LITTÉRATURE

Pèlerinage à Jimbocho

Jimbocho… Jimbocho, voilà un nom qui devrait sonner doux à l’oreille de tous les adeptes de la lecture. Des vieux livres antiques arabes aux derniers romans à succès américains, la cité des livres japonaise me semblait être une promesse d’aventure lors de mon dernier voyage au Japon. Il ne me fallut pas plus d’une ou deux rumeurs la concernant pour décider de conquérir son labyrinthe et partir à la recherche de mon saint Graal littéraire.

Un peu d’histoire

Situé à l’intersection de Yakusuni-Dori et Yakusan-Dori dans le district de Kanda à Tokyo, Jimbocho est reconnu comme étant l’un des quartiers les plus littéraires au monde. Regroupant pas moins de cent soixante-dix librairies consacrées à la vente d’ouvrages neufs ou usagés, il est l’endroit idéal pour tout amateur de lecture désirant occuper son esprit le temps d’un, deux ou trois cafés.

Il tire son nom d’un samurai, Nagaharû Jinbo qui aurait vécu au XVIIe siècle.  En 1903, un feu gigantesque détruit une grande partie de l’arrondissement et un professeur d’université appelé Shigeo Iwamani décide d’ouvrir, à la suite des cendres, un premier magasin de livre qui deviendra plus tard la prestigieuse maison d’édition Iwamani Shoten.

De nos jours, le quartier en est devenu un universitaire et est le haut lieu des intellectuels et des amoureux de l’imaginaire. La majorité des boutiques sont situés sur le côté sud afin de protéger les livres des rayons du soleil.

Que vous cherchiez un livre rare et antique ou le dernier bestseller, Jimbocho et ses dédales de bibliothèque sauront vous l’offrir.

Une épopée de quelques heures

Comme il peut être aisé de le deviner, le quartier s’élève en incontournable pour tout touriste qui possède l’amour des livres. Certes, l’anglais n’est peut-être pas la langue la plus populaire parmi les rayons et le français encore moins, mais une simple balade parmi la senteur odorante des cafés environnant suffit à émoustiller les esprits les plus moroses.

Et s’il y a une chose que j’ai découverte avec bonheur à Jimbocho, c’est que la vieillesse d’un livre a elle aussi un parfum.

En construisant l’itinéraire de mon voyage pour le Japon, j’avais depuis longtemps décidé d’y faire halte.  Un peu tel un pèlerinage personnel, j’espérais y trouver mon saint Graal : les éditions japonaises de Terre des Hommes et de Vol de Nuit d’Antoine de Saint-Exupéry.

Lorsque je fis part de mon projet à certains de mes amis, ils s’écrièrent, tous armés du bon sens populaire :

“Mais tu en as déjà plusieurs exemplaires et tu ne parles pas un mot de japonais !”

Ce à quoi je répondis, tel un rat de bibliothèque égal à lui-même :

“On n’a jamais son livre préféré en quantité suffisante.”

Peut-être auraient-ils davantage été de mon côté s’ils avaient su ce que je m’apprête à vous révéler. Ce qui motivait réellement le cœur de ces fastidieuses futures recherches dans ce quartier littéraire était la chose suivante :

La couverture des deux ouvrages dans leur édition japonaise avait été illustré et préfacé (dans le cas de Terre des Hommes) par Hayao Miyazaki, un réalisateur de films d’animations mondialement connu.

J’avais l’impression que cet objet – un objet que j’ai toujours vénéré, de surcroît –  auquel mes deux artistes préférés avaient contribué, était un peu la concrétisation d’une certaine folie : d’un idéal artistique qui pourrait se tenir dans la paumes de mes mains.

Autant vous le dire, le sacré me semblait être au goût du jour.

Jimbocho

Je mis le pied dans le royaume du livre équipé du strict nécessaire : une photo des deux ouvrages, une carte et une boussole (au Japon la plupart des rues n’ont pas de noms) et une traduction effectué par un ami : Konno Hon wa Arimaska ? Avez-vous ce livre ? J’avais également à ma disposition deux langues occidentales plus ou moins utiles et un sourire se voulant efficace, mais malheureusement sous le joug des aléas de ma timidité.

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Japon, Jimbocho : Photographie, Frédérique V.Patry, avril2016

L’endroit avait définitivement quelque chose de pittoresque, malgré l’aspect électrisant et moderne de Tokyo. Les première boutiques me donnèrent une drôle d’impression ; comme si les libraires du  royaume étaient passé maîtresses dans l’art du chaos organisé.

Les contrastes d’une boutique à l’autre étaient impressionnants : pendant plusieurs minutes, l’uniformité des tons sépia s’installaient pour finalement s’arrêter brusquement à une boutique de mangas ou de light novels. L’humidité des livres était alors remplacé par le froissement du papier plastique. À Jimbocho, aucune thématique n’est oubliée ; je vis de nombreuses estampes et des cartes d’une vieillesse à en faire frémir même les imaginations les plus décrépites.

Il faut le dire : pendant les premières heures, mon objectif s’égara quelque peu.

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Japon, Jimbocho : Photographie, Frédérique V.Patry, avril2016

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Japon, Jimbocho : Photographie, Frédérique V.Patry, avril2016

Je me pris souvent au jeu de mes recherche ; parfois, en montrant ma photo, une grande tirade explicative en japonais démarrait et je hochais la tête sans rien comprendre. À maintes reprises, il m’arriva aussi de m’apercevoir après une dizaine de minutes, à la vue d’un titre en anglais, que j’étais dans une librairie exclusivement consacré aux sciences, à l’art calligraphique ou aux romans érotiques. Je repliais donc ma photographie en riant et m’éclipsais.

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Japon, Jimbocho : Photographie, Frédérique V.Patry, avril2016

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Japon, Jimbocho : Photographie, Frédérique V.Patry, avril2016

Les livres étaient vieux, très vieux.  À certains moments, j’en vins même à douter que les dinosaures n’aient jamais été lettrés.

Et puis… ?

En fin de journée, le glas de la réalité sonna à mes oreilles : je n’avais absolument aucune idée de la popularité de Saint-Exupéry au Japon. Un peu naïvement, j’avais pris pour acquis que puisque son œuvre était universelle, elle devait être partout en vente.

Éloignée, un peu maussade, je déambulais maintenant dans l’équivalent musical de Jimbocho. Ce qui n’était pas pour me déplaire, mais pas pour me ravir non plus.

Je vis alors, entre deux boutiques de sucreries, une dernière petite librairie.

Encore aujourd’hui, je n’ai aucune certitude quant aux types de romans qu’il y avait sur les étagères. Toujours est-il qu’une vieille dame absolument rayonnante m’accueillit et qu’animé de l’énergie du dernier espoir, je lui posai ma question :

” Konno Hon wa Arimaska ? ”

“Chotto matte kudasai [Un instant s’il vous plait].”

Ou à peu près.

Mon cœur se mit à palpiter : se pouvait-il que… ?

À mesure qu’elle continuait à “dialoguer” avec moi, elle tira un petit livre où semblaient être répertoriés toutes les librairies de la région. Elle entoura une suite de caractère et me dit quelque chose en japonais en attendant visiblement une réponse.

J’éclatais franchement de rire et elle aussi.

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Japon, Jimbocho : Photographie, Frédérique V.Patry, avril2016

Elle sortit une carte puis entoura un emplacement en me répétant la même chose. Je devinais aisément que l’endroit entouré était ma destination, mais je n’arrivais pas à comprendre où nous étions positionné. Elle me poussa alors gentiment dans la rue en riant et en me répétant inlassablement la même chose.

Je restai quelques minutes abasourdie sur le trottoir : j’avais la carte et le nom en japonais d’où je pouvais trouver mes ouvrages, mais aucune idée de comment m’y rendre.

Un Japonais qui visiblement avait entendu la conversation m’approcha et me demanda dans un anglais très approximatif : “Vous recherchez… [Insérer ici le nom japonais de la librairie] ?”

Je hochai vigoureusement la tête.

Quelques minutes plus tard, je ressortis de l’immeuble un sourire flamboyant aux lèvres. Les deux livres en main.

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Japon, Jimbocho : Photographie, Frédérique V.Patry, avril2016

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