Le 6 janvier 2016 est sorti le documentaire Janis de Amy Berg. On y découvre une Janis Joplin bouillonnante d’énergie mais vampirisée par le public et la drogue. Ce documentaire entre en résonance avec Amy et Kurt Cobain : Montage of Heck sortis récemment, se focalisant sur la vie privée de ces icônes membres du très fermé « club des 27 ». Entre voyeurisme et fièvre nostalgique, pourquoi et comment faire revivre ces personnalités ? L’occasion de revenir sur la notion d’« icône », centrale dans un monde sans Dieu où l’icône culturelle a remplacé l’icône religieuse et dont la représentation pose problème dans d’autres sociétés iconoclastes.
Outre l’aspect économique flagrant du choi de retracer la vie de stars, ce qui assure une partie des entrées par des fans et des curieux ; cela intéresse le monde du cinéma car ces films sont accueillis dans les plus grands festivals du monde que ce soit le Sundance ou à la Mostra de Venise. Qu’est-ce qui pousse les producteurs à sortir des documentaires sur des icônes disparues, à quel besoin cela répond-il ? C’est sans doute un besoin nostalgique car on nous replonge dans une époque, celle d’une génération révolutionnaire et musicale des années 60 et 70, le grunge des 80’s ou une société médiatisée des années 2000.
On comprend dès le départ que le documentaire sur Amy Winehouse est assez paradoxale et amer ; il est question d’une société, la nôtre, voyeuriste, qu’on retrouve personnifiée par la figure de son père, qui va finir par broyer l’artiste. La critique remplace la nostalgie. Le film confronte l’icône créée autour d’Amy au réel en la plongeant dans un quotidien, le sien, et cela peut avoir pour conséquence de la faire choir de son statut de symbole. Kurt Cobain résiste à cela, personnage complexe et cathartique, il symbolise le mal à tête d’ange. On accède à sa psyché par des enregistrements inédits animés ce qui nous permet de percevoir son génie et sa folie et de donner vie à une forme documentaire alternant interviews et images d’archives souvent figées. Le film trouve le parfait équilibre entre la romance et le réel, entre l’individu et sa génération, entre la suggestion et la démonstration.
Quant à Janis Joplin, si on comprend mieux la genèse du personnage ; martyrisée à cause de son physique elle se tourne vers la musique et répond par l’amour, c’est vraiment le portrait d’une génération qui nous est décrit. Une douce nostalgie fait vibrer la voix des témoins se remémorant les frasques de Janis. Icône féministe d’une génération en mouvement qui voit une révolution possible dans la musique, génération candide de tous les possibles. Là où elle diffère des deux autres icônes, c’est que son mal n’est pas en elle comme un démon, son mal est externe ; elle donne tout à son public mais ne reçoit pas assez, seule la drogue l’aidera à apaiser son mal. La question de la drogue est intéressante pour distinguer les trois œuvres. D’abord on a Janis où le thème est très peu traité car commun à l’époque, on s’en souvient avec un rire amusé : « on faisait ça pour s’amuser » se souvient une amie de Janis concernant leur consommation d’héroïne à Woodstock. Puis il y a Cobain dont on devine le spectre complexe de l’artiste lorsqu’il dit à sa compagne Courtney Love qu’il veut être riche pour devenir un junkie. Enfin il y a Amy qui, quant à elle, est toujours traitée comme une débauchée victime de ses vices.
Mais est-ce un hasard s’il y a un regain de ce genre (le biopic) dans une période où, débarrassé de Dieu, peut-être manquons-nous de pairs et de repères ?
Nous vivons dans une société d’héritage judéo-chrétien iconodule, où l’on représente les icônes. Nous avons un rapport médiatisé à la religion ; la foi, la question de la vie et de la mort sont vécues à distance. Pour faire face à la mort de Dieu et perpétuer le lien, religio, entre les Hommes on a vu s’ériger des icônes culturelles. On voit encore ce lien entre culture et religion dans le gospel. Mais il existe aussi des sociétés religieuses iconoclastes, où l’on ne représente pas l’icône, il y n’y a donc plus de distance entre l’individu et Dieu ; la foi, la vie et la mort sont vécues directement. Quand deux mondes iconographiques se font face, entre la représentation et la présentation, entre un monde de l’image et celui du sacré, les frontières sont conflictuelles. L’incompréhension règne au truchement de ces deux paradigmes. Les caricatures de Mahomet sont une assimilation d’une icône culturelle et religieuse à une icône culturelle, le passage d’un monde à l’autre qui aboutit sur une violente incompréhension. Mais il faut réussir à dépasser ce dualisme, quitter ces clivages de représentation et recréer du lien, une religion sociale. Après les attentats s’est réveillé un mouvement solidaire, unificateur derrière une idée abstraite, Charlie, une nouvelle icône, car après tout qu’est-ce que Charlie sinon une icône sociétale ?