CINÉMA

Star Wars, Episode VII : Where Is Luke ?

Après une campagne marketing dotée d’une force de frappe qui tient du jamais vu, Star Wars a envahi depuis peu les écrans de cinéma du monde entier avec Le Réveil de la force. Entre ceux qui l’acclament automatiquement et ceux qui vilipendent violemment, difficile d’établir un regard critique neutre et reposé. Pour tenter d’y parvenir, nous n’étions pas trop de deux pour confronter nos sentiments ressentis en plusieurs points et ainsi essayer d’y voir plus clair.

La production

Des scènes pleines d’esprit et de créativité

Le premier quart du film se passe sur la planète Jakku, où sont introduits Rey, nouvelle héroïne, BB-8, nouveau droïde au caractère attachant façon Wall-E (#Disney), et Finn, écrasé sur la planète au climat similaire à Tatooine malgré lui. Ces scènes sont les plus travaillées ; on passe d’un plan rapproché sur Rey mordant avidement dans sa nourriture à un plan large révélant son environnement immédiat, en l’occurrence un TB-TT renversé sur le flanc. On découvre dans le lointain les épaves de vaisseaux interstellaires de l’Empire, vestiges de la période de la trilogie classique, et clins d’œil à cette dernière. Les visuels sont dans l’ensemble bien pensés et bien réalisés, avec un bon dosage de technique et d’artistique. Les plans astucieux et pleins d’esprit se succéderont dans ce film, pour notre plus grand régal. Nous pourrions citer l’oiseau qui picore bêtement une pièce de métal, le pain qui gonfle et se forme à partir de poudre et d’eau, BB-8 qui roule à l’intérieur du Faucon Millenium emporté par les loopings de ce dernier, Chewie qui se moque d’Han, ou encore le Stormtrooper qui quitte la cellule de détention de Rey en lâchant son blaster comme elle lui dit de le faire, grâce à la puissance de la Force sur les esprits faibles. De toutes petites choses qui n’apportent rien à l’intrigue, mais qui donnent du caractère au film.

Star Wars: The Force Awakens Ph: Film Frame ©Lucasfilm 2015

Star Wars : The Force Awakens
Ph : Film Frame
©Lucasfilm 2015

Des acteurs remarquables

Le naturel et la spontanéité de Rey crèvent l’écran. Le rôle de l’héroïne est bien équilibré, elle n’est jamais dans l’apitoiement, jamais dans le pathos, pour autant on comprend le torrent d’émotions qui tournoie en elle. Elle est forte et indépendante, et cela ne l’empêche pas de souhaiter la compagnie et l’appui de son ami  Finn, et d’avoir peur. Elle est badass et féminine sans que cette féminité ne soit exacerbée ni abusée, sans tomber dans l’arrogance. Le dosage est subtil, l’actrice Daisy Ridley est remarquable.

Contrairement à Carrie Fisher (Leia) qui est juste là dans un coin de l’écran à plisser les yeux sans parvenir à convaincre, Harrison Ford tire également son épingle du jeu et ne laisse rien transparaître des difficultés qu’il a pu éprouver à retourner dans la peau de Han Solo à l’âge de 72 ans. Son charme, son aise et son mauvais caractère n’ont pas pris une ride.

Une bande originale qui laisse à désirer

John Williams est un compositeur de merveilles, il a apporté toute son âme à Star Wars avec le London Symphony Orchestra, avec au moins un morceau emblématique pour chaque épisode ; Duel of the fates pour l’épisode I, Accross the stars pour l’épisode II, Anakin vs. Obi-Wan pour l’épisode III, les incontournables Main Title et End Title de l’épisode IV, The Imperial March (Darth Vader’s theme) pour l’épisode V, et dans une moindre mesure peut-être, Victory Celebration de l’épisode VI, qui est le thème de clôture de la trilogie. Pour autant, pour ce septième opus, il est difficile de dégager un thème principal. La bande originale, n’étant pas foncièrement mauvaise, est insipide. Elle n’est pas mise en avant dans le film, et ce bien qu’on retrouve les thèmes classiques à des moments clé. Les bandes originales faisant partie intégrante de l’univers de Star Wars, c’est un grand regret que celle-ci n’ait pas été davantage travaillée, peut-être, ou qu’elle ne soit pas plus marquante.

Une mise en scène de télévision

L’expérience de J.J Abrams dans le domaine télévisé se fait ressentir au niveau de la mise en scène. Qu’on se le dise, aucun de ses précédents films (surtout Mission impossible 3 ou les Star Trek), bien qu’ils puissent être très efficaces, ne sont des films de cinéma, tout au plus des téléfilms de luxe. J.J Abrams se montre incapable d’influer une quelconque ampleur dramatique à sa mise en scène, qui reste définitivement plate. Même les moments à fort potentiel émotionnel restent à l’état d’embryon, faute d’un savoir-faire visuel pouvant les mettre en valeur. Prenez le plan dans lequel un Stormtrooper laisse une trace de sang sur le casque de Finn : cette image, qui devrait être déchirante, ne sort jamais de son cadre purement fonctionnel du point de vue narratif. Le duel final au sabre laser, en plus de souffrir d’une chorégraphie très pauvre, n’est jamais dynamisé par la mise en scène qui se contente de simples champ/contre-champ. Star Wars était initialement un conte pour enfants, et c’est ce à quoi nous avons affaire ici. On sourit ou rit facilement, mais il n’y a pas de drame. Il n’y a pas d’horreur ; même les scènes de guerre ou de mort sont aseptisées, sans une goutte de sang visible.

Deux films en un

Le premier est celui des nouveaux personnages Rey et Finn, qui recherchent Luke Skywalker. Mais au cours du film une nouvelle histoire débute, celle de Han Solo et la Résistance. Ces deux histoires méritent un film chacune pour être développées de manière satisfaisante. Mais une fois réunies, elles s’annulent automatiquement. En effet, dès l’apparition de  Han Solo, Rey, alors héroïne principale, est relayée au second plan et son arc narratif restera sur pause jusqu’à la fin. Aucun des personnages n’a le temps d’être développé et étoffé, tous sont écrits sommairement et on en reste là. On s’étonne par exemple que Han Solo soit exactement le même que celui au début de la trilogie originale, soit un petit trafiquant de l’espace comme si ces trente années n’avaient jamais eu lieu. On ne s’étonnera donc pas que devant le climax du film le concernant, aucune émotion réellement construite (et non pas celle que le spectateur projette) n’ait lieu, faute d’écriture solide. On ne s’étonnera également pas que le grand méchant soit totalement insipide car caractérisé à la va-vite. L’intrigue familiale qui gravite autour de lui n’est pas exploitée et est évoquée à travers un simple dialogue explicatif.

Un anti-héros bancal

La scène d’ouverture de ce septième opus de Star Wars a tout d’une réussite. Elle ménage le suspense, entretient le mystère qui plane autour de cet épisode depuis quelques années, les personnages ne manquent pas de prestance, les décors et costumes sont irréprochables ; le grand méchant arrive, il descend de son vaisseau stellaire à grands mouvements de cape noire, son masque lui donne une voix synthétique assez terrible – et un héros de la Résistance s’adresse à lui directement en lui tenant à peu près ce discours : « Bon, on fait quoi, vous parlez ou je parle ? J’ai  un peu du mal à savoir où vous regarder, avec le masque, là… » en ce qui paraît au début être une sorte de tentative maladroite des producteurs de présenter sous un jour plus détendu les personnages, mais qui s’avère à mon sens révéler à quel point le méchant (Kylo Ren) n’est pas pris au sérieux par ses ennemis. Il n’insuffle pas suffisamment la peur pour empêcher le sarcasme et la provocation.

Kylo Ren ©Lucasfilm

Cependant, dans la première moitié du film, les plans rapprochés sur son masque le rendent terrible : ils soulignent qu’on ignore tout de son identité, de son âge, peut-être même de son sexe. Pour autant, dès que ce mystère tombe et qu’il ôte son masque, toute la crainte qu’il pouvait inspirer s’écroule : il ressemble davantage à un adolescent perdu qui se cherche, qui a fugué loin de ses parents et qui fait des crises régulières parce qu’il ne maîtrise pas un seul instant ses émotions. Se voulant l’héritier de Dark Vador, il fait bien pâle comparaison et il ne reste sous nos yeux qu’une sorte d’Anakin Skywalker en promo, un adolescent colérique aux traits mal dégrossis. Par ailleurs, on se demandera longtemps pourquoi il a été décidé que cet aspirant Sith ait comme nom de naissance Ben. Ben, hommage à Obi-Wan « Ben » Kenobi, que seul Luke a vraiment connu dans la trilogie originale, et non les parents dudit aspirant Sith.

Une longue introduction aux épisodes suivants

Finalement cet épisode est une introduction, une contextualisation de près de 2h30 pour se débarrasser des personnages dont on n’a plus besoin et introduire les nouveaux – 2h20 de transition entre la trilogie originale et la nouvelle Postlogie. Bien qu’on ne s’ennuie pas et qu’on passe un très bon moment, c’est réellement ce dont il s’agit puisqu’il n’y a pas d’histoire en tant que telle. La République comme le Nouvel Ordre n’ont pas de rôle, la nouvelle « planète-étoile-de-la-mort-qui-fait-bobo », Starkiller, ne sert qu’à détruire une planète sans qu’il n’y ait d’émotion ni de conséquences, elle disparaît aussi vite qu’elle apparaît, en l’espace d’une poignée de minutes. Chaque scène est pensée en vase clos. Aucune d’entre elles ne trouvera de conséquence ou d’écho à un autre moment. Même la mort d’un personnage est à peine esquissée par la suite. On a la douce impression d’assister à un très long pilote de série télé. Toutes les cinq minutes, on doit réveiller le spectateur à coup de rebondissement ou d’explosion (Le Faucon Millenium se crashe sans que ce soit justifié narrativement) de peur qui aille zapper sur une autre chaîne, créant un rythme épileptique.

Durant tout l’épisode on cherche, on attend, on s’occupe en attendant, mais tout ça ne mène qu’à l’instant où on retrouve Luke Skywalker. Instant qui survient en même temps que les crédits finaux, façon subtile s’il en est d’indiquer qu’une suite est à attendre.

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BB-8, droïde phare de ce nouveau Star Wars. ©Lucasfilm

Et l’originalité ?

Une histoire largement inspirée

Nombre de livres, de jeux-vidéos, de dessins animés ont été produits au fil des années et composent ce qu’on nomme « l’Univers étendu ». Créé de façon morcelée mais cohérente, cet Univers étendu dresse une fresque s’étendant des années pendant, avant et après les épisodes I à VI. Disney s’en est largement inspiré pour le cœur de l’histoire, ainsi que pour l’aspect de Kylo Ren, curieusement semblable à Dark Revan, Seigneur Sith ayant existé près de 4000 ans avant l’Epiosde I. Si on ne peut s’empêcher d’être rassuré qu’ils n’aient pas tout piétiné impétueusement, on peut aisément froncer les sourcils en constatant qu’ils ont pris sans demander ni sans créditer ce qui les arrangeait, pour se le réapproprier à leur manière, peut-être de façon à avoir encore moins de choses à inventer.

Episode IV.2

Nous assistons à un renouveau de l’épisode IV, avec Rey dans le rôle de Luke Skywalker, perdue sur une planète désertique à vivre dans son coin jusqu’à ce qu’une rencontre avec un droïd (BB-8 au lieu de R2D2) ne la force à quitter la planète et rencontrer son destin de héros ; tandis que Luke Skywalker, dans le rôle d’Obi-Wan Kenobi, rongé par la culpabilité de son échec avec son apprenti (Kylo Ren à la place d’Anakin Skywalker) est parti se terrer en ermite, attendant que Rey, son Luke Skywalker, ne le retrouve. Il y a une impression de « on prend les mêmes et on recommence » qui nous colle à la peau, comme si pour faire un Star Wars il suffisait de suivre une recette de cuisine : « Prenez un individu lambda perdu, ajoutez-y 125 grammes de combat stellaire, 75 grammes de combat au sabre-laser, saupoudrez de 50 grammes d’amitié entre frères d’armes, délayez avec 70 centilitres de droïdes sympathiques et de Stormtroopers familiers, et faites revenir le tout avec 30 grammes de coiffures tirées par les cheveux. »

L’impression d’avoir oublié quelque chose

Tout au long du film on a la sensation d’assister à un check-up de tout ce que les producteurs pensent que les spectateurs veulent voir. On aligne alors les clins d’œil à la trilogie originale jusqu’à plus soif comme un moyen de se démarquer de la Prélogie, que l’on sait conspuée par les fans. A tel point que le nom d’Anakin Skywalker, personnage central de la Prélogie, n’est jamais prononcé. On fait allusion à lui par trois fois uniquement en tant que « père de », « grand-père de », ou « Vador ». Ces clins d’œil n’ont d’autre but que de faire du coude aux puristes pour les inciter à revenir. Oui mais peut-être que les producteurs si soucieux de leur public (ou de leur compte en banque) ont oublié un petit détail, à savoir ce pour quoi Star Wars est la saga cinématographique la plus connue de tous les temps : le dépaysement. A force de rappeler au public le bon vieux temps, de lui redonner le goût du doudou de leur enfance, le film oublie de proposer quelque chose de nouveau, quelque chose qui puisse réanimer notre imaginaire.

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©Lucasfilm

Après des débats interminables, Star Wars : le Réveil de la force est un film définitivement clivant, comme l’était lors de sa sortie La Menace fantôme. A moins que, comme pour ce dernier, une fois le temps écoulé et la pression du marketing retombée, le film soit réévalué à son désavantage. A vrai dire, cela n’a que peu d’importance puisque, encouragée par un succès au box-office prévisible (et soutenu par les médias du monde entier), la machine Disney s’est déjà mise en route. La stratégie établie pour Marvel se voit ici appliquée à l’identique. Entre suites directes à cet épisode VII et spin-off, cinq films nous attendent d’ores et déjà, tous les ans, jusqu’à 2020. En 1977, le premier volet était conçu comme un film d’auteur indépendant contre les produits industriels et formatés d’Hollywood. Désormais, il semblerait que l’on sache qui a gagné la guerre.

Article écrit par Nicolas Renaud et Christelle Perrin

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