SOCIÉTÉ

Jeux Olympiques : Rio ne répond plus

Après avoir accueilli les jeux panaméricains en 2007, le Sommet de la Terre en 2012, la Coupe du monde en 2014, les bras du Christ Rédempteur resteront ouverts pour les Jeux Olympiques qui débutent le 5 août prochain. Rio a boosté sa construction d’infrastructures ces dernières années pour satisfaire les exigences de tels événements internationaux et rayonner aux yeux des touristes. Mais derrière les plages paradisiaques et les rythmes de samba, une ségrégation sociale persistante déchire la ville brésilienne, peu enthousiaste à l’idée d’héberger une nouvelle réunion planétaire qui a coûté des millions.

Un apartheid social

Lorsque le touriste lambda atterrit à l’aéroport de Rio de Janeiro, le sens commun veut qu’il prenne le bus pour rejoindre la zone sud de la ville qui abrite les plus fameux sites, Copacabana et le Mont Pain de Sucre entre autres. Mais pour rejoindre le sud, le touriste doit selon la logique traverser la zone nord qui consiste en une étendue de favelas, les bidonvilles brésiliens. Cette zone, appelée “Maré”, comporte une centaine de quartiers pauvres insalubres.

Marine Petit, étudiante à l’IEP de Strasbourg et en année d’échange à Rio, a accepté de partager sa perception de sa ville d’adoption avec Maze : “On peut difficilement échapper à la vision de la pauvreté à Rio, mais on peut facilement l’ignorer. Sao Conrado qui est par exemple l’une des zones les plus riches de Rio a le même arrêt de bus que la plus grande favela d’Amérique latine, Rossigna. Ce sont deux mondes qui cohabitent donc il est impossible de ne pas voir la pauvreté à Rio. Mais on peut faire comme si elle n’existait pas : quand on prend le bus, il suffit de tourner la tête”.

Carte extraite d'un reportage de RioOnWatch

Source : RioOnWatch

Mais aujourd’hui, tout ce que le touriste aperçoit dans son trajet depuis l’aéroport est un immense mur. Officiellement, une « barrière acoustique » selon le gouvernement, pour immuniser les habitations du bruit de la circulation, mais il apparaît clairement que ce mur opaque ne sert officieusement qu’à cacher la zone de favelas au touriste qui rejoint la partie sud de la ville : la construction récente d’une école corrobore davantage cette suspicion. En effet, le mur devient transparent à l’endroit où l’école flambant neuve est visible depuis la route. Les onze lignes de bus récemment coupées entre le nord et le sud confirment également l’idée selon laquelle on ne veut pas montrer les problèmes de Rio aux touristes. Mais le fait est que les visiteurs viennent et repartent, contrairement aux habitants de Rio qui restent. Les Cariocas sont frustrés que leur gouvernement dépense tant d’argent dans la construction d’infrastructures et néglige d’autres parties de la ville. Certains vont même jusqu’à dire que les jeux servent de bon prétexte au gouvernement pour « nettoyer » la ville, ce qu’il a toujours voulu faire. Et effectivement, 77.200 habitants des quartiers pauvres ont été délogés depuis 2009 en vue des JO, notamment dans le quartier de Barra, situé à l’Ouest de la ville, qui accueille le parc olympique.

barra

Sa construction a fait l’objet d’une série de vidéos publicitaires promotionnelles très dramatiques vantant le « réveil cosmopolitain » de Rio. Carlos Carvalho, un promoteur immobilier nanti qui détient des terrains dans ce quartier, va plus loin en affirmant que son objectif est de créer “la ville de l’élite et du bon goût”. Il veut voir fleurir des habitations nobles et non pas des logements “pour les pauvres”. Son rang de douzième personne la plus riche du Brésil lui vaut une certaine influence politique : il a offert de généreuses donations pour la campagne de l’actuel maire de Rio, Eduardo Paes, auprès duquel il compte réaliser son rêve de cité olympique. La communauté de Vila Autodromo, située non loin du complexe, détonnait déjà dans les plans du magnat de l’immobilier au milieu des résidences privées luxueuses et des immeubles ultramodernes. Il n’a donc pas été surprenant d’apprendre que des avis d’expulsion aient été émis par la municipalité pour déplacer les centaines de familles qui représentaient une barrière au village olympique rêvé.

La police sert le système judiciaire. Le système judiciaire sert Eduardo Paes. Eduardo Paes sert Carlos Carvalho.”

“La police sert le système judiciaire. Le système judiciaire sert Eduardo Paes. Eduardo Paes sert Carlos Carvalho.” Photo : Adam Talbot.

Une gentrification programmée

Les habitants ont été relogés dans des logements sociaux loin du centre et loin de tout regard comme le montre la carte ci-dessous.

public housing

 

Certains ont choisi d’accepter la compensation monétaire du gouvernement sans signe d’hostilité, d’autres ont résisté pour ces foyers bâtis de leurs propres mains et pour la vie qu’ils avaient construite depuis plusieurs décennies dans cette communauté bordée d’arbres fruitiers. Beaucoup moins touchée par les problèmes de drogue et de bande armée que certaines autres favelas, Vila Autodromo – dont le nom est tiré de sa fondation dans les années 1960 par des ouvriers travaillant à la construction d’une piste de course automobile – est décrite comme un havre de paix par ses habitants : la forte entraide entre voisins a développé un sentiment de sécurité et de confiance, les enfants jouent dans les rues et les portes ne se ferment pas à clef.

Pourquoi Vila Autodromo n’aurait pas pu rester adjacente au parc olympique ? Selon les habitants, qui avaient fait appel à des experts architectes, ce n’était visiblement pas un problème d’urbanisme : ces derniers prévoyaient une restauration des logements insalubres, la construction d’écoles, de nouvelles routes et le respect des normes environnementales le long de la lagune. Ce plan coûterait 40 % de moins que la solution de “délocalisation” proposée par la municipalité, selon son coordonnateur, Carlos Vainer, professeur à l’université de Rio.  Mais il est évident que des intérêts économiques entraient en jeu avec la gentrification intentionnée des autorités qui escomptaient augmenter la valeur immobilière du terrain en faisant de cette zone moins favorisée un paradis pour touristes fortunés et couches sociales supérieures.

Les résistants ont dû faire face à une pression de la mairie, se manifestant par des coupures de courant et l’interruption de certains services comme la collecte des déchets ou la poste. Après de violentes luttes avec la police, parfois sanglantes, et d’âpres négociations, 25 familles sur les 600 ont finalement convenu d’un plan avec la mairie pour l’urbanisation de leur communauté. Ils devront pouvoir profiter de leurs nouveaux logements avant le 5 août. “Tout le monde n’a pas un prix”, comme leur slogan le résumait si bien.

Une confrontation entre habitants de Vila Autodromo et des policiers. Source : The Guardian

Une confrontation entre habitants de Vila Autodromo et des policiers. Source : The Guardian

 

Cesar Maia : une favela qui va profiter de l’effet JO

Marine peut nous parler de ce milieu en toute connaissance de cause : après avoir étudié les favelas de manière théorique en cours à la PUC, une université catholique privée de Rio, elle a voulu en apprendre plus en se rendant sur le terrain.  Il faut dire que son université comporte moins de 1 % d’étudiants issus des favelas, la majorité des élèves étant socialement bien située et n’ayant aucune expérience et idée de ce qu’il se passe dans ces quartiers. Dans un premier temps, elle a découvert cet autre monde via une association féministe qui mettait en relation des femmes brésiliennes défavorisées – en quête d’indépendance financière – avec des expatriées installées au Brésil ayant fait des études permettant de les aider à monter leur propre commerce (comptabilité, gestion, marketing etc). Mise en relation avec Fatima, qui voulait ouvrir sa pizzeria, Marine a eu vent d’un autre projet, celui d’une école communautaire dans laquelle sa binôme donnait des cours de théâtre. “Lorsque j’allais aider Fatima, je mangeais et discutais avec les élèves, puis Debora, la directrice du projet. J’ai découvert l’école communautaire comme ça, sans forcément vouloir en faire partie”.

Puis un jour Marine a rejoint Fatima un mercredi, jour des cours de cuisine. “J’adore la cuisine, j’ ai appris aux enfants à faire des bredele, des gâteaux alsaciens, et eux riaient de mon accent. Ils ont réessayé la recette chez eux avec leurs parents. J’ai vraiment commencé à me greffer dans le projet grâce aux cours de cuisine”.

Puis Marine a élargi son domaine d’enseignement avec l’anglais et le français : “je leur apprenais les bases, comme les couleurs et les animaux, puis je leur parlais de la France, de la culture, de la façon dont on vivait. Comme ils étaient très curieux, j’ai invité des étudiants internationaux, allemands, américains, espagnols ou colombiens pour qu’ils viennent évoquer leur pays à l’école”.

Et pourquoi donc cette école parallèle ? Marine me répond que l’état du système éducatif brésilien laisse vraiment à désirer. Certes, l’école publique est gratuite, c’est un bon point, mais l’enseignement est dans un état pitoyable. “Dans le cadre du projet, j’étais en contact avec des enfants de 12 ans qui ne savaient pas lire alors qu’ils sont à l’école publique depuis qu’ils ont 6 ans, donc je me suis demandé ce qu’ils y apprenaient vraiment si ce n’est la lecture. Et la réponse est simple : rien du tout. Les classes sont surchargées, l’absentéisme important et les profs pas encadrés et peu formés. Un programme de lutte contre l’absentéisme a été mis en place, Bolsa familia  : les parents reçoivent un petit revenu si leurs enfants sont scolarisés et répondent présents à l’école. Mais, concrètement, les enfants ont été envoyés dans des établissements où on ne leur apprenait rien, donc l’effet est quasi nul. On se demande comment un pays fait pour se hisser au rang de géant mondial avec un niveau éducatif aussi faible, mais les classes moyennes et supérieures se tournent vers l’enseignement privé dès la maternelle. À l’opposé de la conception méritocratique, au Brésil tu reçois une éducation de qualité si tu as les moyens financiers. L’ascenseur social y est quasiment inexistant. Car l’entrée en université est conditionnée par l’obtention d’un concours, que ces enfants ne sont évidemment pas en capacité de passer. Et c’est un cercle vicieux : les parents de ces enfants ne croient pas en l’éducation et préfèrent donc qu’ils trouvent un petit travail ou mendient au lieu d’aller à l’école. Et c’est dommage parce que je suis convaincue que le Brésil pourrait changer grâce à un bon système éducatif “.

Concernant les résultats du projet, son jeune âge ne permet pas assez de recul pour en juger. Les premiers élèves vont seulement passer les concours d’entrée à l’université mais Marine est très positive : en plus de leur maturité étonnante pour leur âge, les élèves qui font partie de l’école communautaire sont les premiers de leur classe à l’école publique où ils sont assidus (condition d’intégration du projet) et motivés. Ils ont déjà une idée précise du métier qu’ils veulent faire et viennent d’eux-mêmes à “l’école de Debora” comme ils aiment l’appeler. Ils y entraînent parfois même leurs amis. C’est grâce au bouche à oreille que le projet fonctionne et prend de l’ampleur : il recense 144 élèves et 20 moniteurs volontaires qui ne sont autres que des jeunes du quartier, anciens élèves de l’école. Une fois par semaine, Debora les guide pour les préparer à leurs responsabilités au sein de la structure, ils vont chercher des informations sur Internet pour le programme du jour. Marine a le souvenir d’une expérience de filtrage de l’eau visionnée en ligne et qu’ils ont reproduit à l’école avec du matériel trouvé chez eux. Mais les moniteurs ont eux aussi besoin d’approfondir leurs connaissances et, à ce titre, un partenariat avec la PUC s’est développé : régulièrement, au cours d’une journée, on leur donne des cours dans divers domaines pour qu’ils puissent les enseigner ensuite dans l’école communautaire. Cela leur bénéficie également puisque ces cours leur donnent accès à un diplôme.

Cependant, ce projet qui fonctionne si bien fait face à un problème majeur : le local prêté par la municipalité – qui souffre déjà d’une multitude de désagréments sanitaires, électriques et d’évacuation des eaux – menace de leur être retiré, ce qui mettrait un terme à cette expérience innovante. Marine et Debora ont donc lancé une campagne de financement participatif pour sauver l’école. En plus de la générosité des donateurs, elles espèrent pouvoir compter sur les jeux olympiques. Effectivement, Cesar Maia a la chance d’être située suffisamment loin du site des JO pour ne pas souffrir de la vague d’expulsions, mais suffisamment près pour profiter des retombées économiques (positives), à savoir de nouvelles routes, davantage de lignes de bus, sans compter sur le fait que Debora compte ouvrir un service de traiteur qui distribuera des repas aux 500 bénévoles pendant toute la durée des JO et qui aidera au financement d’un nouveau local.

L’expérience aura en tout cas permis à Marine de déconstruire les idées préconçues véhiculées sur les favelas. Souvent on les résume au triptyque “violence, crime, pauvreté”, mais elle n’irait pas jusqu’à parler de “misère humaine” : les intérieurs sont aménagés, les habitants ont des postes de télévision, un travail, ils sont juste les laissés-pour-compte de la politique gouvernementale. “Ce sont des gens qui essaient de s’en sortir de manière honnête mais auxquels on oppose des barrières. Ils souffrent des inégalités, autant que des stéréotypes. Il ne faut pas nier que les favelas peuvent être touchées par le narcotrafic et qu’il peut y avoir des règlements de compte, mais Cesar Maia était un endroit dans lequel je me sentais bien”.

Souhaitons donc une longue vie à l’école de Debora.

Pour en savoir plus sur le projet Bandeirantes Ja, voici le lien de la campagne de crowdfunding : https://fr.ulule.com/projet-bandeirantes-ja/

Pour en savoir plus sur le projet Bandeirantes Ja, voici le lien de la campagne de crowdfunding : https://fr.ulule.com/projet-bandeirantes-ja/

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