ART

L’art au service de l’actualité

L’art, loin d’être un moyen d’expression fermé et autocentré, n’a de cesse de s’ouvrir au monde qui l’entoure. Il s’inscrit dans une époque, existe en même temps que d’autres évènements dans lesquels il puise son inspiration. L’art est mouvant, en perpétuel mouvement, et ne peut totalement rester de marbre face à l’actualité. Chaque courant artistique n’est-il pas né en réaction à l’atmosphère d’une époque ? Ou, du moins, n’en reflète-t-il pas certains aspects ?

Le dadaïsme était une remise en cause totale de la société, qui s’accompagnait d’une réflexion, voire d’une dénonciation de la montée de l’autoritarisme. John Heartfield, par exemple, laissait transparaître dans ses photomontages son engagement contre l’expansion du nazisme en Allemagne.

John Heartfield, 1936, « N'ayez aucune crainte, il est végétarien »

John Heartfield, 1936, « N’ayez aucune crainte, il est végétarien »

Aujourd’hui qu’en est-il ? Les idées prolifèrent, les communications de plus en plus rapides circulent entre tous les continents, sans se soucier des frontières terrestres, le numérique n’ayant pas les mêmes barrières physiques. L’afflux d’informations est omniprésent dans notre quotidien. Nous sommes sans cesse en proie à des bribes de nouvelles disséminées sur nos fils d’actualités, murmurés dans nos oreilles ou diffusés sur un écran attirant notre œil égaré. Souvent sensationnaliste, offrant une image désastreuse de l’état de nos relations humaines minées par des conflits, l’information internationale ne dispose que d’un point de vue. Celui, ethnocentrique, du pays dans lequel on se trouve. Une catastrophe aura plus ou moins d’impact dans nos médias si des personnes de notre nationalité se retrouvent touchées. Frontières encore.

L’angle de traitement d’un conflit dépendra de nos positions géopolitiques, de nos alliés, et sera exempt de certaines questions centrales. Pourquoi tel pays et non un autre ? Comment en est-on arrivé là ? Quelles ethnies y sont présentes ? Quelle est l’histoire de cette zone géographique ? Dans le passé pourraient être puisées certaines réponses, mais il est plus simple de laisser le passé au passé plutôt que de l’interroger. Et puis, finalement, quelle est la perception de ces êtres humains, ceux qui ont vécu lesdites situations ? Ceux qui ont fui pour essayer de vivre mieux ailleurs ? Ceux qui sont partis, car la situation dans laquelle ils évoluaient n’était plus viable ?

Parfois, la réponse à ces questions ne se trouve plus dans les lieux privilégiés de l’information, mais dans l’art. Cet art qui finit par servir l’actualité, par lui ouvrir une fenêtre sur une autre réalité. Cet espace d’expression que des êtres à la créativité prolifique utilisent pour exprimer leur engagement, mais pas que…  Bouchra Khalili, artiste franco-marocaine, use de ses installations pour émettre ses idées, mais aussi pour ouvrir un espace de discussion et de partage à des humains souvent oubliés par nos médias occidentaux. S’ils ne sont pas oubliés, ils ne sont qu’évoqués, et n’ont pas l’opportunité de se faire entendre. Ils sont en marge.

Détail de The Mapping Journey Project, Bouchra Khalili, 2008-2011

Détail de The Mapping Journey Project, Bouchra Khalili, 2008-2011

Et c’est de ces hommes et de ces femmes que Bouchra Khalili compte nous parler. Entre 2008 et 2011, elle recueille plusieurs témoignages qui tracent une carte du monde différente de celle que l’on observe. Par le biais de huit écrans vidéos focalisés sur huit cartes du monde, huit migrants retracent leur parcours du combattant, leurs péripéties vers un espoir d’avenir meilleur. Huit témoignages poignants qui délivrent enfin une autre réalité. Celle souvent tue des difficultés traversées pour se rendre en Europe. Celle des étapes franchies, entre passeurs, petits boulots temporaires et grands risquent, pour enfin trouver un confort relatif. Ces destins croisés permettent enfin d’ouvrir les yeux sur le chemin parcouru par ces êtres humains qui cherchent refuge, et qui quittent leurs pays non par plaisir, mais par nécessité.

Une fois parti, le retour semble impossible. Une frontière est un obstacle qu’il est urgent de franchir. Si on y est refusé, chacun réessaie, car reculer n’est pas une option. Et une fois établi quelque part, l’incertitude est encore de mise : « I just want to stay, to have a normal life… I hope they let me. »

Détail de The Mapping Journey Project, Bouchra Khalili, 2008-2011

Détail de The Mapping Journey Project, Bouchra Khalili, 2008-2011

Ici, ce ne sont pas les motivations de chacun qui importent, mais cet autre monde qui se dessine sous leurs tracés respectifs. Celui que l’on voit moins. Ce monde fermé, qui ne s’ouvre pas à tous et que l’art nous permet enfin de palper. Heureusement, certains journalistes, et intellectuels permettent de compléter cette démarche, et apportent leurs lumières sur les raisons de ces déplacements de population. Pensons au « Dessous des cartes » de Jean-Christophe Victor, qui, additionné au travail de Bouchra Khalili, permet d’avoir une approche encore un peu plus générale sur l’état de nos frontières. 

Bouchra Khalili – The Mapping Journey Project au Museum of Modern Art (MoMA), New-York City, jusqu’au 10 octobre 2016

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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