CINÉMAFestival de Cannes

Perversion et châtiment – Elle de Paul Verhoeven

Paul Verhoeven revient dans nos sales après 10 ans d’absence depuis Black Book et après l’échec artistique Tricked, sorti en catimini directement en DVD. C’est donc entre excitation et appréhension que sort Elle, sélectionné en compétition à Cannes. Mais comme à chaque fois avec le Néerlandais, les choses sont plus ambivalentes qu’elles n’en ont l’air.

Au premier regard, on pouvait craindre le pire : Paul Verhoeven, réalisateur des plus subversifs et rentre-dedans, fait un film français. Avec des acteurs (Isabelle Huppert, Anne Consigny, Charles Berling…) estampillés films d’auteurs bourgeois, comme notre pays en fait tant. L’histoire d’une femme, entourée par une bande d’amis de la jolie banlieue parisienne, qui se fait violer. Mais quel rapport avec Alex Murphy de Robocop qui se fait déchiqueter dans une usine par des coups de feu ? Paul Verhoeven a t-il baissé les bras et capitulé ?

Ce serait oublier que le réalisateur aime faire exploser les cases. Il profite de cette histoire de viol et de perversion pour parasiter de l’intérieur le film d’auteur bourgeois. D’ailleurs, le personnage d’Isabelle Huppert apparaît comme l’équivalent du cinéaste. Les deux se retrouvent dans un milieu qui leur est étranger (le jeu vidéo pour l’une, le film d’auteur français pour l’autre). Et c’est là que l’on retrouve les obsessions du Néerlandais, à savoir l’ambiguïté et l’amoralité. Le personnage principal évolue à contre-courant de la morale (porter plainte par exemple) ou de toute autre convention. Au départ victime de l’agression, elle semble pourtant prendre du plaisir et même rechercher à ce que cela se reproduise. Son imprévisibilité joue donc avec les attentes du spectateur pour le troubler, le heurter et le pousser à penser contre sa morale. En cela, Elle est un pur film de Paul Verhoeven, en langue française.

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Copyright SBS Distribution

Cependant, au-delà de ces atouts, le film déçoit par plusieurs aspects. Tout d’abord, il nous semble que le prolongement logique de cette histoire de perversion appelait à un climax final d’une folie brutale propre au cinéaste. Au lieu de cela, à part un ou deux plans sanglants, la conclusion semble beaucoup trop sage par rapport à ce qu’il nous était promis. L’un des dialogues de l’héroïne ne dit-il pas qu’il faut qu’un personnage soit sage au début, pour se révéler au final démoniaque ? Aussi, le film n’aurait-il pas gagné en intensité étouffante en délaissant ses sous-intrigues vaines (qui couche avec qui) ?

Mais le gros point noir reste la mise en scène. Au départ nous aurions pu penser à une farce. Le film prenant place dans un genre de cinéma français peu ambitieux visuellement, nous avons cru pendant un temps que Paul Verhoeven reprenait volontairement cette imagerie plate. Finalement il semblerait que non, et c’est ce qui est ennuyeux. Il nous avait pourtant habitué à une réalisation ambitieuse et inventive tout au long de sa carrière. Or, force est de constater qu’ici le cinéaste se contente de champs contre champs, et de plans composés à la manière d’un téléfilm. Même les scènes de viols sont visuellement très plates (une caméra à l’épaule qui bouge en plongée). Et ce n’est pas un éclairage rouge dans le coin d’une cave qui changera la donne.

Espérons qu’à l’avenir, en plus que de maintenir sa verve corrosive, il retrouve une mise en scène plus incarnée.

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