CINÉMAFestival de Cannes

Julieta : Almodovar à la place de Zeus

En 2013, Pedro Almodovar nous rappelait ses premiers films des années 1980 avec la comédie burlesque et décalée Los amantes pasajeros, qui dénotait tout d’un coup après des films plus graves réalisés au nouveau millénaire comme La Piel que habito (2011), La mala educación (2004) ou encore Hable con ella (2002). Avec Julieta, film nommé au Festival de Cannes, le réalisateur balaie l’humour et se concentre sur un film portrait de femme, en lui apportant de la nouveauté en même temps.

20, c’est le numéro que porte ce nouveau film dans la filmographie du réalisateur espagnol. 20, c’est aussi le nombre d’années qui sépare les deux comédiennes principales Emma Suarez (51 ans) et Adriana Ugarte (31 ans) qui interprètent un seul et même personnage, celui qui donne son nom au film : Julieta. Deux femmes en une qui évoluent toutes deux pour la première fois sous l’œil et la caméra de Pedro Almodovar. Deux femmes reliées grâce à une serviette de bain dans un merveilleux raccord qui permet au deux actrices de se passer le relais du temps. Mais qui est cette mystérieuse Julieta ?

Julieta a la cinquantaine et semble plutôt aisée, elle s’apprête à quitter Madrid pour partir  au Portugal avec son compagnon. Un déménagement et un bond dans le futur qui apparaissent comme une délivrance pour cette femme qui va pourtant être rattrapée par son passé. Elle croise une amie d’enfance de sa fille qui va lui annoncer qu’elle a vu cette dernière, dont Julieta n’a plus de nouvelles depuis une vingtaine d’années. Le passé refait alors surface et le personnage éponyme se retrouve vite prisonnière entre le futur qu’elle s’empressait de rejoindre et ce passé douloureux qui va la submerger. Espérant retrouver sa fille, Julieta décide de rester à Madrid et de s’installer dans un vieil appartement dans un immeuble où elle a vécu autrefois. Elle ressent alors le désir de tout raconter à sa fille, par écrit et en voix-off, en commençant par la rencontre avec son père Xoan. Et hop, sans surprises, le spectateur retrouve un procédé cinématographique cher au réalisateur, l’emboîtement narratif entre les différents espaces spatio-temporels.

Un film parsemé de symboles

Pedro Almodovar maîtrise parfaitement la mise en scène de ses films, comme beaucoup de grands réalisateurs, rien n’est laissé au hasard. Tout d’abord, le film s’ouvre par un gros plan sur un tissu rouge, porté par Julieta. Une couleur, elle aussi plus que représentative du cinéma du réalisateur et qui symbolise le sexe, la passion, le drame… La caméra est donc axée au centre, entre le cœur, le ventre et le sexe (dont la forme du tissu est proche d’ailleurs) de cette femme que l’on découvre. Cela semble annoncer les événements tragiques qui vont s’enchaîner. La caméra s’éloigne fixant une statuette d’un petit homme en terre cuite dans les mains de Julieta, comme un accouchement de ce seul vestige de son passé et symbole de sa propre fille disparue, qu’elle enfouit dans un carton. C’est aussi une image de la création de l’homme par Zeus dont parle la jeune Julieta, professeure de philologie. Science qui n’est pas non plus un hasard puisque la jeune femme tente par l’écrit de rétablir l’authenticité de son passé qu’elle avait tout fait pour oublier, comme un manuscrit retrouvé. A l’instar des mythes antiques, les dieux anciens semblent avoir bouclé le destin des personnages et les condamner à la douleur sans qu’ils puissent y échapper.

En effet, l’univers hellénique prend tout son sens dans son drame personnel, comme le montre la scène où elle enseigne à ses élèves le mythe d’Ulysse et Calypso, les thèmes du naufrage et de la mer étant les éléments importants des tragiques événements qui se produiront. Dans Julieta, la scène qui reste la plus symbolique est celle du voyage en train, symbole des destinées individuelles et collectives. C’est à ce moment-là que l’héroïne va être confrontée dans un même temps à la mort et à la passion amoureuse, car elle y rencontre Xoan et ils vont y concevoir Antia. Dans un plan magnifique, de nuit, la caméra nous montre uniquement la vitre du wagon où le spectateur aperçoit les deux amants faire l’amour en se fondant dans le paysage qui défile. Comment mieux suggérer le changement qui va s’opérer dans leurs vies que par ce plan onirique et réaliste à la fois ? Auparavant, ils avaient aperçu un cerf courant aux côtés du train, représentant à la fois la mort, la fertilité et la virilité, comme miroir de ce voyage. Ce sont tous ces petits détails géniaux, que l’on aperçoit pas forcément après un premier visionnage, mais qui, inconsciemment, prennent sens ensemble et font de ce dernier film du réalisateur espagnol un grand film, la confirmation d’un talent qui n’était plus à prouver.

Mise en scène parfaite et pourtant…

Alors oui, visuellement, ce nouvel Almodovar réveille nos sens de spectateurs. Que ce soit par les couleurs chaudes, chères au réalisateur, qui colorent la première partie du film ou la photographie du film qui est à couper le souffle. Les images sont effectivement d’une beauté saisissante, aussi bien les paysages de la Galice, que du Pays Basque ou les rues de la capitale espagnole. Almodovar, comme toujours, filme les femmes comme personne, il réussit à faire ressortir la personnalité d’un personnage seulement par un gros plan sur le visage. C’est toujours un plaisir de se rendre compte de quelle manière et avec quelle maîtrise il dirige ses actrices. Le perfectionnisme de chaque plan, de chaque mouvement de caméra est impressionnant. La musique du compositeur Alberto Iglesias est encore une fois sublime et en accord avec les images et l’histoire, elle est d’ailleurs angoissante et annonciatrice dans les premières scènes, un peu à la manière d’Hitchcock. Julieta est par ailleurs un film très Hitchcockien à beaucoup de niveaux.

La structure narrative du film est cohérente, mais au final, pour quelqu’un qui connait bien la filmographie de l’Espagnol tous ces éléments sont du Almodovar. On retrouve dans ce dernier la majorité des topos du réalisateur : les relations mères/filles compliquées, la douleur de la perte, la culpabilité, le deuil, la structure narrative qui ouvre des tiroirs et oscille entre le passé et le présent, l’amour impossible, les non-dits et les secrets enfouis, le tragique, la symbolique, la recherche de son identité personnelle ou sexuelle. Oui, la liste est longue mais ce film oblige à se poser la question : qu’est-ce qu’on attend d’un réalisateur qui a su confirmer son talent ? Doit-il faire ce qu’il fait de mieux puisque cela plait à un public ? Ou doit-on attendre d’être surpris ? Ne demande-ton pas à Scorsese de nous faire du Scorsese, à Tarantino de nous faire du Tarantino ? Ou alors leur demande-t-on de se renouveler tout en conservant leur univers ? Ce sont sûrement des attentes propres à chaque spectateur. Quoi qu’il en soit, ce qui manque au dernier film d’Almodovar, c’est un véritable élément de surprise qui efface cette impression de déjà-vu. Mais peut-être avait-il frappé trop fort avec La Piel que habito ? Le scénario de Julieta est finalement très simple comparé aux films antérieurs du réalisateur, alors non, on ne s’ennuie pas mais on ressent un petit sentiment de manque. Cependant, là où il surprend et fait surement preuve d’une maturité dans son œuvre, c’est que ce petit dernier est son film le moins extravagant, à l’image de ses personnages, et le plus intimiste. Contrairement à ce qui a été dit ce n’est pas un mélodrame mais le drame d’une vie, et ça, c’est innover. Alors finalement, c’est peut-être un pari réussi.

 

 

 

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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