CINÉMA

Le dernier regard de Pasolini sur le monde

Caméra face au monde, Pasolini face aux atrocités commise par quatre maîtres sur dix-huit adolescents dans une villa. Salò où les 120 journées de Sodome, libre adaptation de l’œuvre du Marquis de Sade sera le dernier film de Pier Paolo Pasolini, mort assassiné en 1975 quelques jours avant la première diffusion de Salò au Festival de Paris, où il fera scandale. Pasolini, au travers de cette adaptation, pose un dernier regard sur le monde.

Il y a dans Salò un refus de la linéarité, nous avons une illusion de fluidité du récit. Pasolini va situer le film dans un tout autre contexte que celui de l’œuvre du marquis de Sade : l’Italie fasciste de 1944 – 1945. L’histoire se déroule dans la république de Salò, une rafle va avoir lieu pour capturer neuf jeunes garçons et neuf jeunes filles. Ces adolescents vont être sous le contrôle de quatre seigneurs dans une villa. Ces seigneurs vont imposer un règlement soigneusement élaboré auquel les adolescents vont devoir se plier strictement sous peine de châtiments, voire de mort. Mais l’Histoire est rapidement mise à distance par les anachronismes utilisés par Pasolini. Salò n’est pas un film historique mais va utiliser l’histoire comme prétexte aux évènements. Les anachronismes apportent une discordance entre différentes époques s’inscrivant dans une seule et même temporalité : une temporalité qui apparaît comme onirique.

Le temps narratif est cyclique, le film est composé de trois cercles qui se déroulent dans l’ordre chronologique des évènements ? Nous ne le savons pas. Les plans se répètent, le traitement de la lumière est homogène tout au long du film et donne une impression d’harmonie. Les plans fixes figent les scènes dans un éternel présent. La musique d’Enio Morricone qui ouvre le film et le clôt, forme une boucle et confirme cette forme cyclique du film où la linéarité n’est qu’illusion et pas une réalité comme le contexte historique peut en donner l’impression.

Exemple de répétition de plans

Exemple de répétition de plans

Exemple de répétition de plans

Exemple de répétition de plans

Si Pasolini ne fait pas un film historique sur l’Italie fasciste des années 1945 – 1950 il montre que tout pouvoir est un rapport de forces anarchiques entre des corps dominants et des corps dominés. De cette non-linéarité va naître une esthétique politique, une esthétique de l’ordre.

S’installe une esthétique de l’ordre, au travers d’une symétrie dans la structure des plans, symétrie comme structure qui gouverne le chaos qui va poser le cadre d’un environnement régit par des règles strictes.

Des rapports de forces s’imposent entre les corps dominants et dominés. Le montage va confronter les maîtres aux adolescents et mettre en évidence la supériorité des maîtres sur ces corps dominés que sont les adolescents sur qui ils vont pouvoir exercer leur « art ».

Plan sur les adolescents

Plan sur les adolescents- © Carlotta Films

Plan sur les maîtres- © Carlotta Films

Lors de la scène finale, les maîtres sont assis sur une chaise face à une fenêtre regardant les atrocités que subissent les adolescents au travers de jumelles. Les maîtres décident de ce que le spectateur va devoir regarder et le place dans une position de corps dominé, nous devons subir ces images, comme les adolescents subissent ces tortures.

Exemple d'une vue subjective d'un maître au travers des jumelles.

Exemple d’une vue subjective d’un maître au travers des jumelles- © Carlotta Films

De cette esthétique de l’ordre va naitre la politique, le propos de Pasolini est politique dans sa forme, dans son esthétique.

On peut y voir une critique du capitalisme, qui va prendre possession de l’art, qui ne cherche pas à évoluer, car l’art est fait pour le capitalisme, par le capitalisme. Dans le film on le comprend car les seigneurs exerce leur « art » dans un univers clos qu’est la villa. Cet univers n’est pas perméable, l’art reste cloisonné dans un cercle vicieux, celui de la complaisance.

Pourquoi créer de nouvelles formes ? Puisque l’acheteur sera toujours là, plus besoin d’inventer de nouvelles formes artistiques. Encore plus loin, Pasolini pose la question du devenir des images dans ce cercle vicieux

L’image est devenue une marchandise. Sa fonction artistique se dissipe. L’art n’est plus l’art pour l’art, mais l’art pour le capitalisme.

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