CINÉMA

Le Grand partage – Méditations commerciales

Ah, Noël et sa sournoise envie de se faire cordialement péter le bide à grands renforts de toasts au foie gras. Concerts de plats, explosion express du compte bancaire… Noël est désormais une apologie de la société de consommation où, sans aucune morale, il convient d’être un monstre d’excès. Cela dit, les restes d’un passé plus mesuré peuvent faire survenir une certaine culpabilité lors du 38ème fourré à la saucisse. Ainsi, Le grand partage se pose en rédempteur : à Noël, il sera votre bonne conscience !

Après Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ? qui ramassait au tractopelle les clichés bourgeois et racistes, puis La famille Bélier qui s’enlisait dans les stéréotypes sur les personnes sourdes, voici Le grand partage qui, lui – ça coûte pas plus cher, hein – se fout carrément de la gueule des bourgeois, des racistes, des bobos, des vieux et des pauvres. Pire que le shampoing, là, c’est dix pour le prix d’un. Évidemment, ces clichés ne sont mis en peinture que pour, attention, mieux les détourner. Sauf qu’à une époque où plus c’est gros, mieux ça passe, où les chaînes d’informations simplifient tout sans arrêt, ajouter du gros dans le gras comme le fait Le grand partage n’est pas forcément la meilleure solution. Parce que le grand partage est un film de gentils plein de bons sentiments et vraiment, vraiment, souhaite combattre les clichés. Sauf que c’est aussi une « production Pathé » c’est à dire un film qui doit plaire, un film lisse qui se cantonne au sens le plus pauvre du mot « divertissement ».

© PAN-EUROPÉENNE – THIERRY VALLETOUX

© PAN-EUROPÉENNE – THIERRY VALLETOUX

À la manière d’un film de science-fiction uchronique (qui prend base dans une situation existante– NDLR) Le grand partage suppose que, dans un futur très proche, un gouvernement socialiste éditera un décret afin que les travailleurs pauvres soient logés dans les appartements des riches qui, eux, ont largement plus de place que nécessaire. Dimension politique que prend régulièrement la SF, avec une critique forte de la société du présent, un imaginaire débordant, des délires d’anticipation, bref, des révoltes singulières et créatives, qui se retrouve tout à fait dans Le grand partage… Énorme blague. Puisque oui, Le grand partage s’amuse un peu dans le tur-fu mais, pour toucher à l’universalité du public (comprenez pour gagner plus), préfère éviter tout parti-pris esthétique. Le décor est le nôtre, les habits ceux de tous les jours et les voitures, le modèle 3 de chez Peugeot. Quant au passé, la référence à la Seconde Guerre mondiale est beaucoup trop stéréotypée, notamment par les caractères des personnages : les attentistes, les résistants, les collaborateurs et basta. Chacun rangé dans sa petite case et les moutons seront bien  gardés.

Mais il y a plus grave : cette simplification permet au réalisateur de détourner des phrases riches de sens pour les en vider complètement. La Seconde Guerre mondiale a donné à réflexion et bien des philosophes se sont penchés sur son atrocité pour en tirer quelque chose. Puisque c’est lui qui est détourné, citons le : Sartre ! Ainsi, la vieille mémé gaucho désespérée de la connerie de son fils riche et beauf va répéter inlassablement : « Je n’ai jamais été aussi heureuse que sous l’occupation allemande ! ». Ah. Difficile, dans la construction de la phrase, de ne pas faire le lien avec Sartre qui disait « Nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’occupation allemande ». Mais ces deux phrases ont un sens radicalement différent. Et si, durant un soir télé-canapé, la réalisatrice s’est dit « Eurêka, c’est ça ! Cette phrase pèse ! »… non. C’est un grand détournement de sens qui n’est pas sans gravité, et ce sont ces simplifications continues, cette idée de se dire que « les gens comprendrons mieux », qui mène aux amalgames et aux discours stériles.

Cela suffit, de rire de ce qui réduit et de tenter de faire de l’argent dessus. Si, comme votre film le prétend, Madame Leclère, vous avez des sentiments politiques et que ♫ vous rêvez d’un autre monde ♫, pourquoi vous satisfaire de blagues de barbecue ?

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