Une guitare éclairée d’un halo de lumière dans la pénombre générale. Puis une note, puis une autre, des mains et un visage qui se dessinent succinctement. Une présentation dans les règles de l’art de la guitariste Caroline Planté. D’emblée, les bases sont jetées, La Otra Orilla, compagnie montréalaise, ne nous présentera pas qu’un spectacle de danse, mais une représentation plus complète alliant à un flamenco moderne, chant, percussion et guitare.
Après la guitare c’est au corps d’entrer en scène. Par un jeu de pied d’abord, l’entièreté de la silhouette de Myriam Allard étant dérobée à notre regard par la mise en scène. S’ensuit un solo à couper le souffle. Parce qu’il faut dire ce qu’il en est, la danseuse a le charisme de celles qui pratiquent les danses de caractère, en rompant pourtant avec un certain côté traditionnel, de part sa tenue vestimentaire inscrite dans l’ère de notre temps.
Le même jeu de pied se répète alors trois fois au long de cette heure dix, envolée en un coup de talon. Tout en progression, la première fois est marchée, tandis que la troisième fois est dansée.
Suite à la beauté et la puissance des mouvements, une autre arrivée se fait. Toujours présentée dans l’unicité du talent, et donc mettant la lumière sur un être seul face à nous. Hedi Graja nous fait ainsi part de sa puissance vocale, et des vives émotions que sa voix exprime, avant de nous emmener vers la première scène commune à laquelle se joint Miguel Medina. Quel est cet étrange personnage ? Le suspens est là.
De cette séquence ressort la quête d’attention. Entre guitare et danse, les deux hommes hésitent. Telle une allégorie de notre sort sociétal aujourd’hui, ils semblent être dans une quête naturelle du spectaculaire, de l’extraordinaire. Ils oscillent alors entre les mains et les sonorités dégagées par la guitariste, et la posture, la carrure et les rythmes se dégageant des pieds de la danseuse. Leur capacité de concentration ne dure que peu de temps et se fixe inlassablement d’un élément à l’autre. Un constat prédomine alors, sur ce fragile écosystème la cohabitation est incertaine, tout comme la nature des relations entretenues.
En un claquement de doigt, la recherche du regard de l’autre s’estompe et laisse place à un grand moment d’harmonie. Le flamenco transporté de Myriam Allard œuvre alors au même titre que les percussions dans la partition musicale, à laquelle s’applique chacun des trois autres musiciens. La notion de corps comme instrument prend alors toute sa dimension. Tout réside dans le geste, créateur de son, tout autant que dans l’idée d’un mouvement complété par chaque individualité. De tout cela naît un sentiment de communion voire de fusion qui tire sa magie de sa nature éphémère.
D’un seul coup l’équilibre est rompu. Comment ? On ne sait trop. Et c’est à ce moment là, que Miguel Medina se présente dans toute sa grandeur. Un retour sur scène mettant le sourire aux lèvres, puisqu’il revient une batterie à la main. Dès lors, les sons recommencent à s’enchaîner, l’ensemble de la troupe reprend place sur scène, mais cette fois, tous semblent suivre leur chemin ne tenant pas nécessairement compte de leur prochain. La notion de solitude nous apparaît plus forte que jamais. Être seul quand personne n’est avec nous découle d’une suite logique, cependant, c’est parfois au sein d’une masse que l’on se sent vraiment esseulé, déconnecté et en décalage.
Le regard scotché et l’oreille curieuse, le tout se déguste pourtant avec autant d’avidité. La danseuse impressionne de par sa technique, son aura et sa décomposition du flamenco, et le percussionniste de par sa maîtrise de son instrument.
Face à cette force, le texte lu par Hedi Graja intéresse aussi le spectateur de par le contraste qu’il apporte et sa discrétion sonore. Sitôt que l’on perçoit quelques bribes, que la guitariste, Caroline Planté, semblant être habillée en Alice au pays des merveilles se heurte à lui. Comme si ce microcosme ne se comprenait plus et évoluait dans un décalage grandissant, accru par la répétition de la situation.
Le salut de la troupe, arrivé bien trop tôt, nous laisse ébahis, tentant de synthétiser l’ampleur des informations reçues en ce laps de temps restreint. Seule certitude, l’œuvre a dépassé la hauteur de nos attentes, tant par sa scénographie efficace et sobre, que par la mise en scène de tous les artistes et leur rôle actif dans la démonstration des possibilités d’un corps. Dès lors, les limites entre danse et musique nous paraissent encore plus fines, et le rapport aux autres toujours aussi complexe. De la danse de couple finale, on réalise la multiplicité des sentiments liés à notre place en société. Amour, haine, solitude, communion, colère, joie, autant d’émotions que la Otra Orilla aura réussi à nous transmettre avec Moi&LesAutres. Que faire sinon en redemander !
La compagnie Montréalaise jouait du 27 janvier dernier au 6 février Place des Arts à Montréal.