Le 28 janvier dernier, la directrice générale de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s’alertait d’une propagation de manière « explosive » de l’épidémie de Zika en Amérique centrale latine et convoquait une réunion d’urgence le 1er février à l’issue de laquelle Zika était déclarée comme une « urgence de santé publique de portée internationale ».
Une mise en alerte d’une vitesse inouïe
En novembre 2015, le recensement d’un nombre anormal de microcéphalies, une anomalie du développement du cerveau de l’enfant pouvant conduire à des interruptions médicales de grossesse, a fini par alerter les autorités brésiliennes sur le développement d’une épidémie de grande ampleur due au virus Zika. Si la relation de cause à effet était très fortement suspectée, elle a été scientifiquement établie le 4 mars dernier par des chercheurs américains, contredisant par ailleurs le rapport de médecins argentins et brésiliens mettant en cause le pyriproxyfene, un insecticide produit par l’entreprise japonaise Sumitomo, comme cause principale de l’explosion des cas de microcéphalies.
La mort début février de trois Colombiennes qui étaient atteintes de Zika mais également du syndrome de Guillain-Barré, une forme grave de paralysie des membres, a étendu les suspicions concernant les effets de Zika ainsi que les craintes des conséquences de sa propagation massive. Le 1er mars dernier, des chercheurs français ont corroboré ces craintes en établissant également un lien scientifique entre le virus et ce syndrome, contribuant à l’intensification de l’agitation politique et médiatique autour de cette question.
Ainsi, si les femmes enceintes présentaient jusque là le seul risque d’infection, avec la propagation exponentielle annoncée par l’OMS, estimée entre trois et quatre millions de nouveaux cas, il en est désormais autrement.
Des origines lointaines mais une prise de conscience tardive
Zika vient d’une forêt éponyme en Ouganda d’où est originaire ce virus, détecté pour la première fois en 1947. Comme la dengue et le chikungunya, c’est un arbovirus en ce sens qu’il se transmet par piqûre de moustique. Le moustique vecteur du virus, à l’instar de la dengue ou du moustique tigre, appartient à la famille des Aedes (aegypti et albopictus). Un moustique devient porteur du virus dès lors qu’il pique un individu contaminé, et l’insecte le transmettra en piquant une autre personne. Le danger réside dans le fait que malgré l’apparition des symptômes dans une durée de trois à douze jours après la piqûre, un individu porteur du virus peut le transmettre à partir du moment où il a été contaminé, d’où les recommandations des gouvernements sud-américains et de l’OMS concernant la nécessité d’éviter d’être piqué pour stopper la propagation pandémique.
La première épidémie importante s’était déclarée en 2007 sur l’île de Yap, dans les Etats fédérés de Micronésie, dans le Pacifique, avant le recensement de 28 000 cas en Polynésie française en 2013 et 2014. Ainsi, le virus est connu depuis longtemps par les médecins, mais il a longtemps été considéré inoffensif sur l’homme, ce à quoi s’ajoute le fait que, dans 80 % des cas touchés, le virus s’avère asymptomatique. C’est en majorité pour cette raison qu’il y a eu une prise de conscience très (trop ?) tardive du développement et des conséquences de ce virus.
Une contamination pandémique en Amérique latine et centrale
Pays le plus touché par Zika, le Brésil a recensé pas moins de 5000 cas de microcéphalie dont 745 pour lesquels le lien au virus est scientifiquement avéré depuis octobre 2015, contre en moyenne 150 à 200 cas par an entre 2010 et 2014. De nombreux scientifiques font l’analogie de la démultiplication des cas avec la Coupe du Monde 2014, où des populations étrangères touchées auraient pu contribuer à sa diffusion pandémique dans la zone.
Déjà 37 pays sont touchés par le virus, dont la majorité des pays d’Amérique du Sud – à l’exception de l’Argentine, de l’Uruguay, du Pérou et du Chili – et d’Amérique centrale. La maladie a ainsi fait son apparition dans plusieurs pays d’Europe, aux Etats-Unis, en Russie, en Chine ou encore en Australie au travers de cas « importés » d’individus revenant des zones touchées. Le Cap Vert est, semble-t-il le seul pays africain contaminé, alors que certaines zones d’Asie du Sud-Est et du Pacifique le sont également. Mis à part quelques cas sporadiques, c’est donc avant tout une épidémie qui concerne le continent américain, et en particulier l’Amérique du Sud et centrale.

Carte des pays d’Amérique centrale et latine touchés par le virus Zika.
Source : Centers for Disease Control and Prevention.
En effet, malgré la déclaration de nombreux cas dans les territoires français d’outre-mer, en particulier en Martinique avec plus de 100 cas recensés fin janvier, mais également en Guyane et en Guadeloupe, l’extension de l’épidémie en métropole a de très faibles chances d’être pandémique. Selon Rodolphe Hamel, ingénieur à l’Institut de recherche et de développement (IRD), « il est très peu probable que survienne en métropole une épidémie de grande ampleur, ce virus se propageant plutôt en zones tropicales ». Ainsi, les quelques foyers en France métropolitaine s’avèrent être sporadiques et isolés, et seront vraisemblablement rapidement maîtrisés. Cependant, une très forte épidémie est à craindre dans les territoires d’outre-mer et représente un défi majeur pour le gouvernement français. Jusqu’à présent, seuls les trois cas en Colombie, deuxième pays touché par le virus, ont été scientifiquement reliés à Zika, mais plusieurs décès fortement suspectés d’avoir été causés par Zika sont actuellement en train d’être analysés.
Un phénomène très vite labellisé comme une crise humanitaire
Depuis novembre, plusieurs déclarations et recommandations ont été faites par différents gouvernements d’Amérique latine, à commencer par le Brésil, afin de prévenir l’endémisation du virus dans cette région. La labellisation de cette épidémie comme une crise humanitaire s’est concrétisée après que l’OMS ait décrété que le virus Zika était une « urgence de santé publique de portée internationale » le 1er février dernier. Cette qualification qui réfère selon la définition de l’OMS à « un événement extraordinaire dont il est déterminé qu’il constitue un risque pour la santé publique dans d’autres États en raison du risque de propagation internationale de maladies et qu’il peut requérir une action internationale coordonnée » a pour but d’activer l’action internationale et les recherches afin d’éradiquer la propagation du virus. Critiquée pour la lenteur de sa réaction face à Ebola, l’OMS a ici décidé de prendre à bras le corps cette crise dans le but de stopper l’extension du virus, d’autant plus que l’absence de vaccin et le climat tropical propice à sa diffusion renforcent les inquiétudes.
Les mesures prises par l’OMS comme par de nombreux gouvernements concernent de ce fait une sensibilisation accrue des risques de contamination, et l’énonciation de nombreuses recommandations. La Ministre de la Santé Marisol Touraine a notamment recommandé le 28 janvier dernier aux femmes enceintes de repousser leurs éventuels voyages en Guyane ou aux Antilles. En parallèle de l’intensification des recherches afin de trouver des moyens rapides de diagnostiquer le virus, l’OMS a insisté sur la nécessité de communiquer sur les risques du virus et sur les moyens de lutte antivectorielle pour informer les populations et répondre à leurs inquiétudes. La lutte contre la propagation de Zika passe donc majoritairement par des campagnes de prévention et la publication fréquente de recommandations afin de sensibiliser le plus possible les individus de cette région. Ces recommandations ciblent en particulier les femmes enceintes afin de réduire leur risque d’exposition, avec notamment le port de vêtements couvrants et l’utilisation de répulsifs, mais également d’éviter tout rapport sexuel avec un partenaire venant d’une zone contaminée, ou alors avec un préservatif. Cette recommandation relance par la même occasion le sempiternel débat sur la contraception et sur l’avortement dans des pays où l’interruption volontaire de grossesse est souvent illégal, ou restreint à certaines conditions.

Une affiche de sensibilisation dans le cadre de la campagne de prévention du Ministère de la Santé péruvien contre Zika à la station de bus de Plaza Norte à Lima.
Source : Mariana Bazo / Reuters
Zika, un virus aux enjeux politiques ?
En rentrant de son voyage au Mexique le 18 février dernier, le pape François a réaffirmé que l’avortement était un « crime » et que la contraception pouvait être un moindre mal afin de lutter contre l’épidémie. Cette déclaration a fait écho à la demande de l’ONU quelques jours auparavant d’autoriser l’accès à l’avortement aux femmes dans les pays touchés, relançant par la même occasion le débat éthique et politique autour de cette question, dans des pays majoritairement catholiques.
Il semble nécessaire de rappeler que l’interruption volontaire de grossesse est passible de prison au Brésil, sauf dans le cas où la vie de la mère est en danger et en cas de viol, à l’instar du Chili. Dans les autres pays d’Amérique latine, à l’exception de l’Uruguay, de la Guyane et de la Guyane française où elle est légale sans aucune restriction, l’avortement est légal pour des raisons de santé. Ainsi, cette crise humanitaire va-t-elle relancer le débat sur l’interruption volontaire de grossesse dans ces pays, et en particulier au Brésil ? Nous le saurons dans les prochains mois, même si l’influence de l’Eglise catholique sur la question laisse présager des débats et de nombreux clivages au sein des sociétés sud-américaines.
Enfin, à un peu plus de quatre mois des Jeux Olympiques organisés au Brésil, la lutte contre Zika devient un véritable enjeu économique et géopolitique, car l’annulation de cet événement reviendrait à une perte considérable pour l’économie brésilienne. L’organisation des Jeux Olympiques dépasse aujourd’hui la simple dimension sportive et l’annulation d’un tel événement aurait des retombées négatives sur l’image du Brésil sur la scène internationale, en particulier lorsqu’on regarde les controverses autour de leur préparation. Ainsi, Zika s’avère être une crise humanitaire grave aux impacts politiques conséquents dans les pays touchés ainsi qu’au niveau international, ce que semble attester la mobilisation médiatique et des institutions internationales à son sujet.

Un agent en train de participer à la désinfection du Sambódromo de Rio, où se déroule tous les ans le carnaval et qui accueillera les JO.
Source : Marecelo Sayao / EPA