ART

L’enseignement aux Beaux-arts : entre académisme et nouveaux médias

À l’apparition des premières écoles d’art, on pense notamment à l’Académie de Peinture et de Sculpture en 1648, l’apprentissage du dessin technique était obligatoire. Il faut dire que les fondateurs prévoyaient un enseignement basé en majorité sur l’apprentissage du modèle vivant. Découlant du  classicisme, l’art se devait de se plier à des règles traditionnelles. Les plus doués étaient même nommés « académiciens ».

Aujourd’hui l’association des « beaux-arts  » à « capacités-extraordinaires-en reproduction-du-réel  » reste toujours bien logée dans l’esprit de nombreuses personnes et tout étudiant en art a déjà entendu cette fameuse phrase « Tu étudies aux beaux-arts ? Tu dois très bien savoir dessiner ! ».

L’enseignement artistique a cependant beaucoup évolué au cours des siècles et l’on peut se demander vers quoi il tend aujourd’hui.

L’art, similairement à toute autre discipline, impose un apprentissage. Rappelons que le mot « art  » vient du latin ars  : « habileté, métier, connaissance technique ». Comme une langue étrangère, il est composé de ce que l’on pourrait qualifier de « langage des formes  ». Pour pouvoir le parler et le comprendre, il faut apprendre à le manipuler, s’exercer, et bien sûr maîtriser les règles de grammaire. L’académisme pourrait s’apparenter à une de ces règles. Nombreux ont été les peintres à passer d’abord par un enseignement technique pour s’en éloigner.
Pablo Picasso possédait une technique à rendre jaloux Michel Ange avant de se tourner vers de nouvelles formes de représentation.

Portrait de sa mère (1896) - Musée Picasso

Portrait de sa mère (1896) – Musée Picasso

Portrait de Marie-Thérèse (1937) - Jean-Gilles Berizzi

Portrait de Marie-Thérèse (1937) – Jean-Gilles Berizzi

Le cubisme et Picasso en particulier, s’est en partie inspiré de l’art primitif et africain. Formes simplifiées, angulaires, géométriques. De nombreux masques et objets issus de la culture africaine ont été ramenés en Occident fin XIXe siècle et début XXe siècle du fait de l’expansion du second espace colonial français qui s’intensifie dès le milieu du XIXe siècle avec par exemple l’acquisition de la côte du Gabon en 1862. L’artiste a réagi à un contexte qui donnait à voir de nouvelles formes, une nouvelle culture, et a fait évoluer le vocabulaire de la représentation.

Réagissons-nous aujourd’hui aux techniques de représentation contemporaine ?

Dans Les considérations inactuelles (1874), Nietzsche dit « […] je pense que nous sommes tous dévorés par la fièvre de l’histoire et que nous devrions au moins nous en rendre compte ». Se nourrir de l’extérieur, voilà l’un des dogmes de l’art. Pourtant parfois nous nous restreignons à nous nourrir surtout du passé.
Nous entrons dans l’ère du numérique et toutes les écoles d’art offrent aujourd’hui un enseignement vidéo et photographie numérique, on peut même recenser de plus en plus l’apparition d’ateliers son. Cependant les enseignements plus spécialisés comme l’électronique, la programmation, ou le web design restent des champs auxquels les élèves sont très peu sensibilisés.
L’art numérique voit ses débuts autour des années 1950 avec les arts visuels, avant que cette technique pénètre peu à peu toutes les formes d’art comme le cinéma ou les arts du spectacle vivant. Très rapidement les nouvelles possibilités qu’offraient ces nouveaux médiums ont été investies. On voit dès 1980 l’apparition d’installations interactives comme celle-ci, musicale et visuelle, Sonopticon des artistes français Jean-Robert Sedano et Solveig d’Orry. L’art continue d’évoluer avec l’innovation avec très récemment, au Palais de Tokyo, l’exposition 8 phases de l’illumination (2015). Ce projet, où entre en collaboration Aramique, Mau Morgo, Gary Gunn, Marta Armengol, Guillermo Santoma, Jeff Crouse, Nicolas Dufoure et Hugo Arcier, mettaient en scène une installation immersive qui sollicite l’usage d’Oculus Rift. Les artistes avaient créé un deuxième environnement visuel auquel on accédait via le casque et qui faisait évoluer les formes du réel.

Ce sont des techniques qui nécessitent du temps et des moyens. L’effort d’apprentissage peut être désarmant, le monde du numérique reste encore mystérieux, incompréhensible et abstrait, c’est pourquoi une initiation en autodidacte peut se trouver complexe. Des écoles comme les Beaux-arts de Paris, la HEAR (Strasbourg) ou l’EESAB (Rennes), ne proposent pas encore d’enseignement long et propice à la maîtrise d’une base de ces nouveaux médias.
Si l’ESACM (Clermont-Ferrand) offre à ses étudiants en première année (durant un semestre) l’apprentissage des bases de la programmation, ou si l’ISdAT (Toulouse) possède un atelier numérique, c’est certainement l’ESAAix (Aix en Provence) qui semble cependant la plus spécialisée avec ses ateliers hypermédia et mécatronique.

Il ne s’agit pas de privilégier une technique à une autre, mais plutôt d’actualiser les anciennes, et de prôner une variété d’apprentissage. Si « perspective », « modèle vivant », « sculpture » restent des cours enseignés aux Beaux-arts, à quand « programmation », « robotique » et « espace virtuel » ? Certains enseignants trouvent affligeant la perte aux beaux-arts des techniques anciennes comme la gravure, il me semble tout autant affligeant de n’y trouver aucun atelier autour des nouvelles technologies. L’image et le numérique sont intrinsèques à notre société, et comprendre leur langage semble nécessaire à l’art visuel et plastique contemporain.

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