ART

Citizen Brut – L’utopie architecturale d’après guerre

« Quod visum perturbat » 

« Qui, lorsque observé, affecte les émotions. »

Le brutalisme ne cherche pas la beauté, pas plus le succès ou encore la popularité. Le brutalisme, c’est avant tout une vision, un projet, pour certains, un idéal. Ce qu’il veut créer, ce n’est pas une réaction a un concept abstrait, mais une réaction à l’objet lui-même, dans son tout, cela, incluant les Hommes et l’impact qu’ils ont sur lui.

Le Corbusier, par une de ses phrases a inspiré ce mouvement :

« L’architecture, c’est, avec des matériaux bruts, établir des rapports émouvants »

Ce lien avec les matériaux sera central dans la conception de ses bâtiments. Elle est aussi une des raisons pour lesquelles si peu de personnes savent reconnaitre un bâtiment de type brutaliste. Il est en effet bien facile d’appeler brutaliste tout édifice en béton un peu âgé. Reyner Banham, a dans un article de 1955 pour la Architectural Review formulé trois critères permettant de caractériser un bâtiment brutaliste :

« 1. Etre facilement mémorisable [visuellement]

2. Exposer la structure de manière claire

3. Mettre en valeur les matériaux bruts »

Il ajoute que

 « Il faut se souvenir qu’une image est ce qui affecte les émotions, que la structure, dans son sens le plus littéral, est la relation entre les parties et que les matériaux « tels quels » sont bruts »

Instagram de New Town Utopia

Le grand début de ce mouvement est inextricable de l’histoire politique européenne au sortir de la Première Guerre mondiale : à ce moment déjà, la recherche de l’individu nouveau est une préoccupation majeure des intellectuels. La république de Weimar, par ses valeurs de société collective, égalitaire et planifiée a constitué une piste en ce sens. De plus, les types de bâtisse que ce mouvement va concevoir sont parlants : logements sociaux, universités, bibliothèques, administrations ou encore musées, c’est vers des bâtiments utilisés par le plus grand nombre que se tournent les architectes brutalistes.

Il faut aussi noter que ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le brutalisme a vraiment pris forme. Au Royaume Uni, ce fut celle des New Town. Ces villes, pensées pour désengorger les grandes métropoles du pays et particulièrement Londres, furent conçues, planifiées et surtout financées par l’État. Ambitieux par son étendue, ce projet a connu trois vagues de planification avant de cesser. Il a fait suite à divers autres plans d’urbanisme comme les Garden City issues d’un mouvement éponyme dont l’héritage existe toujours aujourd’hui avec les Green Belt, ces « ceintures vertes » autour de villes comme Londres. On en retrouve aussi en France, notamment à Rennes ou à Paris.

Tous les projets modernistes et a fortiori les projets du mouvement « béton brut » ne firent pas le consensus : lors du projet d’extension de la National Gallery de Londres, la célèbre firme associant trois grands noms du Brutalisme : Ahrends, Burton et Koralek, l’agence ABK Architects, gagnante de l’appel d’offre vu son projet enterré. Le Prince de Galles, avec la subtilité qu’on lui connaît, le compara en effet à « un monstrueux furoncle sur le visage d’un ami cher ». Cette critique coupa court au projet, mais aussi et surtout, dans le même temps brisera l’hégémonie architecturale du moderniste au Royaume-Uni. ABK ne se remettre jamais vraiment de cette défaite. Certaines de ses œuvres comme la bibliothèque Berkeley du Trinity College de Dublin resteront cependant dans les annales. On peut ajouter au nom de ABK un autre nom, celui du couple Smithson qui joura aussi un grand rôle dans cet univers architectural avec des projets comme le Lycée Smithdon ou Husdanton qui est un des bâtiments muthiques de l’époque.

Berkeley Library, Trinity College, Dublin / Photographs by John Donat, Walter Rawlings and Antoine Raffoul

Plus récemment, Christopher Ian Smith via son film New Town Utopia, qui va prochainement sortir, s’est interrogé sur l’impact de ce concept avec le cas de la ville de Basildon :

« Que se passe-t-il si l’on construit une utopie ? »

Cette question, à laquelle tente de répondre le film peut aussi se poser dans notre pays avec les cités radieuses de Le Corbusier.

Basildon, Compté de Essex, 107 000 Habitants.

Particularité : Plus importante des New Town de la première vague.

Cette ville, aujourd’hui similaire a toute autre au Royaume Uni a pendant longtemps été pionnière dans le domaine de l’architecture et de l’art. Héritière du radicalisme de l’urbanisme britannique, elle est un témoignage de cette volonté du gouvernement anglais de régler le problème de la surpopulation tout en portant un ambitieux projet. Celui-ci visait à la création d’un individu et d’une société nouvelle, digne et affranchie des contraintes créées par la vie moderne. Cet individu serait civique, mais aussi lettré et intéressé par l’art. La vie artistique de la ville pendant plusieurs années témoigne de la réussite, dans un premier temps, de ce projet. Cette belle histoire se finit cependant en tragédie avec une cité aujourd’hui plongée dans la pauvreté qui a perdu ses artistes et son âme. Le film tente de nuancer cette image en montrant la résistance des habitants face à cette fatalité et ceux d’entre eux qui se rebellent par la création.

Le modernisme britannique, et le brutalisme avec lui c’est avant tout l’histoire d’une magnifique éclosion, mais aussi d’une flétrissure immédiate. Car c’est à son apogée dans les années 70 que le mouvement a connu sa brutale chute dont il ne s’est jamais remis.

Assez ironiquement, cet architecture, symbole de l’après-guerre est tout comme les idées qu’elle véhicule aujourd’hui méprisée par la majorité de la population : John Hayes, Ministre britannique des transports a ainsi déclaré sa volonté de faire disparaitre les bâtiments brutalistes car « ils n’ont aucun intérêt esthétique pour la simple et bonne raison qu’ils sont laids ».

Instagram de New Town Utopia

Tout ne semble cependant pas perdu : La cité radieuse de Marseille ainsi que la Weiße Stadt de Berlin sont récemment devenus des sites « UNESCO ». Ce n’est pas tout, la gentrification permet la préservation de certaines unités d’habitation, notamment à Londres. On note cependat l’injuste éviction de résidents historiques de ces résidences en lien avec cette « hipsterisation ». Plus généralement, un certain regain d’attention s’est opéré vis à vis du mouvement et de ses œuvres ces dernières années.

Par sa vision, les concepts qu’il a proposé, le brutalisme a été une partie intégrante de la nouvelle société de l’après-guerre : plus juste, plus collective, mais aussi plus encadrée. Le retour d’un certain intérêt pour celui-ci ne peut empêcher de s’interroger, face aux évolutions récentes de la vision que l’on offre aux citoyens de la société de demain. Que voulons-nous vraiment pour notre avenir ?

Souhaitons-nous vivre cette vie collective, communautaire même, ce n’est pas un gros mot, ou bien devrions-nous diviser les citoyens. Voulons-nous vraiment créer un monde à deux vitesses, où l’on est riche ou pauvre, éduqué ou illettré, intégré ou marginalisé, dans le bon groupe, ou dans le mauvais ?

En conclusion de cet article, je ne peux m’empêcher de reprendre la question que pose New Town Utopia car elle est d’une pertinence incroyable par rapport aux enjeux de l’année à venir :

Est-ce l’Homme qui crée son environnement, ou l’environnement qui crée les Hommes ?

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