SOCIÉTÉ

Le Burundi face au génocide

Le Burundi, minuscule pays de la région des Grands Lacs coincé entre la République démocratique du Congo, le Rwanda et la Tanzanie, est le théâtre depuis plusieurs mois de massacres et d’une répression organisée par le gouvernement de Pierre Nkurunziza. Dans une région où se sont cristallisés depuis de nombreuses années des conflits présentés comme ethniques, mais en réalité souvent politiques, la majorité des observateurs craint le début d’un nouveau génocide.

Une crise inscrite dans un contexte régional instable

L’horreur de la vision de corps ensanglantés dans les rues de la capitale burundaise Bujumbura est maintenant plus qu’un mauvais souvenir de la guerre civile de 1993 à 2006 qui avait causé plus de 300 000 morts ; elle est bien une réalité actuelle.

Cette nouvelle crise politique au Burundi s’inscrit dans une spirale de violence enracinée depuis plusieurs décennies dans cette région d’Afrique centrale souvent dénommée « Afrique des Grands Lacs ». Cette zone est le cadre de crises majeures et meurtrières permanentes depuis des décennies, qui ont atteint un pic avec le génocide rwandais de 1994. Le massacre des Tutsis par les Hutus avait débouché sur la déstabilisation de la zone, et le conflit s’est cristallisé dans la région du Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo, à la frontière du Rwanda et du Burundi.

A l’instar de son voisin rwandais, le Burundi se caractérise par un morcellement ethnique, facteur de nombreuses tensions depuis la décolonisation. Cependant, malgré la forte dimension ethnique, on a de nouveau affaire à une crise au départ politique et à des acteurs politiques qui « ethnicisent » le conflit pour le justifier. En insistant sur le volet ethnique, ils contribuent à l’exacerbation des tensions au sein de la société. Et encore une fois, cela risque fortement de tourner au désastre et de fragiliser une région déjà très instable. En effet, les nombreuses guerres et les mouvements de réfugiés, ainsi que la présence des mêmes ethnies dans les différents pays de la zone, ont rendu les frontières très poreuses. Et tout conflit dans cette zone a très vite tendance  à se régionaliser et à impliquer les nombreux acteurs de la région, parmi lesquels les innombrables milices paramilitaires bien connues pour leur propension au massacre.

Cypriel Ntihirageza a survécu a deux génocides, et est obligé de fuir un nouveau massacre. Crédit : Tendai Marima/Al Jazeera

Cypriel Ntihirageza a survécu a deux génocides, et est obligé de fuir un nouveau massacre. Crédit : Tendai Marima/Al Jazeera

Une rapide escalade de la crise

Le retour des tensions a eu lieu dès l’annonce par le Président Nkurunziza le 25 avril 2015 de sa candidature à sa propre succession pour les élections présidentielles devant se dérouler le 26 juin. Les clauses des accords de cessez-le-feu signés à Arusha en 2000 avaient pourtant limité le nombre de mandats présidentiels à deux, et c’était bien au terme de son second mandat qu’arrivait Nkurunziza avant de se présenter aux élections. Les manifestations qui ont suivi ont mené le 13 mai à une tentative de putsch menée par l’ancien chef du service de renseignement, M. Godefroid Niyombare, avant que les putschistes n’annoncent leur reddition deux jours plus tard.

Cette tentative de coup d’État a plongé le pays dans une profonde crise politique qui s’est manifestée par de nombreuses vagues de violences et de répression par le gouvernement. La victoire anecdotique au premier tour de Pierre Nkurunziza le 23 juillet n’a fait que contribuer à accroître les tensions, qui ont atteint leur paroxysme le 11 décembre lorsque des attaques sporadiques contre plusieurs camps militaires ont conduit à une répression sanglante du régime burundais. Si les chiffres officiels ont porté le bilan à 79 morts, d’autres observateurs estiment que plus de 100 opposants au système ont trouvé la mort ce jour-là. La publication d’une image satellite par l’ONG Amnesty International le 28 janvier 2016 de charniers récemment creusés pourrait corroborer cette hypothèse.

Un génocide craint par la communauté internationale

Pour l’intellectuel burundais exilé en France David Gakunzi, il n’y a pas de doute : « Qu’on ne se trompe pas, ce qui se passe en ce moment au Burundi, c’est un génocide », affirmait-il en novembre dernier, soit même avant les massacres perpétrés en décembre dernier. De même que l’ONU avait déjà tiré la sonnette d’alarme le 10 novembre en s’alarmant d’une situation encore pire que celle qui a précédé le génocide rwandais. Encore plus grave, le jeudi 12 novembre 2015, une résolution avait été adoptée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies à l’unanimité dans l’optique de renforcer la « présence » de l’ONU au Burundi. Cependant, à Bujumbura, le gouvernement s’était dit étonné et avait dénoncé les velléités d’ingérence des Nations Unies, affirmant sa volonté de traiter la crise au niveau national. Malgré les appels répétés du président rwandais Paul Kagame et des institutions régionales ou internationales, on se dirige actuellement et fatalement vers un point de non-retour.

Environ 230 000 personnes ont fui le pays depuis avril dans un climat social très tendu, en particulier à destination du Rwanda. A l’échelle régionale comme internationale, la situation se dégrade également puisque l’Union africaine a récemment déclaré réticence à envoyer des troupes au Burundi en raison du désaccord avec Nkurunziza, qui considère l’UA comme une « force d’invasion et d’occupation ». De plus, de nombreux bailleurs de fonds du Burundi, tels que l’Union Européenne, ont décidé d’appliquer des sanctions économiques, alors que 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. A cela s’ajoute l’arrestation des deux reporters du journal Le Monde qui enquêtaient sur les évènements du 11 décembre ; ils ont été libérés un jour après, après de nombreuses pressions de la communauté internationale.

Kanyosha, dans la banlieue de Bujumbura la capitale, le 10 Janvier 2016. Cet homme livre un cercueil. GRIFF TAPPER/AFP PHOTO

Kanyosha, dans la banlieue de Bujumbura la capitale, le 10 Janvier 2016. Cet homme livre un cercueil. GRIFF TAPPER/AFP PHOTO

Une répétition de l’Histoire ?

Le Burundi semble alors se diriger vers un nouveau génocide dans une région déjà meurtrie, à moins que le Président Nkurunziza ne se décide rapidement à collaborer avec les instances régionales et internationales. On assiste ainsi actuellement à un effondrement du système de quotas imposés au Parlement depuis les accords d’Arusha, et ainsi à un renouvellement de la question ethnique. Si ce système de discrimination positive n’existe pas au Rwanda, on trouve tout de même de nombreuses similitudes avec la situation rwandaise il y a plus de 20 ans, comme le remarquait gravement l’ONU en novembre.

Notamment, et ce qui est d’autant plus alarmant, on retrouve dans la bouche du président du Sénat Reverien Ndirukiyo des termes qui ne sont pas sans rappeler le mot d’ordre adressé aux miliciens qui a amené le déclenchement du génocide rwandais. Alors qu’il parlait à des « chefs de quartiers », il leur avait annoncé qu’ils verraient la différence le jour où on leur dirait « travaillez ! ». Or le mot « travail » avait bien été utilisé pour désigner les massacres commis il y a de cela 20 ans.

« L’histoire ne se répète pas, mais elle rime », disait Mark Twain. Tristement, pourrions-nous rajouter.

Diplômé de Sciences Po Toulouse. Adepte des phrases sans fin, passionné par la géopolitique et la justice transitionnelle, avec un petit faible pour l'Amérique latine. J'aime autant le sport que la politique et le café que la bière. paul@maze.fr

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