Qu’est-ce que cela signifie de donner la Palme d’or à un film comme Moi, Daniel Blake en 2016 ? Outre la multiplication du nombre d’entrées que la Palme d’or promet au film primé en faisant gage de sa qualité auprès du public international, un palmarès cannois témoigne des évolutions du monde cinématographique.
Les différents événements survenus au cours de l’année ont rendu 2016 éminemment politique, malgré nous. Sans faire un retour exhaustif sur les différents éléments qui ont poussé une part nouvelle de la société à se politiser cette année, on peut rappeler l’émotion que les différents attentats sur des villes européennes ont suscité, le désenchantement de toute une partie de la société française vis-à-vis de la politique menée par le gouvernement ou encore l’agitation liée aux élections à venir aux États-Unis et en France.
Le cinéma est un art révolutionnaire
Le cinéma est en capacité d’agir face aux troubles sociaux actuels, ou du moins il peut en témoigner, et cela suppose une certaine responsabilité de la part des cinéastes dans le choix des enjeux dont ils parlent et dans la manière dont ils les traitent. Cette responsabilité est la même pour les jurés du Festival de Cannes au vu de la manière dont ils façonnent l’idée que l’on se fait du cinéma français. Cela dit, la Palme d’or est une récompense artistique, elle revient au film qui fait le meilleur usage des moyens cinématographiques pour s’exprimer. En ce sens, les films qui ont été récompensés cette année et l’an dernier (Moi, Daniel Blake de Ken Loach et Dheepan de Jacques Audiard) témoignent de l’incompréhension du jury cannois au regard de la manière dont le cinéma interagit avec le monde. La politique cannoise des deux dernières années a été de choisir des films bien-pensants d’apparence, humanistes et engagés dans le choix des thèmes dont ils traitent (l’immigration chez Audiard, les dysfonctionnements du système administratif chez Loach). Mais un film de cinéma n’est pas un tract, il ne suffit pas d’évoquer des thèmes sociaux pour qu’un film devienne politique.
Le cinéma est révolutionnaire par nature : chaque film met en place un univers propre qui réorganise le monde selon la vision d’un homme, le cinéaste. De ce fait, le cinéma n’a nul besoin de traiter de thèmes sociaux pour changer notre vision du monde, chaque image fait sens pour le spectateur et l’interroge sur sa propre façon de penser. Le jury cannois fait fausse route, il se trompe à la fois sur la manière dont un film fonctionne et sur la signification du “politique”. Le politique ce n’est pas la politique et ce n’est pas non plus l’ensemble des problèmes sociaux actuels. Le politique c’est la recherche du bien commun, c’est-à-dire du bonheur du plus grand nombre.
Le monde a besoin d’espoir, de folie
Toni Erdmann, le grand absent du palmarès de cette année, est un film dont la diffusion fera du bien. D’abord, parce qu’il parvient à nous divertir de notre réalité quotidienne pendant plus de deux heures (est-ce que ce n’est pas la priorité du cinéma que de nous faire oublier nos problèmes le temps d’une projection ?). Mais surtout, parce qu’il cherche constamment à rompre avec l’idéologie actuelle, à nous prouver que le bonheur n’est pas là où l’on nous fait croire qu’il se cache.
La séquence durant laquelle la jeune femme qui joue le rôle principal se voit contrainte de chanter pour remercier une famille roumaine qui l’a accueillie elle et son père est bien plus politique que les coups de gueule poussés par Daniel Blake dans les bureaux du Pôle emploi britannique. Pourquoi ? Parce qu’à travers le travail du plan long donnant à voir l’évolution de l’attitude de la jeune femme qui commence par tirer la gueule puis qui, peu à peu, se libère et prend plaisir à chanter, c’est l’émancipation d’un individu face à l’oppression du système capitaliste qui est à l’image. Ken Loach nous chagrine avec les injustices actuelles là où Maren Ade pointe du doigt des solutions et nous invite à les rendre effectives.
Bref, vous l’aurez sûrement compris, on n’est pas tout à fait satisfaits du palmarès de cette 69ème édition du Festival. L’an 2016 avait besoin d’espoir, de folie et puisqu’on ne peut pas dire que les vingt-et-un films de la sélection ne laissaient pas le choix, on a refait le palmarès à notre sauce ! Notre Palme d’or ira pour Toni Erdmann sans hésitation, un choix qui aurait été historique si le véritable jury avait eu la bonne idée de le faire puisque Maren Ade aurait été la deuxième femme à être palmée en soixante-neuf éditions.
Palme d’or – Toni Erdmann de Maren Ade
Grand Prix – Rester Vertical d’Alain Guiraudie
Prix de la mise en scène – The Neon Demon de Nicolas Winding Refn
Prix du Jury – Aquarius de Kleber Mendonça Filho
Prix du scénario – Mademoiselle de Park Chan-Wook
Prix de l’interprétation féminine – Sasha Lane dans American Honey de Andrea Arnold
Prix de l’interprétation masculine – Adam Driver dans Paterson de Jim Jarmusch