La programmation du Musée d’Art Contemporain de Montréal révèle encore une fois la qualité de ses choix, avec l’accueil entre ses murs de projections de Ragnar Kjartansson, après avoir hébergé la talentueuse Sophie Calle, le troublant David Altmejd ou encore après une édition riche du Museomix en 2015. À chaque nouvelle visite, le MAC recèle de nouvelles raisons de se laisser aller à l’observation, la contemplation et la réflexion. Une fois n’est pas coutume, retour sur la découverte d’un artiste islandais, pas comme les autres.
La Lumière du monde
Arriver au MAC c’est un peu comme revenir dans une deuxième maison. Dans un lieu où l’on se sent bien, et où l’on sait que sa curiosité va être épanchée. Monter l’escalier qui mène à un trésor encore dissimulé. C’est se demander s’il faut lire les lettres imprimées expliquant le travail de l’artiste présenté. Puis c’est entrer dans une salle dans laquelle une réalité éveille plus ou moins les sens. Avec Ragnar Kjartansson, l’immersion est totale, directe et presque étourdissante. Plongés dans le noir, au milieu de quatre projections, nous nous retrouvons happés par la création visuelle et auditive de la Lumière du monde (World Light) d’Halldòr Laxness, saga de quatre livres transposée par tomes, un pour chaque écran.
En substance, l’histoire retrace le destin d’un jeune homme malheureux qui pense être destiné à devenir poète. Le spectateur se perd entouré de tous ces visages, de toutes ces intrigues et suit la progression du personnage principal tout en étant inclus dans le tournage. Les scènes se répètent, les focus se font et se défont, et c’est comme si nous étions plongés dans un tout encore plus grand, au milieu de la construction d’une œuvre. Nous sommes pris par la dissonance, l’abondance, la perte de compréhension puis l’enfermement dans une bulle faite de séquences, de jeu, de musique et surtout d’images.
Au delà de l’immersion cinématographique, des plasticiens se sont attelés à créer des décors semblables à des tableaux. Un côté naïf se dégage de la poésie de la scénographie, d’où émane l’inventivité des artistes. Certaines idées donnent naissance à de magnifiques illusions, telle l’eau de toile et de peinture, qui pourrait presque paraître liquide.
The Visitors
Déjà déboussolés et intrigués par les idées de Kjartansson, la suite attire et le concept attise le désir d’en découvrir plus. The Visitors propose un concert atypique. Neuf écrans, dans une salle à la moquette moelleuse. Chacun représentant une pièce d’une maison. Le décor est soigné, et en attendant de pénétrer l’univers auditif proposé, nous déambulons dans la salle à la visite de la demeure.
Sollicités de chaque côté, un concert unique presque onirique s’initie. La puissance de l’interprétation est bouleversante, intimiste et si inattendue que l’on en reste béat. La peau se hérisse au gré de l’intensité des voix, des expressions et des instruments. Malheureusement certains pensent plus à filmer qu’à vivre la scène devant laquelle ils se trouvent. Un nouveau voile s’interpose entre leur regard et le moment. C’est à se demander si nous sommes devenus incapables de se laisser aller à nos émotions, incapables de se laisser prendre par le moment présent…
La diversité des tessitures apporte une dimension supplémentaire, une harmonie à laquelle il est difficile d’être insensible, tout comme le nombre d’instruments mobilisés renforce la cohérence de la composition. Au cours de cette heure hors du temps, batterie, accordéon, violoncelle, piano, harmonica ou guitare sèche et électrique se côtoient.
Les minutes passent, et les détails se dessinent. L’esthétique de l’image ressort, et l’ambiance de chaque pièce se fait singulière. La lumière et le cadre soulignent l’attention portée à la scène en apparence spontanée, et pourtant pensée. Les lampes sont alignées, un corps dénudé rappelle les courbes de certains instruments, une statue fait écho au musicien placé à côté, la couleur de la batterie est accordée aux tons de la pièce dans laquelle elle est posée, le miroir jette certains reflets, et le plan dans la baignoire fait de l’ordinaire un moment extraordinaire.
Les minutes passent et l’interprétation est toujours aussi réjouissante. Des frissons parsèment l’épiderme, s’évanouissent pour mieux revenir. Les spectateurs semblent être captivés par la manière dont les interprètes jouent avec leurs corps, vivent leur prestation. Les musiciens sont emplis d’émotion, ne s’épargnent pas, et paraissent même souffrir dans certains cas. L’air paraît être emplie de nostalgie, tout isolés qu’ils sont dans leurs pièces respectives.
Pourtant, progressivement la solitude première est délaissée pour laisser place à un rassemblement joyeux, à une union de toutes ces voix qui nous rassemble nous aussi derrière un même écran, à l’affût des derniers éclats de voix et d’instruments. D’un même mouvement tous s’élancent vers l’extérieur, finir leur chanson dans la nature comme une bande de troubadours allant prêcher leur bonne parole.
Bouleversés, la tête bourrée de bouts d’images entrelacés de sonorités, le retour à la réalité demande un certain effort. Sortir du MAC, voir la lumière, et n’avoir qu’une envie. Retourner voir cette heureuse bande et se replonger dans les images. Ou appeler ses amis, louer une maison en pleine nature et se laisser aller à un certain hédonisme.