CINÉMA

Les Saisons : épopée animalière

Après Le Peuple Migrateur, Océans et quelques autres documentaires, Jacques Perrin et son équipe présentent cette année leur nouveau film, Les Saisons, projet terrestre et européen de grande envergure. L’ambition est de retracer « 20 000 ans d’histoire au cœur du monde sauvage » et de présenter une épopée sensible et inédite relatant la longue et tumultueuse histoire commune qui lie l’homme aux animaux – à « nos cousins de planète » selon l’expression de Jacques Perrin.

Qu’il s’agisse de voler avec les oiseaux ou de nager avec les créatures marines, les films précédents nous dévoilaient toujours une partie méconnue de la nature ainsi que des espèces que seule une entreprise documentaire pouvait nous révéler. Qu’en est-il des forêts ? Elles nous paraissent plus familières, en tous cas moins bien mystérieuses que ces deux infinis que sont le ciel et l’océan. Comment alors renouveler notre regard sur cette nature aussi souvent filmée ? Et comment changer notre rapport avec les petits et grands êtres qui l’habitent ?

La clef de l’émotion pour conquérir le cœur des Hommes

Ce qui transparaît le mieux dans ce film c’est l’émotion qu’elle suscite chez le spectateur. Cette approche émotionnelle est clairement celle de Jacques Perrin, lui qui substitue volontiers aux commentaires explicatifs, un flot d’images toutes intenses et inédites. Dans Les Saisons, la puissance qui se dégage de la nature nous saisit, une puissance climatique d’abord (le film commence par nous montrer le réchauffement brutal de la planète) puis une puissance animale. Les nombreuses scènes de combats sont sur ce point tout à fait incroyables. Au début du film, celle des chevaux de Przewalski, par exemple, est aussi magnifique qu’effrayante. L’opérateur parvient à capter une telle énergie, avec une telle proximité que l’on croirait presque se retrouver au cœur d’un véritable duel avec de vrais protagonistes jouant leur rôle à la perfection au milieu de la forêt immense. D’ailleurs, loin de montrer une nature mignonette et attendrissante, le film propose de dévoiler au contraire une nature comme originellement sauvage et féroce.

D’autres images surprenantes peuvent épater un spectateur qui croyait déjà suffisamment connaître et avoir entendu le loup, le renard et la belette. Par exemple cet envol hallucinant du lucane (énorme coléoptère qui ne vole que trois jours par an). C’est grâce à un indéniable progrès technique que Jacques Perrin parvient à nous offrir ces images, mais également grâce au regard contemplatif que ce dernier porte sur la nature. Ce regard est d’ailleurs à la fois très sérieux et amusé, et c’est à peu près dans ces dispositions là que nous sommes invités à voir le film.

Mais à quoi ça sert au juste de nous montrer la nature ?

On ne peut réduire l’objectif du film à la simple transmission d’une émotion, car celle-ci doit nous amener, nous autres, êtres goudronnés, à une prise de conscience. « Il faut faire une place dans la tête des hommes. » nous a dit Jacques Perrin, et de fait, si la première partie du film nous dévoile l’autonomie harmonieuse de la nature, la seconde, elle, montre l’irruption dévastatrice de l’homme qui la saccage et l’aménage à son gré. Le sourire que le spectateur arborait alors se transforme peu à peu en une grimace délictueuse.

©2015 Galatée Films - Pathé Production - France 2 Cinéma

©2015 Galatée Films – Pathé Production – France 2 Cinéma

Pourtant, le film n’est pas tant moralisateur que ça, et n’est pas non plus chargé de catastrophisme ; seulement il tend à communiquer un message clair aux hommes : arrêter donc de couper les arbres, redonner aux animaux les espaces dont ils ont besoin. Cependant, bien qu’il faille toujours avoir à l’esprit que la nature se meurt à cause de nous, le film invite davantage à une rencontre salutaire plutôt qu’à une flagellation inutile. A certains moments, le dialogue semble possible, il suffit pour s’en rendre compte de voir que les quelques champ contre-champ du film, donnent parfois l’impression que les animaux dialoguent et que nous pouvons peut-être nous aussi y prendre part. Le dialogue, comme la proximité, sont deux moyens de recréer une ‘‘intimité originelle’’ afin de rapprocher deux espèces séparées depuis trop longtemps. Aussi le film, à la fin, invite-il non seulement à une réconciliation homme-animaux, mais également à une réconciliation passé-présent.

Revenir aux origines par la fiction

Afin de raconter ses 20 000 ans d’histoire ‘‘commune’’, Jacques Perrin et son équipe ont décidé d’accorder une place plus importante aux hommes qu’ils ne l’avaient fait précédemment. Le recours à la fiction leur a semblé alors nécessaire pour montrer ceux-ci comme « facteur de changement » ainsi que pour raviver une sorte d’histoire de l’Humanité en parallèle à celle des animaux. Pour ma part, la démarche fictionnelle du film ne m’a pas du tout convaincue. Certes, il soutient l’ambition pédagogique du projet, mais l’artificialité qu’il entraîne (reconstitutions de huttes préhistoriques, de chasses à courre, etc) s’accompagne, et c’est fort dommage, d’un aspect un peu cheap pour ne pas dire ringard. Le film perd lors de ces moments (rares tout de même) un peu de sa fraîcheur et de son authenticité. Lorsque les hommes surgissaient à l’écran, bien que leurs visages ne fussent pas filmés ou alors très partiellement, j’eus l’impression d’être troublée dans ma contemplation et dans la relation intime que je nouais peu à peu avec les animaux. Encore maintenant je doute de la pertinence de cet artifice dont le film, selon moi, aurait très bien pu se passer. Est-ce bien nécessaire de voir l’homme pour comprendre que c’est lui qui a modifié la nature ainsi que pour imaginer la rencontre des animaux avec l’humain ? Je n’en suis pas si sûre et je pense que l’expérience émotionnelle que le film propose peut suffire à garantir cette médiation.

Les Saisons propose un voyage étonnant dans le temps et au cœur de la nature sauvage ; il interroge réellement notre rapport sensible aux animaux à l’heure des grandes négociations écologiques, comme celles de la COP21, et leurs nobles plans d’actions politiques. Jacques Perrin, lui, qui s’adresse au plus grand nombre, nous inviterait plus volontiers à nous promener dans les bois pendant que le loup est (encore) là pour enfin prendre la mesure de toute la richesse naturelle que nous devons préserver.

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