LITTÉRATURE

Affaire Dubuisson : La contre-enquête de Philippe Jaenada

« Meurtrière  », « salope  », « collabo  », « traîtresse  » etc…  autant de qualificatifs peu glorieux que l’on pouvait lire dans la presse française lors du célèbre procès de Pauline Dubuisson en 1953. La native de Malo-Les-Bains est rapidement devenue la femme la plus haïe de France, n’hésitant pas à accumuler nombre d’amants allemands, tous bien plus âgés qu’elle, en pleine Occupation. Mais la vie de Pauline Dubuisson prit une tournure tragique lorsque celle-ci fut accusée d’avoir assassiné Félix Bailly, son jeune amant français, après la guerre. Dans son roman La petite femelle (Juliard, 2015), Philippe Jaenada nous livre six cents pages de pur bonheur, entre mélodrame et humour noir.

Un peu d’histoire

L’histoire de Pauline Dubuisson ne vous dit rien ? Pas de panique ! Malgré la postérité littéraire et cinématographique de la vie de Pauline Dubuisson, peu d’œuvres ont retracé avec précision les tenants et les aboutissants de cette terrible affaire. Née en 1927 d’un père entrepreneur et d’une mère au foyer, la jeune Pauline est élevée dans une tradition bourgeoise du nord de la France avec ses trois frères aînés. Plus tard, l’image de sa mère apathique, évanescente et soumise à l’autorité de son mari, convainc Pauline de s’émanciper de la gent masculine et d’assouvir ses besoins de liberté, et ce, malgré la présence de plus en plus pressante de l’envahisseur allemand. Dès lors, seulement âgée de quatorze ans, Pauline devient une femme libre, une sorte de garçon manqué dans la France occupée, et ce sous l’autorité de son père qui veille bien à ce que sa fille ne devienne pas une femme ignorante cantonnée à un simple rôle de ménagère, portrait type de la femme sous l’Occupation. Malgré cette période délétère, la jeune Pauline s’amourache d’un officier allemand et d’un médecin des troupes occupantes, tous deux bien plus âgés qu’elle (ces « ébats » seront jugés à charge lors du fameux procès de 1953). Après la Libération, et après avoir subi les folies de l’épuration (elle a sûrement été tondue, et dira-t-on, violée), elle suit des études de médecine dans le Nord et entame une liaison avec un autre étudiant, Félix Bailly, jeune bourgeois de bonne famille qui n’hésite pas à la demander en mariage à maintes reprises, ce malgré les refus catégoriques de Pauline. Las de cette situation, le jeune étudiant décide de rompre tout contact et finit par se fiancer à une autre. Le 17 Mars 1951, Félix Bailly est retrouvé assassiné à son domicile parisien, Pauline gisant inconsciente à côté de lui, le pistolet à la main. Pour l’accusation, il ne fait aucun doute, Pauline Dubuisson a tué son amant par pure jalousie avant de tenter de mettre fin à ses jours.

Un roman passionnant

Plombée par une instruction très (trop) lourdement à charge, détruite quotidiennement par la presse française (en particulier par deux chroniqueuses : Simone de France et Madeleine Jacob), Pauline sera condamnée à perpétuité (elle sera finalement libérée quelques années plus tard pour bonne conduite). Dans son livre, l’excellent Philippe Jaenada (auteur de Sulak en 2013), réhabilite la jeune femme, en pointant du doigt notamment les zones d’ombres de l’affaire et en remettant en cause l’objectivité des jurés lors du procès. Il rappelle que même soixante ans plus tard, de nombreuses incohérences subsistent et que, même si Pauline Dubuisson n’est pas une femme extraordinaire, elle n’est certainement pas le monstre que l’on a dépeint dans la presse. Palpitant et terriblement audacieux, ce plaidoyer pour la réhabilitation d’une des femmes les plus haies du pays est aussi passionnant pour sa documentation et son historiographie toujours très juste que pour ses digressions acerbes mais tellement hilarantes (l’un des socles du style Jaenada, ce qui rend son écriture si particulière et si efficace). Dans La petite femelle, Philippe Jaenada nous prouve que la littérature peut tout se permettre, qu’elle va partout. Porté par son talent, il s’introduit dans les moindres recoins de l’Histoire et ce grâce à des digressions toujours subtilement retranscrites. En entrant dans la psychologie de ses personnages (réels pour la majorité d’entre eux), en commentant leurs actes et quelque fois en les justifiant, Philippe Jaenada est devenu l’un des meilleurs romanciers du XXIème siècle.

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