L’année 2015 marque un tournant dans la production hollywoodienne et dans ses techniques de marketing. Les sagas Jurassic Park, Terminator et surtout Star Wars font leur grand retour. Mais le plus notable est que toutes trois font l’objet d’une promotion guidée par le même sentiment : la nostalgie. Et si cette odeur de naphtaline conditionnait le public à adhérer au film avant même sa sortie ? Dans ce domaine Star Wars : le Réveil de la Force pourrait bien être un cas d’école.
A la veille du rachat de Lucasfilm par Disney la grande majorité du public s’était résignée à ne plus attendre grand chose de Star Wars, préférant se repasser en boucle la trilogie originelle. Et pour cause, déçus par la prélogie, les fans ne rataient pas une occasion pour lyncher en place publique George Lucas, l’homme qui les avait trahis. On ne peut pas dire que le rachat pour 4 milliards de dollars, le 30 octobre 2012, n’ait pu arranger les choses. Pour beaucoup c’était le signe ultime d’un univers définitivement en déroute artistique. Alors que Lucasfilm avait été créé en 1971 comme un eldorado indépendant pour les artistes, voilà qu’il se fait avaler par le symbole de la grande usine hollywoodienne. Mais quelque mois plus tard, fin janvier 2013, l’annonce de J.J Abrams à la tête du septième opus a commencé à susciter de l’intérêt chez une petite partie du public. L’homme derrière les deux derniers Star Trek apparaissait pour eux comme un gage de qualité.

L’un des tics de J.J. Abrams parodié par les fans, les lens flares – Copyright D.R.
Les choses se sont accélérées rapidement grâce à plusieurs coups de marketing habilement parsemés dans le temps, de manière à ne laisser aucune semaine dépourvue d’actualité. Notez plutôt : sur le site allocine.fr on recense à l’heure actuelle 450 articles sur ce film, contre 240 pour The Avengers 2, 180 pour Jurassic World, 135 pour Cinquante nuances de Grey et 90 pour Mission impossible : Rogue Nation. On nous annonce le retour des acteurs principaux, chouchous du grand public, du scénariste de l’épisode V et VI, Lawrence Kasdan. Les différents clips publicitaires mettent subtilement en avant le délaissement des fonds verts pour privilégier les maquettes, les décors naturels et les animatronics (des créatures robotisées). Désormais le signal envoyé aux fans est clair : on promet de revenir aux sources en oubliant les douloureux souvenirs de la prélogie. Tout ce que les fans de la première heure conspuaient est retenu consciencieusement par le studio. Le but est de les brosser dans le sens du poil pour les faire revenir au Temple. J.J Abrams a même indiqué qu’il voulait filmer le squelette de Jar Jar Binks, symbole de la prélogie, pour venger les fans. On retrouve cette même volonté négationniste avec Jurassic World et Terminator Genisys. Les suites aux films originaux que le public a majoritairement détestées sont supprimées purement et simplement de la chronologie, comme si elles n’avaient jamais existé.

Le marketing sans limite
Mais lorsque l’on prolonge une saga, il est normal d’afficher des références aux précédents films pour assurer la cohérence de l’univers, non ? Pas forcément. 2015 marque également un autre retour des années 80 : Mad Max. Or essayez de trouver des coups de coude faits au spectateur. Vous n’en trouverez pas. Preuve que l’on peut tout à fait reprendre un univers préexistant, sans devoir à tout prix titiller la fibre nostalgique, et sans pour autant être une hérésie.

Réinvention vs nostalgie – Copyright HollyShit
Une autre preuve démontre un public de masse aveuglé par la campagne marketing : le box-office. Tous les films qui sont traités de la sorte ont un démarrage tonitruant, brisent de nombreux records puis, plus rien. La courbe s’essouffle rapidement. On nous avez dit et répété avec insistance (qui ça d’ailleurs, les journalistes ou le studio derrière eux ?) que Star Wars devait pratiquement battre Avatar à la tête du podium. Il n’en sera rien, ce Star Wars restera loin derrière, et encore plus lorsque l’on prend en compte l’inflation du dollar. D’ailleurs si ce n’était pas le cas, pourquoi les affiches se remettent-elles à pulluler dans nos villes ? Ce n’est pas innocent si le succès d’Avatar a quant à lui perduré avec le temps. Contrairement à ce que l’on a tendance à croire, son démarrage aux Etats-Unis a été tout juste correct. C’est grâce au bouche-à-oreille qui a suivi que le score final a pu être accompli et non à une pulsion aveugle et infondée du public.
Les thèses de Sigmund Freud ont été une influence déterminante dans le travail du psychanalyste et inventeur du marketing moderne, Ernest Dichter. Ce dernier a démontré que les raisons réelles de la consommation s’enracinaient dans des sentiments et des désirs inconscients. C’est ce qu’il appelait le « Moi secret » du consommateur américain. Ainsi, en faisant vibrer le hochet nostalgique, la réflexion rationnelle, qui représente une barrière à la consommation, est paralysée. On fait sentir l’odeur de la naphtaline aux fans pour leur rappeler leurs souvenirs de jeunesse. L’envie de revivre son enfance ou son adolescence idéalisée fait partie des désirs inconscients de chaque individu. On promet donc au public qu’il va retrouver son doudou tel qu’il l’a laissé. Une fois le public atteint, une partie de celui-ci perd sa faculté de discernement rationnel. Il ne veut plus qu’une chose, sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi, voir le film immédiatement. Par le seul retentissement du thème musical et de l’apparition in extremis de Han Solo et Chewbacca dans la bande-annonce (plus de 80 millions de vues) une certaine majorité du public a l’air d’avoir d’ores et déjà rallié la cause. On a même la sensation que beaucoup sont prêts à aimer le film avant même de l’avoir vu. Bien sûr, Star Wars n’a pas le monopole de cette douce mélodie nostalgique. Les bandes-annonces de Jurassic World et Terminator Genisys étaient également imbibées des thèmes musicaux et de plans copiés à l’identique des premiers opus.

Comparatif troublant des internautes de Terminator à gauche (1984) et Terminator Genisys (2015) à droite – Copyright 2015 Paramount Pictures – Copyright D.R.
Comme le film en lui-même prolonge cette odeur d’enfance perdue, certains spectateurs se retrouvent vite incapables de former une critique fondée sur des éléments objectifs, détachés de ce sentiment inconscient de la nostalgie. Ils préfèrent se persuader d’avoir pris du plaisir d’une manière ou d’une autre. Car admettre objectivement que le film est mauvais, c’est rompre par la même occasion avec notre enfance et constater qu’elle est belle et bien révolue, que rien ne pourra nous la rendre. Et pour cause, pour une frange du public visé cette impression fragile est très vite détruite par des éléments rationnels, tels que l’écriture scénaristique ou la mise en scène.