SOCIÉTÉ

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire belge ?

Depuis le “Brussels Lockdown” – nuit de perquisitions lors de laquelle les Belges ont inondé les réseaux sociaux de photos de chats pour éviter de compromettre les opérations en cours – les Français n’ont plus qu’une seule locution à la bouche : l’humour belge. En effet, et cela se vérifie à chaque événement tragique ou non qui implique le plat pays, les Belges sont pourvus d’un humour particulier que chacun connaît sans vraiment le connaître.

Des communautés indépendantes 

Pour comprendre les fondements de l’humour et plus largement de la pensée belge, il faut tout d’abord savoir qu’on ne se sent véritablement belge qu’en de très rares occasions. On se sent avant tout wallon, flamand, bruxellois, ou encore plus précisément liégeois, namurois, anversois. Toutes ces micro-identités vivent ensemble en presque-harmonie depuis la fondation de l’Etat de Belgique. Mais il arrive fréquemment que des failles et des différences culturelles viennent envenimer les choses entre communautés. Parfois il ne s’agit que de disputes sans lendemain, mais souvent on assiste à de véritables débats dans les hautes sphères politiques qui remettent en cause l’existence même du pays. Le peuple, souvent bien éloigné de ces querelles de bouffons a donc peu à peu appris à rire de cette ambiance séparatiste, afin de se prémunir d’une perpétuelle ambiance morose.

Le paternalisme des grandes puissances 

La Belgique, c’est un peu la dernière arrivée d’une grande fratrie. Elle se fait doucement bousculer, taquiner, titiller par ses grands frères qui l’encerclent de tous cotés. La France moqueuse aime la charrier en réduisant son existence à celle d’un « état-tampon », l’Allemagne généreuse lui a gracieusement cédé les cantons de l’Est et les Pays-Bas visionnaires lui ont apporté de grandes idées novatrices en termes de droit et de justice. A force d’encaisser autant de coups, l’imaginaire collectif a fini par développer une grande, une immense auto-dérision, fondement de l’humour national. Vous l’aurez compris, la Belgique mieux que quiconque maîtrise l’expression « il vaut mieux en rire qu’en pleurer ». Car si le pays avait dû se lamenter à chaque déclaration fâcheuse faite à son sujet, il y a longtemps que les larmes du tout Ostende auraient fait monter le niveau de la mer du Nord au point d’immerger complètement le pays.

Une culture à cheval entre flegme et flemme

Un belge, c’est un bon vivant. Un belge est une personne qui ne ratera jamais une occasion de célébrer un énième carnaval, de boire un verre de trop entre amis en pleine semaine, de se réjouir d’une fête folklorique dont il ne connaît pas l’origine mais qui implique beaucoup de rires et de communion. Mais toutes ces célébrations impliquent une mollesse qui se ressent tant dans le phrasé que dans les réactions. La vérité c’est que globalement, tout le monde se fout de tout. A quoi bon gémir à longueur de temps puisque cela ne changera strictement rien au cours des choses ? Ce je-m’en-foutisme national est certainement ce qui fait le plus rire à l’étranger. Beaucoup se demandent avec quelle force la Belgique arrive-t-elle à toujours se relever en usant uniquement de blagues potaches et d’un surréalisme exacerbé.

L’exportation de la bonne humeur noire jaune rouge

Les plus grandes figures de l’humour belge ne travaillent pour la plupart plus dans leur pays d’origine. Elles ont été réquisitionnées par des pays qui n’arrivaient plus à s’en sortir seul face au chaos qui les menaçait. Ainsi, Philippe Gelluck, dessinateur du chat et fierté nationale, passe une très grande partie de son temps rue Bayard, à Paris dans le grand studio RTL, afin d’apporter sa pierre à l’édifice des Grosses Têtes. Charline Vanhoenacker et Alex Vizorek quant à eux pilotent l’émission la plus fraîche et divertissante des ondes de France Inter, Si tu écoutes j’annule tout. Ils sont des dizaines à peupler le paysage audiovisuel français, parce qu’ils font du bien à tous leurs (télé)spectateurs. Ils apportent ce « je n’sais quoi » qui fait craquer même le plus râleur des parisiens.

Ce plat pays qui est le mien

Bien entendu, certains humoristes ou personnalités belges campent sur leur sol d’origine et améliorent sans cesse la qualité des productions de ce tout petit pays. On peut notamment citer le caricaturiste Pierre Kroll dont on loue sans cesse la disponibilité alors qu’il travaille d’arrache pied pour égayer les colonnes du très sérieux journal Le Soir. On peut également citer Frédéric Jannin, ex membre de la troupe des Snuls, dessinateur à plein temps, auteur humoristique aguerri,… Il a récemment décidé d’ajouter une nouvelle corde à son arc en devenant philosophe. Son livre 100 perles de sagesse du Dalaï Lammers est une vraie mine d’or. Il résume à lui tout seul tout ce qui vient d’être expliqué. Entre flemmardise et autodérision savamment dosée, Frédéric Jannin illustre à merveille ce qu’est l’humour belge : un fouillis incompréhensible qui ne peut être saisi qu’en ouvrant son esprit et en se fermant définitivement aux attitudes négatives.

En bref, on peut dire que l’humour belge trouve sa source dans un faisceau de causes tant politiques que culturelles. Il est certes important de rester sérieux en temps de crise, mais en Belgique, les gens ont la capacité de garder leur sérieux avec beaucoup de dérision. De la caricature surréaliste aux spectacles déroutants d’inventivité, les grands noms de la scène belge n’ont pas fini d’étonner leur public, surtout par les temps qui courent. N’importe quel acte de barbarie peut être perpétré, s’il reste un Belge debout, il trouvera nécessairement un moyen de tourner la situation en dérision. On ne le dira jamais assez, il vaut mieux en rire.

Directrice de la communication, tout droit venue de Belgique pour vous servir. Passionnée de lecture, d'écriture, de photographie et de musique classique.

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