SOCIÉTÉ

La difficile vie des ultras

« Le spectateur vient au stade voir un spectacle, l’ultra vient y participer. » Cette phrase fait référence dans le milieu des ultras. Ces passionnés, amoureux de leur sport mais surtout de leur club, vivent cependant des années difficiles. Confondu le plus souvent à du hooliganisme, ce fanatisme n’est plus le bienvenue dans les stades en France. Le football n’est pas le seul sport concerné. Le hand, le basket ou le hockey sur glace sont aussi touchés par le mouvement ultra. Comment l’ultra est devenu indésirable dans les tribunes ? 

C’est en Croatie et en Italie que les premiers groupes de supporters ultras se sont créés dans les années 1950. Ces premières associations ont posé les fondations du mouvement en Europe dans des clubs comme l’Hajduk Split, le Torino, l’Inter Milan ou la Lazio de Rome. Ces groupes animent les matchs de leur club de cœur avec des chants ou des tifos, c’est à dire des animations visuelles dans les tribunes. Les tifosis ont imaginé cette pratique à la fin des années 60 : de grands drapeaux ou des feuilles de papier colorées que les supporters tendent au dessus de leur tête formant une mosaïque dans les tribunes. Les membres des groupes ultras se regroupent le plus souvent dans les virages du stade, derrière une bâche où le nom du groupe est inscrit.

En France, l’implantation du mouvement est plus tardive. C’est dans les années 1980 que les premiers groupes se forment à Marseille, puis à Nice, Paris, Lyon, Bordeaux et dans toutes les grandes villes de football. L’histoire du mouvement ultra français est marqué par la violence de certains de leurs membres. En effet dans les années 2000, malgré un soutien mutuel pour le Paris Saint-Germain, des groupes de supporters du club entretiennent une véritable rivalité. Le 28 février 2010, Yann Lorence, un supporter parisien est lynché par des membres de la tribune Auteuil, fanatiques eux aussi du club de la capitale, lors d’une bagarre impliquant plusieurs centaines de personnes. Ces problèmes internes de hooliganisme provoquent la mise en place en mai 2010 du plan Leproux, du nom du président du PSG de l’époque, Robin Leproux. Des mesures radicales sont fixées : la suppression des groupes Kop of Boulogne et Virage Auteuil est actée tandis que le placement aléatoire dans les virages devient la norme. Des centaines d’interdictions de stade (IDS) sont prononcées dans le même temps. Ce plan marque le début de la répression au sein des ultras.

Des ultras au Parc des Princes : un temps révolu ?
Des ultras au Parc des Princes : un temps révolu ?

Une répression puissante à partir de 2011

La loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) promulguée le 14 mars 2011 permet un renforcement des sanctions suite à des violences dans et autour d’infrastructures sportives. Cette loi fait écho au décès du supporter parisien quelques mois plus tôt. Le ministre de l’Intérieur possède désormais la possibilité d’interdire le déplacement d’un individu ou d’un groupe de supporters, « dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public ». Une autre mesure allonge la durée de l’interdiction administrative de stade (IAS), c’est à dire sans décision d’un juge, de six à douze mois voire deux ans en cas de récidive. Cependant, des associations s’insurgent face à cette décision alors que des interdictions judiciaire de stade peuvent être prononcés d’une durée maximale de cinq ans. Parmi elles, l’association de défense et d’assistance juridique des intérêts des supporters (ADAJIS) dénonce encore aujourd’hui ces IAS. « Nous défendons les droits des supporters puisqu’un vrai sentiment d’injustice est palpable, explique James, porte parole de l’association. Si un supporter fait une bêtise, est jugé et est condamné, on l’accepte. C’est la justice. Cependant, actuellement, il y a une absence de justice. Dans les interdictions de stade il y a deux volets : les interdictions de stade judiciaires et administratives. Pour les IAS c’est les préfets qui les appliquent. Les supporters concernés sont présumés coupables, ils ne passent pas devant un tribunal. S’ils veulent faire annuler cette décision, ils doivent lancer une procédure. Mais les tribunaux sont totalement engorgés et la peine d’interdiction de stade est souvent purgé le temps de l’instruction. » L’ADAJIS déplore ces mesures mais souligne également l’extrême répression subit par les supporters. « Ils ne peuvent pas vivre leur passion. Même avec un billet, on leur interdit l’entrée au stade, comme à Toulouse le 16 janvier pour les fans du PSG. Les décideurs font un peu ce qu’ils veulent, en dehors du cadre de la loi. » accuse James.

L’Etat d’urgence, avec l’Euro qui se profile

Après les attentats du 13 novembre, le Président François Hollande a annoncé la mise en place de l’Etat d’urgence. Des répercussions sont à noter dans les tribunes des stades français : à partir des attentats et jusqu’à la trêve hivernale fin décembre, tous les déplacements de supporters étaient interdits. Cet arrêté était justifié par le manque de forces de l’ordre pour assurer la sécurité du déplacement, réquisitionnés dans le cadre du plan vigipirate et lors de l’organisation de la COP21. Les ultras Français s’étaient montrés compréhensifs et avaient affiché leur soutien. Cependant, malgré la fin de cette mesure, les interdictions de déplacements de supporters se multiplient sur l’ordre des préfets. En effet, selon l’Association Nationale des supporters (ANS), créée en 2014, on a observé une hausse impressionnante de restrictions de déplacements des supporters. En effet, en 2011-2012 seulement trois restrictions avaient été décrétées contre 178 entre août 2015 et janvier 2016 ! « L’Etat d’urgence leur sert d’excuse pour limiter les déplacements de supporters », assure Pierre, président de l’ANS.

L’Euro de football débute le 10 juin prochain dans plusieurs villes en France et la gestion compliquée des ultras Français par les autorités amène à s’interroger sur la capacité d’accueil des spectateurs étrangers. « Le problème est qu’en France on a des difficultés pour gérer 150 personnes lors d’un déplacement, affirme James de l’ADAJIS. Mais lors de l’Euro ça va être différent. Il y aura des milliers de supporters qui circuleront sur le territoire, pas seulement dans les stades mais dans les centres villes par exemple. Dans les stades, les supporters sont plutôt bien contrôlés mais à l’extérieur il n’y a aucune organisation. On est en régression sur ce point. »

Des tribunes désespéramment vide, les interdictions de déplacement entraînent l'absence de supporteurs visiteurs comme ici lors de Bordeaux-Nantes.
Des tribunes désespéramment vide, les interdictions de déplacement entraînent l’absence de supporters visiteurs comme ici lors de Bordeaux-Nantes. Source : FC Nantes

L’afflux massif de supporters étrangers à l’été 2016 constitue un défi pour les organisateurs de l’événement. Les ultras venant de nations comme la Turquie, la Pologne, l’Albanie ou la Croatie sont connus pour leurs ferveurs lors d’une rencontre. Les heurts sont violents entre ultras dans ces pays avec des rivalités très fortes entre clubs. Une interrogation surgit sur leur présence sur le territoire français pendant plusieurs jours ou semaines. L’Etat va devoir gérer dans le même temps la menace terroriste et les risques de débordements avec les fans de football.

Des initiatives pour le futur ?

Afin d’améliorer le sort des fans dans le sport français, des discussions sont lancées entre les groupes de supporters ou leur représentants comme l’ANS et les instances du sport français. La Fédération Française de Football (FFF) et le secrétaire d’Etat aux sports, Thierry Braillard, ont une volonté commune avec les organisations de supporters de changer le modèle actuel. La priorité serait donnée à la prévention. Mais c’est du côté de la Ligue de Football Professionnel (LFP) et du ministère de l’Intérieur que le blocage semble intervenir. La place Beauvau voit d’un mauvais œil l’élargissement de la liberté des associations d’ultras. Du côté de la LFP, les tentatives de dialogues des associations de supporters n’ont obtenu aucune réponse.

L’ADAJIS souligne de son côté un exemple à suivre en matière de gestion de déplacement. Lors de la rencontre qui opposait Rennes au PSG en octobre 2015, le préfet d’Ille-et-Vilaine a travaillé à l’organisation du déplacement de 150 parisiens en coopération avec les supporters. Le regroupement des spectateurs visiteurs dans une partie du stade a été accepté à plusieurs conditions : les cortèges, les banderoles, les chants injurieux et les mégaphones étaient interdits. L’expérience est un succès puisque aucun incident n’est à déplorer. « C’est un exemple à suivre pour tout le monde », déclare James, porte-parole de l’association.
Pour l’ANS, qui regroupe une trentaine de groupes de supporters de différents clubs français, le but est également de créer un dialogue avec les instances. « On propose des débats. On a observé que des réunions se tenaient sur le thème des supporters sans la présence de représentants des principaux intéressés. On propose notre expérience pour améliorer la situation, » insiste Pierre. « Il y a une possibilité d’amélioration. Les interdictions sont mises en place par principe désormais. La répression se radicalise. »

Des CRS interviennent lors de la rencontre Marseille-Lyon suite à des incidents en tribune - REUTERS/Philippe Laurenson
Des CRS interviennent lors de la rencontre Marseille-Lyon suite à des incidents en tribune – REUTERS/Philippe Laurenson

Une nouvelle loi anti-hooligans qui scandalise

Parmi les lois que dénoncent les associations de groupes de supporters, on retrouve la proposition de Guillaume Larrivé (Les Républicains). Le député de l’Yonne propose le fichage légal des supporters de football. Ces fichiers seront tenus directement par les clubs. Ces derniers pourront interdire l’accès au stade à des supporters qui n’ont pas d’interdiction de stade qu’elle soit judiciaire ou administrative. « Les lois misent en place sont contre-productives. Elles ne sont pas tournées contre les hooligans mais contre les supporters actifs, les ultras. C’est totalement liberticide pour les fans de sport » proteste Pierre de l’ANS. « Des décisions ont été prises dans la précipitation à la suite du match Marseille-Lyon qui s’est déroulé le 20 septembre. Il n’y a pas eu d’échange. On a essayé de rencontrer les décideurs mais on a refusé nos demandes » , raconte le président de l’Association Nationale des supporters.

Si l’image des ultras est toujours attachée au hooliganisme, l’écart est grand entre les deux types de supporter. L’ultra agit pour son club en allant dans les tribunes ou en organisant des animations, tandis que le hooligan utilise son équipe comme prétexte pour être violent. Cependant, aujourd’hui, si les hooligans ont quasiment disparu des stades, les ultras sont beaucoup plus actifs dans la vie associative de leur ville. Pour So Foot, Nicolas Hourcade, co-auteur du Livre vert du supporterisme explique l’investissement des groupes de supporters en dehors des stades. « Porteuses d’identités locales, ces associations, de fait très attachées à leur ville, profitent de leur ancrage dans le stade pour tenter d’agir sur la vie sociale de leurs collectivités. Certaines organisent, à Noël, des collectes de jouets pour les enfants malades, d’autres mettent en place des collectes de denrées alimentaires en partenariat avec le Secours Populaire. » Le professeur à l’ENS de Lyon décrit le rôle des groupes d’ultras dans la création du lien social dans les quartiers : « Dans certaines villes où les associations font figure de véritables institutions, ses locaux peuvent se transformer en « maisons de quartier », dans le sens où elles attirent des jeunes qui viennent participer à la conception des animations plutôt que de rester désœuvrés ».

La gestion du cas des ultras dans le sport français soulève donc plusieurs questions. Si la France a construit ou rénové de nombreux stades dans l’optique de l’Euro 2016, il faut préparer l’après Euro. Les stades flambants neufs pourraient bien sonner creux avec des travées de moins en moins garnies. Les ultras organisent un deuxième divertissement, dans les tribunes, complémentaire avec le spectacle offert par les sportifs sur le terrain. Sans eux, c’est une partie du football professionnel qui est en difficulté. Mais c’est au niveau des droits individuels que les doutes sont les plus vifs. Avec ces multiples décisions prises par l’administration, la justice et les libertés fondamentales du supporter semblent en danger. Une solution doit venir des deux parties, avec une responsabilisation du mouvement ultra d’un côté et une confiance accordée par l’Etat aux groupes de supporters de l’autre.

Lors de OM-PSG en 2015, les ultras marseillais ont réussi à faire participer la totalité du stade à leur tifo.
Lors de OM-PSG en 2015, les ultras marseillais ont réussi à faire participer la totalité du stade à leur tifo. Source : OM officiel

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