DIIV est le projet de Zachary Cole Smith et de ses quatre amis, Devin Ruben Perez, Andrew Bailey, Ben Newman et Colin Caulfield. Basé à Brooklyn et signé sur Captured Tracks, Smith nous sort un album extraordinaire en 2012, Oshin. Victime de son succès inattendu, on ne peut même plus trouver le CD chez un disquaire. C’est après quatre ans d’attente que DIIV revient vers nous avec un nouvel album tant attendu : Is The Is Are. C’est à Paris que nous avons rencontré Cole, accompagné de son camarade Colin, venu défendre son dernier album traitant de la lutte contre la drogue, de son arrestation en 2013 avec sa compagne Sky Ferreira, et du fait d’être humain, tout simplement.
Quand avez-vous commencé à écrire et composer Is The Is Are ?
J’ai commencé à l’écrire en août 2012, quelques mois après que le premier album soit sorti, quand j’ai réalisé que j’étais vraiment un musicien et que je devais composer un autre album. Donc j’ai commencé quelques mois plus tard puis le reste c’était comme une montagne russe, je vivais ma vie de mon côté, c’était un processus très dispersé, selon les hauts et les bas de ces montagnes russes que sont ma vie.
Une grosse influence a été un album de Sonic Youth, Bad Moon Rising, c’était le seul album que j’avais envoyé à notre ingénieur, je lui ai dit « je veux que l’album ressemble à ça ». On avait parlé de quelques albums des Boo Radleys, qui ressemblent à un ampli dans une salle vide, et c’était par ça que je voulais commencer. Je voulais que l’album ressemble à un lieu, quelque chose de physique, plutôt que quelque chose de sur-produit, je voulais obtenir un son naturel et organique. Après il y a d’autres influences dans notre musique telles que le krautrock, qui est une grosse influence sur quelques sons, un peu de shoegaze aussi mais ça ne va pas plus loin que ça. On veut créer notre propre son avec les chansons qu’on a.
D’où vient le titre de votre album, Is The Is Are ?
Ça vient d’un poème d’un garçon français qui s’appelle Frederick Deming, il était dessinateur et j’aimais bien ses bandes dessinées, je trouvais qu’il avait une sensibilité amusante, donc je lui ai commandé cinquante poèmes, je lui ai donné cinq ou dix exemples de poèmes absurdes, qui semblaient avoir un sens vraiment profond, mais au final qui étaient dénués de sens. Je voulais qu’il y ait ce ressenti d’incompréhension, mais aussi enfantin, imparfait, humain… Je voulais montrer que je ne peux plus me cacher derrière une image, surtout après ce qu’il m’est arrivé, je voulais que, peu importe comment vous le lisiez, il y ait toujours un malentendu, que vous ne compreniez pas mes intentions… mais qu’en réalité ça n’ait pas de sens. Le poème en lui même a plus de sens, c’est vrai que hors contexte on est perdus, mais c’est mon intention. J’ai pris l’écriture de cet album tellement au sérieux que le titre et le visuel de l’album donnent un côté humoristique, pour dire qu’il ne faut pas se prendre trop au sérieux, ce titre a plusieurs idées derrière lui.
Quel est votre processus d’enregistrement ?
J’ai tout écrit sur une période de quatre ans, après on a été dans un hangar à Los Angeles donc on a commencé à mettre en pratique les idées que j’avais, et les combiner dans des chansons cohérentes. L’écriture de l’album était terminée en décembre 2014, et donc en janvier 2015 on est allés à Los Angeles, et en studio en mars, où on a passé environ une quinzaine de jours. C’était très méthodique, on a commencé par Ben et moi, lui était à la batterie et je faisais de la basse, il ne connaissait pas encore les chansons donc je devais lui crier des mots pour qu’il puisse les jouer. Mais on a tourné, Colin a joué la batterie sur une chanson, Colby sur quelques unes aussi, donc là le processus était différent mais celles où Ben a joué, donc quatorze sur dix-neuf au total, c’était moi à la basse, Ben à la batterie, et après j’enregistrais les guitares par dessus, c’était donc très méthodique, un peu comme sur le premier album. Je voulais donner l’impression que c’était un groupe qui jouait en scène, en réalité c’était vraiment pas ça… Mais c’était mon intention.
Pouvez-vous nous parler de l’art qui entoure votre album, car si j’ai bien compris il y a un visuel pour chaque chanson ?
Oui c’est ça. Le visuel de l’album a été fait par trois artistes ; j’ai commandé genre 100 peintures au total, notamment à deux artistes de Tokyo, Joji Nakamura, que j’ai connu à travers Chris Lux, qui a fait le visuel de notre réédition, et à travers Joji j’ai trouvé Hayato. Joji a fait les peintures blanches texturées, à la base je voulais que le visuel soit donc blanc texturé, mais ça ne convenait pas trop à l’album, donc j’ai superposé leurs œuvres les unes sur les autres… Je voulais qu’il y ait un ressenti innocent sur le visuel, quelque chose de très humain et fait main. Pour moi, le visuel est toujours une partie super importante de l’album, chaque album que je fais, je veux qu’il ait son monde à lui. Avec Oshin je voulais que le visuel soit très simple, presque emblématique, quelque chose de mystérieux derrière lequel le groupe pouvait se cacher ; tu as la couverture de l’album, cette image, puis la musique qui va avec, et puis donc le groupe et qui nous sommes vraiment, serait caché derrière tout ça. Mais ce luxe a disparu après que je me sois fait arrêter, ce n’était plus trop possible de me cacher derrière cette image, donc à la place je voulais quelque chose qui soit imparfait de nature, qui soit très humain, je voulais quelque chose qui se démarque, car je trouve que les circonstances derrière cet album sont assez uniques, ce n’est pas quelque chose qui arrive tous les jours donc j’ai su directement que cet album allait être très important pour moi, je voulais m’écarter de l’esthétique.
Comment pensiez vous que le monde réagirait à Oshin, et est-ce que ça a influencé la composition de Is The Is Are ?
Honnêtement, je n’avais aucune attente d’Oshin. C’est quelque chose qui est arrivé d’un coup, je ne me souviens même pas particulièrement l’avoir écrit, je sais que j’ai écrit la plupart des chansons en une journée… On a commencé à jouer des concerts, beaucoup à New York où on a commencé à buzzer, un peu, je crois ? Et puis je me suis dit que ça pourrait être quelque chose qui peut plaire aux gens, mais pas forcément quelque chose que beaucoup de monde entendrait… et j’étais agréablement surpris que l’album soit apprécié par quelques uns, ce qui est carrément cool… Mais évidemment il y a une différence entre faire le premier et second album… Pour ton premier album, les gens te donnent cinq secondes et se disent « ce groupe est nul » ou au contraire ah ce groupe est cool”, mais pour ton deuxième album, ils te donnent cinq minutes ; ils écouteront une, voire deux chansons en entier, ils sont prêts à te donner une chance, donc tu as plus de liberté, tu peux expérimenter un peu plus je pense. Mais pour celui ci, je devais faire face à ce que les gens pensaient de moi, après mon arrestation, il y avait beaucoup de négativité autour du groupe, donc je voulais être clair, ouvert et honnête avec moi même le plus possible. Je voulais juste leur faire comprendre que, je suis moi même, juste un être humain qui a fait de graves erreurs, les leur montrer, et leur montrer ce que j’ai enduré, histoire qu’ils compatissent un peu plus avec moi au lieu de décider qu’ils me haïssent ou veulent que je meurs.
Qu’est-ce que DIIV représente pour toi ? Tu dis souvent à la fin de tes publications sur les réseaux sociaux « Do you love me ? DIIV is the real me.”
C’est vrai ce que je dis, DIIV, c’est moi. C’est ma forme d’expression, et toutes les choses négatives qui me sont arrivées dans les trois dernières années, se filtrent à travers le groupe, et deviennent une partie de ce que nous sommes. Quand tu es musicien tu as beaucoup de chance, dans un métier quelconque s’il t’arrive un malheur c’est fichu, alors qu’il peut nous arriver quelque chose de destructif, sombre, et on a cette opportunité de pouvoir la transformer en quelque chose de créatif et productif. Donc pour moi DIIV est moi-même, résumé en quelque chose de plus créatif et productif.
A quelle chanson tenez-vous le plus dans les deux albums, et pourquoi ?
Colin : J’aime beaucoup la dernière chanson du nouvel album, Waste of Breath, il y a une certaine énergie dedans quand on la joue, même quand on était parti à Los Angeles jouer, elle avait déjà une grande qualité alors qu’elle n’était juste qu’une petite idée. C’est très cathartique pour moi, c’est très émouvant quand on la joue sur scène. Je trouve que ma relation avec les chansons est plus mystérieuse que la relation que Cole a avec, pour lui c’est plus réel, il écrit les chansons, il a cette relation avec les paroles, moi c’est plutôt ce que je ressens quand on les joue en live, donc oui pour moi ce serait Waste Of Breath, et Dust aussi ce sont les deux dernières chansons, je les aime beaucoup.
Cole : Dans Oshin, je préfere Earthboy et Home, ce sont deux chansons qui me tiennent vraiment à cœur. L chanson Oshin aussi… et sur Is The Is Are, Bent me tient à cœur parce qu’elle représente un bon ami, la chanson parle de beaucoup de gens, des gens du groupe, mon ami Roi, moi-même… Sur l’amitié et les différentes étapes de la dépendance à la drogue, que vous vivez ensemble, se mentir, faire semblant que tout va bien, essayer de se comprendre l’un et l’autre. Quand on était en studio pour l’enregistrer je ne pouvais pas la chanter, mais maintenant que c’est fait et que mon ami va mieux, c’est beaucoup plus facile, je suis content d’écouter cette chanson. Mais je pense que celle avec qui je connecte vraiment, c’est Blue Boredom, la chanson que j’ai enregistré avec Sky Ferreira, parce que je me sens si chanceux que ça ait marché entre nous, nous sommes en couple depuis si longtemps et puis on a enfin pu faire un morceau ensemble, je suis très heureux, je l’aime beaucoup.
Qu’est-ce que vous aimez le plus quand vous jouez sur scène ?
Colin : Il y a cette méditation, une qualité hypnotique, on en parle tout le temps, il y a une tonne de répétitions dans notre musique, qui est la plus grosse référence au krautrock, on nous compare beaucoup à ces groupes là très clairement du à ces répétitions de parties toutes simples, et quand on joue sur scène, il y a une énergie irrésistible entre nous, mais abstraite à la fois. Je ressens un sentiment très spécifique, une expérience unique quand je joue sur scène que je ne ressens jamais ailleurs. Pour moi c’est un tout, l’ensemble qui me plaît. On se perd sur scène.
Si vous pouviez travailler avec n’importe quel artiste, ce serait qui ?
Cole : Elliott Smith, direct.
Colin : Brian Eno ! Quoique non je n’ai pas envie de travailler avec Brian Eno.
Cole : John Cale !
Colin : John Cale serait carrément mieux ouais… Je ne pense pas que la musique qu’on ferait avec Brian Eno serait aussi productive.
Quelle est votre meilleure expérience en tournée ?
Colin : On vient de sortir de tournée en Amérique de Sud, c’est encore tout frais, mais on a joué à Santiago, et c’était un des meilleurs concerts qu’on ait fait.
Cole : On a aussi joué à Buenos Aires avec Wild Nothing, le public était fou et en transe c’était génial, ils slammaient pendant notre concert c’était dingue.
Colin : Et puis on n’avait jamais joué là bas donc les gens ne nous avaient jamais vu auparavant et il y avait une connexion entre nous tous, ce qui est rare car on joue beaucoup de festivals et ce n’est pas possible d’établir ce genre de relation avec le public lors de festivals. Tout est beaucoup plus grand et tout le public n’est pas là pour toi donc les petits concerts intimistes sont les meilleurs.
DIIV n’a toujours pas annoncé de dates françaises, mais sera à Londres le 18 mars. En attendant Is The Is Are, qui sortira le 5 février, vous pouvez écouter leur dernier single Under The Sun