori que les gens ont sur moi. C’est vrai que ma musique est inspirée des années 1980, c’est vrai que c’est rétro. Mais je voulais juste montrer que je pouvais faire de la musique plus personnelle, qui ne soit pas forcément années 1980, qui brasse plus d’influences, qui soit un condensé. Le Metal par exemple est le style que j’écoute principalement. Mais j’aime aussi la Funk, qu’on retrouve sur le morceau Disco inferno, j’aime le Jazz…

Ce n’est pas impossible que demain Perturbator devienne un projet de Jazz ?

Pas impossible ! Mais ça serait plus sous forme de concept, comme un EP de Jazz façon néo noire. Je n’ai pas envie de mettre de limites car tourner en rond me fait un peu peur. Je n’ai pas envie, au terme d’un autre album, d’être toujours dans le style années 1980.

The Uncanny Valley compte plusieurs collaborations, on peut noter celles avec Greta Link, Astronoid… Comment entames-tu ces travaux ? Ce sont des rencontres, des coups de cœur ?

Je fais ça à distance. Ce sont principalement des amis, des gens que je connais et dont j’apprécie la musique, avec qui je suis en contact par Facebook ou par mail. Il m’arrive de me dire que ce serait bien de faire une track avec telle chanteuse… Pour The Uncanny Valley c’est un peu différent parce que les deux chanteuses qui sont sur l’album ont déjà bossé sur les précédents. C’est un retour avec l’envie de faire mieux. Il m’arrive aussi de faire un featuring avec un mec que je ne connaissais pas du tout avant, j’appréciais juste sa musique. Dans ce cas là, je rentre en contact avec le mec, je lui présente le projet et ce que je compte faire.

Est-ce que tu laisses beaucoup de liberté sur ces morceaux ?

Je donne une espèce de ligne directrice. Après l’artiste en parle comme il veut, de sa façon. Il y a juste l’écriture des paroles qui est supervisée, mais le reste, les lignes vocales, ce genre de truc, même leurs propres effets, je les laisse.

Dans l’ensemble, comme c’est de la musique électronique, comment est ce que tu travailles ? Plutôt seul, en studio ?

Tout seul, dans ma maison, sur mon ordinateur, sur FL Studio. C’est là que je mixe et que je masterise.

On a parlé de musique, maintenant j’aimerais parler des thèmes qui sont présents dans ce que tu fais. J’ai remarqué l’omniprésence de la dystopie à la Néo Tokyo, comme dans le clip de She is Young She is Beautiful, ou encore ton dernier clip pour Sentient dans lequel on découvre des androïdes adeptes de cultes alternatifs. C’est assez pessimiste. Est-ce que ça te rend pessimiste sur la progression, voire régression, de la société dans l’ensemble ? Est-ce que ta musique est un reflet de ce qu’on pourrait bientôt vivre ?

Je dirait que c’est plutôt l’inverse. Je suis quelqu’un d’assez pessimiste en général. Plus je fais de la musique, plus ça reflète mon pessimisme. Plus je fais de la musique, plus j’y mets de ma propre négativité.

“Cette maturité retire toutes les barrières que j’ai pu m’imposer.”

C’est un signal d’alerte ?

Il n’y a pas vraiment de message. Je trouve ça plus intéressant d’écouter un projet dans lequel il y a des subtilités, comme des idées sombres ou mélancoliques à décortiquer, mais pas de message. Je préfère le rapport qu’il y a avec le mec qui écoute, savoir si ça le touche, et le rend pessimiste. Je trouve ça plus intéressant de faire ça que juste des tubes pour danser. Ce n’est pas un message parce que je ne dis pas que le futur va être de la merde, j’en sais rien. C’est une idée. Je pense personnellement que le futur va être de la merde. Peut-être que toi aussi. Alors écoutons quelque chose et voyons si c’est qu’on ressent tous les deux.

Tu disais que tu n’étais pas trop machine à tube, dans le sens tube radio. C’est vrai car on peut noter ta participation dans le groupe I The Omniscient, avant que tu ne deviennes Perturbator. Et ce n’était pas vraiment zouk, plutôt typé Djent et Progressif, entre Meshuggah et Born of Osiris. On a bénéficié d’un seul EP malheureusement : Lost in Nebula. I The Omniscient, c’était un son plutôt moderne, alors qu’avec Perturbator tu reviens à une nostalgie New Wave. Est-ce que c’est le signe de la maturité ?

Bonne question. En fait ce n’est pas comparable parce que I The Omniscient est un projet dans lequel je n’étais pas le seul compositeur. Il y a certains passages qui ont été fait par moi, d’autres fait par Yndi, l’autre guitariste du groupe. On composait ça à deux. Je pense qu’il apportait cette touche plus moderne et moi j’avais des plans un peu plus metal à l’ancienne. Je rapportais aussi les trucs un peu synthé dans la composition. Je ne sais donc pas si c’est comparable, c’est une autre manière d’écrire la musique. Je pense que j’ai pris de la maturité avec Perturbator. Mais je ne me dis pas que le son d’avant était mieux, et qu’il faut donc que je fasse comme avant. Cette maturité retire toutes les barrières que j’ai pu m’imposer. Maintenant, je considère que faire de la musique électronique n’est pas un tabou. Ça l’est encore un peu dans certaines sphères du metal par exemple. Un mec qui se met à faire un projet électronique, on se dit que c’est un vendu. Pourtant, je n’avais pas vraiment de fans quand j’ai commencé. Même si musique Électro et metal sont différentes, je me suis juste dit qu’il n’y avait pas de honte à avoir à essayer de faire un truc très sincère dans les deux. Perturbator est tout aussi sincère, voire plus sincère, car c’est un projet solo. Je suis en train de faire ce que j’aime faire, ce que je veux faire. I The Omniscient, c’était plutôt moi en train de bosser avec d’autres gars pour obtenir un truc qu’on aime faire ensemble.

“Je passe énormément de temps à essayer de faire en sorte que ça sonne humain.”

C’est étonnant que tu parles de ce tabou, car ma prochaine question traite de cette ambigüité entre la musique électronique et la musique « Rock ». Dans un futur proche, déjà anticipé par des œuvres comme Blade Runner ou Matrix, la machine prend la place de l’homme. Je ne peux pas m’empêcher de voir un parallèle avec l’engouement pour la musique assistée par ordinateur. Bien que tu viennes du milieu metal, ça n’a pas l’air d’être une inquiétude pour toi de voir les gens s’essayer à cette pratique.

Ce n’est pas vraiment une inquiétude en effet, parce que je considère que c’est un peu une suite logique. Je considère qu’on est en 2016 et que faire de la musique avec des machines n’est pas un tabou, tant que tu le fais bien et sincèrement. C’est compliqué, mais même avec une boite à rythme et deux trois samples à la con, tu peux faire un truc qui a de la gueule et qui sonne intime, qui peut parler aux gens. Donc moi ça ne m’inquiète pas, et justement l’inverse m’inquiète un peu. Ça m’arrive de voir des gens qui disent que Perturbator c’est juste un laptop sur scène. Ces gens là ne se rendent pas compte que beaucoup de groupes de metal de nos jours, si on parle de Prog ou de Djent, font leurs productions studio par ordinateur. Elles sont quantifiées et sonnent machines. Même si c’est joué, c’est très édité, il faut que la production soit mécanique. Avec cet effet, j’ai justement l’envie de sonner plus humain avec Perturbator, ce qui est assez ironique ! Je fais un petit parallèle : quand j’étais avec I The Omniscient, on a enregistré l’EP Lost In Nebula. Le mec qui nous enregistrait, J-F à The Office Studio, nous disait que le metal maintenant, surtout le Death et les trucs modernes, doit sonner inhumain, comme une machine. Et nous avec nos petits doigts, on galérait un peu.

C’est la surenchère quand on voit Brutal Death Metal, Brutal Goregrind…

C’est ça, gros sweep etc… Plus je fais Perturbator, plus je me rends compte que je passe énormément de temps à essayer de faire en sorte que ça sonne humain justement. C’est complètement l’inverse, c’est assez marrant.

On a parlé brièvement de ton investissement dans Hotline Miami, un jeu indépendant dans lequel tu as participé à la bande originale. Comme on est au Stunfest, je me demande quel est ton style de jeu ?

Je joue beaucoup mais je ne me considère pas comme un gamer, parce que je n’aime pas trop l’esprit communautaire, ça mène à beaucoup de problème. Si par exemple tu joues mal devant un gars, il va te reprocher d’être casual ! On peut dire que je suis un casu et j’en ai un peu rien à foutre. Je joue pour le plaisir. Je n’ai pas de style préféré, bien que j’aime beaucoup les jeux d’horreur. Ma série de jeu préféré c’est Silent Hill. J’aime beaucoup la saga Metal Gear Solid. Récemment je me suis remis aux anciens Doom. Je n’ai pas testé le nouveau et j’ai un peu d’appréhension. Je me suis aussi mis à The Binding of Isaac.

Il y a un jeu sur lequel tu aimerais à nouveau faire de la musique ?

Le jeu sur lequel j’ai envie de faire de la musique est en train d’être fait et je suis confirmé pour faire la musique dessus ! Il s’appelle The Last Night, c’est un scroller dans un univers très Blade Runner et c’est un jeu indépendant fait par Tim et Adrien Soret.

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© Oddtales

Si demain il devait y avoir un revival de Perturbator, tu voudrais que ça ressemble à quoi ?

J’aimerai qu’il y ait des éléments bien agressifs, presque metal, mais sans tomber dans le cyber gore, ça ne me plait pas trop. C’est pour ça que je trouve que mélanger metal et Électro est devenu un terrain glissant, j’évite de le faire. Un revival de Perturbator, ce serait bizarre, parce que de base on me dit que je suis un revival des années 1980. J’aimerais bien le faire moi-même avant qu’il y ait le revival ! Çà serait sans doute le prochain album.

Dernière question : dans la mesure où le style Synth Wave est déjà un revival, est-ce que tu penses finalement qu’il a un futur ? Est-ce qu’il va s’essouffler ?

C’est le truc qui « m’inquiète ». Techniquement, je ne me considère pas vraiment Synth Wave. Je suis musicien électronique. Et on me fout beaucoup dans le panier Synth Wave parce que c’est vrai que j’ai un style rétro, et mes potes Carpenter Brut et Dan Terminus sont dans le même type de musique. Je ne suis pas fan des genres, surtout quand une esthétique prend beaucoup de hype d’un coup. Et récemment avec Kung Fury et Hotline Miami, tout le monde est fou ! Ça me dérange un peu car mes amis, mes collègues et moi, on fait ça depuis un petit bout de temps, avant même que ça prenne. On le fait juste parce qu’on aime ça, qu’on aime ce style de musique. On le fait avec une certaine sincérité et on a l’impression que les gens aiment ça parce que c’est une mode et que ça va passer. Ça nous emmerderait mais ça nous empêchera pas de faire de la musique. C’est pour ça que je me détache un peu de ce milieu Synth Wave, parce que je n’ai pas envie d’être considéré comme le mec qui est devenu connu grâce au style.

HEADBANG 'TILL YOUR NECK BREAKS.

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