SOCIÉTÉ

Un monde de sorcières sans féérie

Lorsqu’on vous parle de sorcellerie, vous pensez Harry Potter, Halloween, Blanche-Neige… En bref, vous pensez à l’univers fantastique et imaginaire qui a bercé votre enfance. Il n’en est rien en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où encore aujourd’hui, les personnes accusées de sorcellerie sont lynchées par la population et violemment exécutées. Là-bas même le Premier Ministre croit à la sorcellerie et le Gouvernement ne remue pas un petit doigt pour tenter de sauver les centaines, voire les milliers, de vies éliminées chaque année suite aux accusations de sorcellerie. Retour sur une idéologie peu connue et pourtant bien ancrée dans les mentalités papoues, qui fait des femmes les premières victimes.

Une croyance ancrées dans les mentalités et les lois

La première ONG à tirer la sonnette d’alarme concernant les massacres commis pour punir des actes de sorcellerie est Amnesty International dès 2008. Les croyances concernant la pratique de sorcellerie et la présence de sorciers répartis un peu partout dans le pays, sont loin d’être une exception. C’est d’ailleurs une croyance inscrite jusque dans la Constitution papoue jusqu’en 2013. En effet, le Sorcery Act (la loi relative aux activités de sorcellerie) en place depuis 1971 était une loi au cœur du système juridique papou pendant plus de quarante ans. Le préambule indiquait, en toute franchise « Il est nécessaire, pour la Loi, de faire la différence entre la sorcellerie malveillante et la sorcellerie innocente ». Cette loi, qui prévoyait une atténuation des sanctions si la victime était une sorcière, est abrogée en 2013, suite à la pression internationale, après le massacre de deux jeunes femmes, Leniata et Rumbali, accusées de meurtre par sortilège. Elles sont lynchées par la population, déshabillées, et respectivement brûlée vive et décapitée sur la place publique de leur village. L’Etat papou, pris de court par cette soudaine – et courte – prise de conscience internationale, réagit… en remettant au goût du jour la peine de mort, pourtant inutilisée depuis 1951, en l’appliquant désormais aux violeurs et aux meurtriers.

Une croyance archaïque ?

Les accusations de sorcellerie adviennent généralement après un décès inattendu ou aux causes sombres, telles que les maladies, les accidents. A partir du moment où la personne meurt, les rumeurs commencent à courir, les soupçons infondés désignent une personne, généralement une femme, qui sera lynchée ensuite par le village, parfois devant les yeux de policiers en civil, sans que personne ne s’interpose. Après un décès, les proches de la victime connaissent une pression insupportable, ils ne peuvent agir normalement puisque tout geste inhabituel, louche ou mal interprété peut constituer une « preuve » de sorcellerie. Edward Marriott, un journaliste britannique raconte sa propre expérience dans The Lost Tribe, paru en 1996, où il explique comment, après la mort d’une femme et de quatre enfants tués par la foudre, il a été accusé de sorcellerie par la population locale par laquelle il s’est fait tabasser.

Or, ces accusations concernent majoritairement les femmes, et derrière ces accusations se cachent une population masculine misogyne. Les accusations de sorcellerie sont peut-être fondées sur une véritable croyance, mais elles sont surtout prétextes au vol, aux règlements de comptes. En effet, si les victimes sont souvent des femmes, ce sont, d’après des statistiques de l’ONU souvent celles qui vivent seules ou sans hommes pour les protéger qui sont le plus touchées. Comme le prouvent de nombreux témoignages, elles ont souvent été accusées de sorcellerie en cas de désaccord juridique, ou pour leur voler leurs biens. Monica Paulus fait partie de ces femmes ; après la mort de son père elle hérite de sa maison, mais son frère, jaloux, décide de se venger en la dénonçant comme sorcière auprès des habitants de la ville. Grandie de cette expérience horrible, elle prend conscience du danger qui pèse sur toutes les femmes et le manque de recours qu’elles ont pour réussir à échapper au tragique massacre qui les attend, elle rejoint et développe l’association Stop Sorcery Violence.

Brendan Esposito Mary kini-Monica- Kup women for peace

Mary Kini et Monica Paulus, membres de l’association Kup Women for Peace ©Brendan Esposito

 

Une prise de conscience quasi inexistante

Devant tant de violences et d’injustices, devant une égalité femmes/hommes bafouée et une justice fantôme, la communauté internationale ne réagit quasiment pas. L’ONG Amnesty International est l’une des rares à se mobiliser pour la place de la femme en Papouasie mais n’a que très peu de retentissements en France ou dans le reste de l’Occident. Sur le terrain, des associations se montent progressivement mais difficile d’aller à contre-courant d’une croyance aussi ancrée dans les mentalités papoues. Une des plus actives est celle dont fait partie Monica Paulus ; Stop Sorcery Violence, qui fait de la sensibilisation sur le terrain, prend en charge les victimes dans la mesure du possible et fait déplacer les femmes accusées de sorcellerie hors de leur village pour échapper aux violences. Mais l’étendue des dégâts est beaucoup plus importante, et la violence est ambiante. Selon les chiffres du PNUD (programme des Nations Unies pour le Développement), 80 % des hommes admettent avoir commis des violences contre les femmes et la capitale du pays, Port Moresby, est souvent classée comme l’une des plus dangereuses villes du monde. En effet, les gangs règnent, font la loi dans certaines villes, et certains prônent la culture du viol et de la violence sur les femmes. Le gang nommé « Dirty Don’s 585 » en fait partie, et son leader reconnait plus d’une trentaine de viols à son actif dans un groupe où le viol est un pass d’entrée dans le gang, une sorte de rituel.

Raskols Stephen Dupont

Homme appartenant au gang des Raskols ©Stephen Dupont

La justice est effacée devant une telle division de l’autorité et n’est surtout pas prise au sérieux dans une société où la violence dépasse largement le cadre institutionnel et légal.

Face à ce fléau interne, une des seules solutions serait donc d’encourager les associations locales et de continuer la difficile tâche de sensibilisation de la population, pour qu’un jour la sorcellerie soit pour eux aussi un lointain souvenir de leur passé.

©Stop Sorcery Violence

©Stop Sorcery Violence

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