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Modernité et parité, découverte du groupe montréalais Beaver Hall

Fermez les yeux, et imaginez-vous en 1920, à Montréal. Vous marchez en direction du 305 Beaver Hall Hill, un immeuble situé entre le quartier des affaires et le nouveau centre-ville. Un morceau de jazz joue en fond sonore dans la pièce où vous venez d’entrer, et autour de vous, les artistes installent leurs oeuvres. Une certaine frénésie règne et envahit l’espace. En effet, dans quelques jours seulement, les visiteurs vont s’empresser de venir à cette même adresse, afin d’admirer le travail du groupe d’artistes, justement nommé Beaver Hall.

Retour historique. Fondé quelques semaines seulement après le Groupe des Sept, mythique et faisant partie intégrante de la scène artistique canadienne, Beaver Hall est un regroupement éphémère d’artistes. Ce groupe donnera à l’époque une nouvelle impulsion à la vie artistique, et sera alors à Montréal, et même plus largement au Québec, ce que le Groupe des Sept était à Toronto. Le contexte de l’époque est particulier, et l’après Première Guerre mondiale représente une période durant laquelle les artistes souhaitent affirmer et surtout s’affirmer. Une comparaison de ces deux groupes serait légitime, autant du point de vue idéologique que géographique. Pourtant, la démarche du Beaver Hall diffère de celle de son ainé. Alors que le Groupe des Sept évolue avec une certaine cohésion esthétique qui renvoie à ses célèbres paysages canadiens, le groupe montréalais, composé d’un plus grand nombre d’artistes, apporte une palette plus large de styles et de sujets. Du portrait, du nu, des paysages, de l’urbain… Beaver Hall se différencie et innove toujours plus. Mais le groupe montréalais qui compte une vingtaine d’artistes est, tel que mentionné précédemment, éphémère. Il vivra entre 1920 et 1923, avant que certains de ses membres fondateurs ne créent par la suite le Groupe des peintres canadiens qui verra le jour en 1933 et qui sera aussi composé, entre autres, des membres du groupe torontois.

Sainte-Catherine, 1926, huile sur toile, par Adrien Hébert (1890-1967)

Polémique autour du « mur jazz »

Parce que souvent, nouvelle pratique artistique rime avec scandale, les artistes du groupe osent et se font attaquer sur leur utilisation de la couleur. Leurs toiles sont alors considérées par Paul Dupré dans Le Devoir comme étant une « orgie de couleurs criardes, posées uniformément, à la manière des peintres en bâtiment, sur une charpente d’où les notions mêmes les plus élémentaires du dessin semblent avoir été ostracisées ». Paradoxalement, il s’agit d’un des points de force du groupe d’artistes, qui ajoutera encore à son audace et à sa modernité, aujourd’hui reconnue et célébrée. À ce propos, Albert Laberge, célèbre critique et écrivain a écrit dans La Presse (22 mars 1922, p.5) que l’« on ne veut pas de teintes harmonieuses, on veut les couleurs qui éclatent comme les accents des trompettes. » Cette nouvelle approche du portrait se constate notamment avec le célèbre « mur jazz », incontestable symbole de la rébellion des artistes québécois.

Carmencita, 1922, huile sur toile, par Randolph S. Hewton (1888-1960)

Carmencita, 1922, huile sur toile, par Randolph S. Hewton (1888-1960)

Une parité des membres révolutionnaire

À noter, et plus encore au regard de la période dont il s’agit, que le regroupement Beaver Hall est le premier groupe d’artistes paritaire au Canada, contrairement au Groupe des Sept, qui était lui exclusivement composé d’hommes. Et les femmes n’étaient pas là pour tenir des petits rôles, bien au contraire. Le portrait, qui est une discipline artistique de prédilection du groupe, était grandement – et même mieux – maitrisé par les artistes féminines. Parmi ces artistes, Lilias Torrance Newton s’est distinguée, avec pas moins de trois cent portraits à son actif, dont ceux de plusieurs personnalités canadiennes célèbres. La plupart de ces artistes avaient à coeur de privilégier leur carrière plutôt que de fonder une famille, ce qui souligne également la modernité du groupe à l’époque.

Prudence Heward (1896-1947) Immigrantes, 1928 Huile sur toile 66 x 66 cm

Immigrantes, 1928, Huile sur toile 66 x 66 cm par Prudence Heward (1896-1947)

Plus encore, c’est l’image de la femme qui évolue durant l’entre-deux guerres. Les canons de beauté changent, et cela se vérifie à travers certaines oeuvres du regroupement montréalais. Parmi celles-ci, nous pouvons citer le superbe nu Jeune fille sous un arbre, également réalisé par Prudence Heward. Désormais, la mode est aux corps sculptés, minces et bronzés, ce qui n’est pas sans rappeler certains critères toujours véhiculés de nos jours. À cette époque la femme se libère, peu à peu. Elle sort, danse, fume, boit. La femme existe, et commence à s’imposer dans la société comme étant égale à l’homme.

Jeune fille sous un arbre, 1931, huile sur toile, 123 x 194 cm. Par Prudence Heward (

Jeune fille sous un arbre, 1931, huile sur toile, 123 x 194 cm, par Prudence Heward (1896-1947).

Amoureuse de photographie, curieuse, passionnée par l'infinité du monde de l'art et aussi très intriguée par la complexité du monde politique.

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