ART

Avis de tempête au Guggenheim

« But a Storm Is Blowing from Paradise : Contemporary Art of the Middle East and North Africa ». (Mais une Tempête Souffle du Paradis : Art contemporain du Moyen Orient et d’Afrique du Nord). C’est par ce nom poétique que nous invite le musée Guggenheim de New York à découvrir l’art très méconnu du Moyen Orient et du Maghreb. Subtile et actuelle, cette exposition n’est pas naïve et invite au contraire le spectateur à découvrir, mais aussi à remettre en question et s’interroger.

Troisième volet, ou plutôt mise en scène de l’initiative MAP d’UBS et de la fondation Guggenheim « But à Storm Is Blowing from Paradise » propose aux visiteurs non pas une simple exposition ; mais plutôt une interaction, une connexion, avec des artistes, mais aussi des populations de différentes régions. Selon Richard Armstrong, dirigeant du musée Guggenheim, « la rencontre des acteurs de ces expositions, curateurs, écrivains, journalistes, universitaires et artistes, a fait disparaitre des vérités préconçues à New York. Ces expositions fournissent aux spectateurs de nouveaux angles de vue, sur le futur, mais leur permet aussi de reconsidérer le présent, et parfois même le passé ».

“In this exhibition, I explored ideas around migration, the movement of ideas, the movement of people.”

–  Sara Raza, MAP Curator

Faire du Moyen Orient et du Maghreb, souvent représentés comme une véritable poudrière, une simple zone de guerres et de conflits est une erreur. Bien au contraire, les artistes de la région s’efforcent de transmettre à travers de nombreuses réalisations leurs espoirs, les anxiétés et les idées de cette zone. L’exposition ne s’arrête cependant pas là et va bien plus loin en explorant le pouvoir de l’architecture et l’héritage du passé colonial. Il est en effet facile et commode d’oublier le rôle majeur des puissances occidentales dans la situation et les équilibres actuels de la région. L’architecture est, quant à elle, le symbole de la modernisation de cette région. Les grattes-ciel du Golfe en sont le témoignage.

Kader Attia, Untitled (Ghardaïa), 2009 Couscous, two inkjet prints, and five photocopy prints / Photo : David Heald

Troisième thème majeur mis en valeur par la curatrice : la migration. Mais pas seulement celle des hommes, celle des idées aussi. Car au-delà de ce que David Cameron qualifie d’une « bande de migrants », ce sont des hommes qui s’échouent sur les côtes européennes, ce sont aussi des idées, des rêves, des compétences, et surtout une vision différente du monde. L’œuvre d’Ori Gersht, Evaders nous rappelle que nous aussi, européens avons été à cette place. Cette vidéo de quinze minutes retrace le parcours d’un philosophe allemand tentant de fuir la France occupée. Se voyant refuser l’accès à l’Espagne (pour ensuite rejoindre le Portugal et les États-Unis), il choisit de se suicider. Sa périlleuse odyssée, une traversée des Pyrénées à pied, n’est pas sans rappeler celle de nombreux migrants d’aujourd’hui.

 

“I’m interested in […] how architecture plays such a central role in […] the making of the modern Middle East, and how it has been used, and in some cases, abused, as a tool to mobilize the masses.”

–  Sara Raza, MAP Curator

Réduire cette exposition aux migrants serait cependant regrettable, son regard sur l’architecture de la région évoqué plus haut, mais aussi ses interrogations sur les valeurs morales des sociétés arabes sont autant de clés qui permettent de mieux comprendre les équilibres qui régissent le Moyen Orient. Bien loin d’être figées, ces sociétés sont en effet en constante évolution. Inspiratrices de l’Occident et inspirées par ce dernier, la créativité du monde arabe est relativement méconnu, et trop souvent plagié (Le Corbusier, Newton…) par ceux qui ont appris à la connaître.

Mais de tous ces éléments, ces idées, ces témoignages, une question semble ressortir : Qu’est-ce que le Moyen Orient ? Ou plutôt, quelle perception en avons-nous ? C’est ici que la magie opère car aucune « bonne réponse » n’est possible. Il appartient à chacun de se forger une opinion sur cette région, sa culture et ses habitants. Le rôle de cette exposition est ainsi celui d’une passerelle qui est rendue accessible par le questionnement du spectateur. Dans l’ère du « tout, tout de suite », cette invitation à s’arrêter et se questionner, bien loin d’être obsolète, nous offre quelque chose qui semble se raréfier dans nos sociétés actuelles : un esprit critique, soit le fait de s’interroger et d’examiner avant de juger.

L’exposition se tiendra à New York du 29 avril au 5 octobre 2016 puis sera transférée au musée Pera à Istanbul au printemps 2017.

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