CINÉMA

Ave César ! : pimpante chronique hollywoodienne

Deux ans après Inside Lewin Davis, les frères Cohen, Joel et Ethan, ont suscité l’attente en ce début d’année. Avec l’humour qu’on leur connaît bien, et un sens du casting dont ils ont le secret, ils proposent avec Ave César ! une chronique d’un des plus grands studios hollywoodiens des années 50. Le film mêle de nombreuses intrigues : policière, historique, singulière… qui se succèdent à la manière de petits sketchs dont la mise en scène est bien faite et même joliment vintage. Pimpant, clinquant, drôle, Ave César !  est un bel hommage au cinéma de cette époque en même temps qu’il émet une certaine critique du système hollywoodien. Malgré ses quelques qualités, le film semble tout de même manquer de considérations vis-à-vis du spectateur qui aurait pu espérer une construction narrative manifestant davantage de rigueur tant le film apparaît finalement relativement décousu.

Avec ce film, les Cohen nous entraînent dans les coulisses du studio le Capitole, entreprise frénétique, dans laquelle les caméras ne s’arrêtent jamais de tourner, les vedettes de jouer, et les plateaux d’être piétinés. Ce studio constitue en fait la toile de fond de toutes les intrigues du film, réunies, elles, autour d’un personnage central, presque nodal, celui d’Eddie Manix, « homme à tout faire », chargé de régler tous les problèmes inhérents à chacun des films du studio. La journée de cet homme de défi et de foi – faisant presque figure de justicier –, qui nous est racontée dans le film est à l’image du fonctionnement chaotique du studio : chronométré, périlleuse et excitante. Les multiples missions qu’il remplit sont autant d’intrigues superposées les unes aux autres dans le film, offrant ainsi un joyeux florilège de scènes reflétant l’époque d’alors. En effet, chacune de ces scènes, que l’on pourrait davantage qualifier de saynètes, voire de sketch, montre un pan spécifique du système hollywoodien ou des films produits à cette période : se succèdent alors scènes de ballet nautique, de comédie musicale, de drame psychologique, de western, de péplum… Toutes ces scènes sont traitées sur le ton de la comédie, drôlerie fort plaisante dont les Cohen nous régalent le plus souvent dans leurs films. Le comique qu’ils mettent en place se fonde sur le sentiment de décalage des personnages qu’ils créent, qu’il s’agisse du personnage de DeeAnna Moran, reine du ballet nautique, interprété par Scarlett Johansson, dont le franc-parler contraste avec son costume de ‘’princesse-sirène’’, ou encore du jeune acteur, interprété par Alden Ehrenreich, très bon lorsqu’il s’agit de manier le lasso dans les westerns, mais beaucoup moins pour jouer le dandy distingué. Les Cohen, qui cherchent à susciter le rire, y parviennent donc, d’autant que du point de vue de la mise en scène ces petits sketch sont nettement réussis, bien interprétés, bien filmés, avec des décors et des costumes superbement vintages.

Alden Ehrenreich et Ralph Fiennes dans Ave César! - Universal Pictures

Alden Ehrenreich et Ralph Fiennes dans Ave César ! – Universal Pictures

Cependant, on peut avoir l’impression que le film se perd un peu dans cette cacophonie comique et que les épisodes qu’il présente ne semblent pas vraiment se rattacher à une véritable logique narrative négligeant alors l’intrigue principale du film, si tant est qu’on considère qu’il en existe une.

Pourtant s’insère bel et bien dans le récit une intrigue plus importante que les autres, méritant ainsi le statut d’intrigue principale. Il s’agit de celle de l’enlèvement de la plus grande star du Studio, Baird Whitlok, kidnappé, en plein tournage de la fameuse superproduction biblique AVE CÉSAR, par un obscur groupuscule d’activistes communistes. Vient alors s’ajouter au film une dimension historique, puisque le film s’ancre dans le conflit de la Guerre Froide et dans la période du Maccarthysme. Il peut d’ailleurs être intéressant de se demander si conjointement à cette dimension historique s’ajoute une dimension politique, laquelle refléterait, peut-être, un discours plus profond de la part des frères Cohen. C’est une hypothèse délicate mais qui mérite d’être énoncée car le film, même s’il est essentiellement fondé sur le ressort comique, fait interagir des personnages sur des sujets plus ‘‘sérieux’’. C’est le cas lors de la scène de réunion des communistes, à laquelle assiste la victime du kidnapping, interprétée par George Clooney. Sont évoquées à ce moment-là des revendications politiques qui remettent en cause le système capitaliste des studios et dénonce l’exploitation des employés (dans le film ce sont majoritairement des scénaristes), celle du prolétariat par le patronat dans la logique marxiste que les ravisseurs manifestent. La scène est, selon moi, un peu bâclée, trop longue sur le plan de la narration (à laquelle elle est mal insérée), ce qui fait non seulement perdre de son intérêt à la scène mais également au discours lui-même… Et c’est dommage car il aurait été intéressant de voir se superposer au comique une problématique politique, qui d’ailleurs, mérite sûrement encore notre attention aujourd’hui. On peut peut-être voir là une distance ironique des réalisateurs, qui se contentent d’évoquer la question sans chercher à l’approfondir. Il faut pourtant reconnaître que leur intention n’est pas non plus de faire de ce film un manifeste politique.  Néanmoins on peut dire que coexistent dans le film, à la fois une critique du capitalisme hollywoodien et un hommage à la gloire de « l’usine à rêve ».

En effet, un grand businessman propose à Eddie Manix de quitter son poste au Capitole pour rejoindre son projet nucléaire, ce qui lui rapporterait gros. Lors des quelques scènes de ce deal (qui a lieu dans un restaurant chinois d’un exotisme hilarant), le businessman tente de convaincre Manix et ne trouve rien de mieux que de déprécier totalement son travail actuel qui consiste selon lui à « s’occuper d’un cirque ».  A travers les hésitations et cas de conscience de Manix, se dessine en fait à un véritable dilemme moral, celui de choisir entre la stabilité, la fortune, et la frénésie artistique des studios. Motivé par une foi indéniable, Manix privilégiera l’art à la bombe nucléaire, d’où l’hommage des Cohen à Hollywood, et plus largement au cinéma, dont sont reconnues alors les belles valeurs morale et artistique.

Finalement, on peut tout à fait apprécier Ave César ! pour sa drôlerie, et savourer aussi son incroyable casting, digne des plus grands péplums de l’époque (mention spéciale à Alden Ehrenreich, drôle et touchant dans le rôle de Hobie Doyle, et à Channing Tatum, l’espion soviétique et virtuose de claquettes maquillé à outrance). Cependant il peut manquer au spectateur l’impression d’avoir vu le film s’achever de manière convaincante. En effet, la résolution finale ne suffit pas à donner une véritable fin au film. La boucle dessinée par le film semble un peu vaine, du moins un peu légère. La déception peut poindre alors, si bien que le film ressemble presque à une sorte d’ego-trip de la part des réalisateurs, qui semblent avoir rassemblé dans le film tout ce qui leur plaisait de cette folle époque sans vraiment donner de sens à un récit pourtant amusant…

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