Quentin Tarantino a su faire le consensus entre cinéphiles et non-cinéphiles, il est probablement l’un des cinéastes contemporains qui parvient le mieux à offrir à chacun de quoi passer un bon moment. Pour son huitième film, cette réputation était déjà largement établie et elle implique, à mon avis, une certaine responsabilité de sa part : celle de se soucier du message que fait passer son film à tant de personnes et de ne pas les décevoir. Pour ma part, c’est raté.
Les Huit Salopards… Les images de la bande-annonce avaient déjà quelques airs de Django Unchained, un homme noir contre toute une bande de blancs légèrement racistes, des femmes de caractère mais qui restent relativement sagement à leur place, il y a comme un manque de renouveau. Même la fin du film paraît être une version western de Reservoir Dogs, Tarantino est-il devenu suffisamment vieux pour faire un film qui semble avoir les yeux tourné vers sa propre filmographie ?
Le sensationnel n’est plus à la hauteur…
Le film est loin d’être entièrement à jeter, on y trouve de très belles images (même si l’utilisation du 70 mm que l’on nous avait tant vanté ne se fait pas vraiment ressentir), des séquences très réussies (toute la dernière demi-heure sauve le film en se détachant d’une première partie longue et peu rythmée) ou encore quelques clins d’œil subtils à l’histoire du Western (personne n’irait remettre en cause la cinéphilie de Tarantino, loin de là). Cela dit, les longueurs se font parfois terriblement sentir et on a l’impression d’être face à une mauvaise adaptation d’un très bon roman. Une bonne quarantaine de minutes aurait pu être retirée du film sans lui faire beaucoup de mal, d’ailleurs, ces quarante minutes de trop sont peut-être celles où les personnages répètent chacune de leur phrase deux, voire trois fois, pour les rendre plus épiques, ou comiques qu’elles ne le sont. La première heure et demie a un aspect théâtral non-assumé, les dialogues sont assez lourds et cette première partie paraît longue sachant qu’elle a pour seul but d’introduire les personnages avant de les faire s’entretuer dans la mercerie… Même la bande originale est loin d’être à la hauteur de ce à quoi nous avait habitué Tarantino, Pulp Fiction est probablement la principale raison pour laquelle on aime tant Son of a Preacher Man, c’était assez gênant de quitter la salle sans rien avoir d’accrocheur à fredonner. Alors que reste-t-il ? Rire du ridicule des dialogues passés au ralenti ? Jouir des cervelles explosées ? Idolâtrer les gros plans de Samuel L. Jackson ?

© The Weinstein Company
Des problèmes éthiques
Mais ce n’est pas forcément que le film apparaisse comme une compilation de références et d’éléments spécifiques à Tarantino faite pour satisfaire ceux qui étaient déjà conquis par son cinéma (même recette que le succès du dernier Star Wars sur ce point là) qui dérange le plus. Le film est problématique parce qu’il ferme entièrement les yeux sur le monde dans lequel il est actuellement diffusé : alors que la production cinématographique n’est pas à son apogée et que le monde manque quelque peu de douceur et de subtilité, Tarantino n’était-il pas le mieux placé pour apporter un peu d’espoir ? Au lieu de ça, on a un film qu’il faut apparemment prendre comme une grosse blague qui peine à nous faire rire… une abondance de propos racistes, l’habituelle violence gratuite et sadique, une image de la femme qui semble dater du temps de la chasse aux sorcières. D’ailleurs, Daisy Domergue est peut-être une femme de caractère mais elle n’a jamais d’autre rôle que celui de la femme pécheresse dont les hommes doivent se méfier, le plan final où elle est pendue au premier plan face aux visages souriants des deux hommes tiendrait presque d’un plaisir misogyne : que reste-t-il de la fantastique héroïne de Kill Bill ? Puis à l’heure de la paranoïa américaine sur la sécurité individuelle et d’un débat attristant sur les armes à feux, Les Huit Salopards semble être le parfait argument pour les pro-gun : « Regardez, nous vivons dans un monde où l’on ne peut faire confiance à personne tant qu’il n’a pas une balle entre les deux yeux. »

© The Weinstein Company
Le cinéma est en droit de se limiter au divertissement me direz-vous, et si ces quelques points n’ont pas empêché les adorateurs de Tarantino de passer un bon moment, tant mieux pour eux, mais j’ose espérer que le cinéma a mieux à faire à l’heure actuelle.