SOCIÉTÉ

Au Venezuela, la lumière n’est plus

Changement de fuseau horaire, réduction du temps de travail des fonctionnaires à deux jours hebdomadaires, files d’attente de plusieurs heures devant les magasins. Si ce panorama semble irréel, il est pourtant quotidien au Venezuela, qui traverse actuellement une crise énergétique considérable venant s’ajouter à un climat économique et politique délétère depuis de nombreux mois.

Au Venezuela, les files d’attente font partie de la routine des habitants depuis plusieurs années maintenant. A l’instar des queues devant les magasins dans les dernières années de l’URSS, elles sont devenues un lieu d’interactions entre les habitants qui s’arment de patience, et sont le fait de la rareté de diverses denrées, notamment alimentaires. Les coupures d’électricité et l’insécurité ne sont pas nouvelles non plus, comme le note le journaliste Daniel Pardo pour le site BBC Mundo. Cependant, ces trois caractéristiques de la société vénézuélienne se sont accrues jusqu’à atteindre aujourd’hui un niveau paroxystique. Elles sont le reflet de la conjonction de trois crises : économique, politique et plus récemment énergétique qui frappent le pays et ses habitants, ainsi que d’une gestion de la situation particulièrement catastrophique par le gouvernement et le Président Maduro.

Des heures d'attente devant un supermarché à Caracas. Source : AFP.

Des heures d’attente devant un supermarché à Caracas. Source : AFP.

L’eau et l’électricité, des denrées en voie de raréfaction

Le Comité de Afectados por los Apagones, littéralement, le « Comité des personnes affectées par les coupures de courant » a enregistré 8 250 coupures d’électricité durant les trois derniers mois. A la suite de la crise électrique de 2009, les Vénézuéliens s’étaient habitués à des coupures de courant fréquentes, et l’allocation de subventions par le gouvernement de Chávez avait permis à la plupart d’acheter des mini-centrales électriques miniatures domestiques. Cependant, aujourd’hui, la situation énergétique est critique et vient se rajouter à la forte récession économique et à la crise institutionnelle que connaît le Venezuela depuis plusieurs mois, et en particulier depuis la mort d’Hugo Chávez en mars 2013.

De même Caracas, si elle est moins touchée par les coupures de courant, est frappée par de graves coupures d’eau à l’instar du reste du pays ; comme le souligne très justement Daniel Pardo, dans les quartiers populaires vénézuéliens, les réservoirs d’eau installés sur les toits des maisons par les habitants se sont accumulés à côté des antennes satellites. Si cela permet de contourner les rationnements, le problème de la qualité de l’eau n’en reste pas moindre.

Une installation de récolte de l'eau de pluie au Venezuela. Source : AFP

Une installation de récolte de l’eau de pluie dans un quartier populaire de Caracas. Source : AFP

C’est donc une situation sanitaire déplorable que traverse actuellement le Venezuela ; amplifiée par la crise énergétique, les pénuries se font nombreuses : des produits de première nécessité tels que l’eau, les aliments mais également les médicaments nécessitent des heures d’attente devant les magasins ou les pharmacies auxquelles s’ajoute l’incertitude de pouvoir les obtenir. Les hôpitaux sont menacés par les nombreuses coupures de courant ; la baisse du pouvoir d’achat, couplée à la pénurie des biens de première nécessité, détériore encore plus l’économie et place surtout de nombreuses familles dans une situation d’insécurité alimentaire.

Des mesures drastiques fortement contestées

Face à cet enfoncement du pays dans une crise énergétique de grande ampleur, un plan de rationnement en électricité a été annoncé par le gouvernement qui a mis en place plusieurs mesures drastiques. Début avril, Nicolas Maduro avait annoncé des week-ends de trois jours pour les fonctionnaires du secteur public vénézuélien ; le mardi 26 avril, le gouvernement a finalement décrété que les fonctionnaires ne travailleraient plus que le lundi et le mardi afin de réduire les dépenses en électricité. Les grands consommateurs de courant, parmi lesquels les centres commerciaux ainsi que les hôtels, sont maintenant priés de subvenir à leurs besoins en électricité neuf heures par jour, ce qui a causé la réduction des horaires d’ouverture des centres commerciaux et accru le problème des longues files d’attente. Enfin, l’heure a été avancée de trente minutes afin de  s’aligner sur le fuseau horaire -04H00 GMT le 1er mai dernier, en même temps que la proclamation de coupures de courant de quatre heures quotidiennes et étendues sur quarante jours.

Des besoins de première nécessité qui se raréfient. Source : Getty.

Des besoins de première nécessité qui se raréfient. Source : Getty.

Le grave phénomène de sécheresse El Niño a lourdement affecté l’approvisionnement en électricité en frappant fortement la principale base hydroélectrique de Guri localisée au sud du pays et qui représente 70 % de la production de l’électricité consumée. Pour autant, si ces conséquences sur la situation actuelle sont non négligeables, beaucoup voient en la mauvaise gestion des ressources énergétiques, et notamment de la centrale de Guri par le gouvernement, la principale cause de cette crise. De même, de nombreux détracteurs du régime remettent en question l’efficacité des mesures prises qui risquent de contribuer selon eux à une aggravation de la situation.

Une crise énergétique qui vient s’ajouter à un climat politique et économique anxiogène

La chute internationale des cours du pétrole au cours des dernières années a terriblement affecté le Venezuela, plus grand producteur de brut au monde et dépendant quasi totalement de ses exportations en or noir qui représentent 96 % de ses devises. Victime d’une inflation galopante qui a dépassé les 180 % en 2015 – le FMI prévoit des chiffres vertigineux qui avoisinent les 720 % pour 2016 – la société vénézuélienne paie les tributs d’un modèle dépendant de ses exportations pétrolières. La récession économique a eu de graves conséquences sur les conditions sociales des individus, avec un niveau de pauvreté se rapprochant des 50 % de la population totale, de fortes inégalités économiques et un niveau d’insécurité effrayant. Devenue ville la plus dangereuse au monde selon les chiffres du Conseil Citoyen pour la Sécurité Publique et la Justice Pénale en 2016 avec une moyenne de 120 homicides pour 100 000 habitants, Caracas est l’incarnation d’un pays en grave difficulté. Aussi,  la crise énergétique accentue l’insécurité déjà endémique avec les coupures régulières de courant.

La crise politique à laquelle est confronté le gouvernement est de ce fait en grande partie due au mécontentement de la population, surtout à l’égard d’un homme : Nicolas Maduro. En effet, il  n’arrive pas à endosser le rôle de successeur du charismatique Hugo Chávez et peine à perpétuer l’idéologie chaviste dont on constate aujourd’hui qu’elle est difficilement détachable de la figure de l’ancien président. Chacune des déclarations de l’actuel président est attendue avec impatience par ses détracteurs, malheureusement pas en raison des propositions émises mais pour le potentiel comique que revêtent ses sorties médiatiques. A commencer par celle dans laquelle il affirmait avoir aperçu l’ancien président dans un rêve sous la forme d’un « pajarito chiquitico », c’est à dire un tout petit oiseau.

Nicolas Maduro pendant un discours. Source : REUTERS.

Cependant, c’est un mécontentement général à l’égard d’un régime tout entier rongé par la corruption qui est exprimé par la population depuis de nombreux mois et qui s’est manifesté par la victoire de l’opposition aux élections parlementaires de décembre 2015. De plus, les mouvements d’opposition, menés par la coalition de droite de la Mesa de la Unidad Democrática (MUD) dénoncent l’emprisonnement de la plupart de leurs membres, à commencer par une de ses figures, le politicien Leopoldo López.

Vers une révocation du président Maduro ?

Si les protestations contre le pouvoir en place sont monnaie courante depuis de nombreux mois, elles sont en recrudescence depuis le début du plan de rationnement en électricité qui a aggravé les nombreuses pénuries. Dans la ville de Maracaibo, des manifestations ont éclaté fin avril où ont été reportées la destruction de commerces ainsi que l’arrestation de dizaines de manifestants. Une exaspération populaire qui n’en finit plus de croître et qui n’est pas sans rappeler le Caracazo de 1989, un ensemble de manifestations et d’émeutes contre les réformes néolibérales qui avait mené à une répression violente de l’État et une déstabilisation des institutions politiques.

Enfin, le processus de référendum révocatoire amorcé le 26 avril renforce la pression sur le président Maduro. Ainsi, le Conseil National Électoral (CNE) a remis au MUD, principal parti d’opposition, le formulaire nécessaire à distribuer à la population afin de pouvoir activer ce processus de référendum révocatoire qui peut, selon la Constitution, être sollicité après la moitié du mandat présidentiel, soit le 19 avril dernier pour Nicolas Maduro. Ils doivent recueillir au cours des 30 jours comptant à partir du 26 avril la signature de 1 % des électeurs, soit un peu moins de 200 000 personnes.

Si ces signatures sont réunies, l’opposition, qui critique la réduction du temps de travail des fonctionnaires, la considérant comme un obstacle au retour des formulaires, devra ensuite récolter quatre millions de voix pour pouvoir organiser ce référendum. Les prochaines semaines devraient donc nous indiquer vers quelle voie s’oriente la résolution de cette crise dont les conséquences risquent d’être profondes pour le pays.

Diplômé de Sciences Po Toulouse. Adepte des phrases sans fin, passionné par la géopolitique et la justice transitionnelle, avec un petit faible pour l'Amérique latine. J'aime autant le sport que la politique et le café que la bière. paul@maze.fr

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