SOCIÉTÉ

Portrait d’un révolutionnaire exilé

En 1954, ils étaient neuf « fils de la Toussaint », neuf chefs avançant main dans la main pour retirer l’Algérie de sa tutelle française. Hocine Aït Ahmed était le dernier. Celui qui restera l’un des pères de l’indépendance algérienne s’est éteint le 23 décembre dernier. Affaibli depuis le début de l’année 2015, ce valeureux militant de la cause nationale a cependant laissé une trace indélébile dans l’histoire de son pays.

Aït Ahmed, infatigable opposant
 
Exilé et résistant, le fondateur du Front des Forces Socialistes incarnait les valeurs de la démocratie et luttait activement contre le système autoritaire algérien mis en place depuis l’indépendance, en 1962.« Ni État policier, ni République intégriste », tel était le crédo de cet inflexible opposant qui s’était exilé en Suisse, terre d’accueil des militants lors de la meurtrière guerre d’Algérie, quatre ans après avoir contribué à libérer son pays de la puissance coloniale française. Désormais et depuis le début des années 1990, l’Algérie est soumise à l’autorité d’un parti unique, le Front de Libération Nationale. C’est à ce moment que le combat d’Aït Ahmed s’intensifie, faisant de cet ex-leader socialiste un véritable combattant politique. Profondément respecté par le peuple algérien, l’annonce de sa disparition a résonné comme un coup de tonnerre à travers le pays.

Le combat d’une vie

Hocine Aït Ahmed a consacré plusieurs décennies de sa vie à cette guerre contre le pouvoir en place. Très attaché à la démocratie, il représente aujourd’hui une utopie pour des millions de maghrébins qui assistent, impuissants, aux excès d’un Daesh impitoyable. Décrétant huit jours de deuil national et élevant le gentilhomme au rang de héros révolutionnaire, Abdelaziz Bouteflika donnerait presque l’impression d’avoir perdu un ami de son parti. Pourtant, le kabyle n’aura cessé de se battre contre le régime du président actuel. Il l’affronta même lors des élections présidentielles de 1999 juste avant de se retirer, voyant sa défaite arriver comme on vit péniblement arriver jadis les accords d’Évian. C’est à la suite de ses accords qu’il commençait à se positionner pour la liberté. Trois ans après l’indépendance, il tentera d’instaurer un pluralisme politique en Algérie. Cela sera un cuisant échec, compte tenu de l’intervention inopinée de Houari Boumédiène. C’est à ce moment qu’Aït Ahmed s’exile en Suisse, terre de militants lors de la guerre d’Algérie. Convaincu que le système du pays n’était qu’une suite d’actes manqués pour le tirer vers le haut, que ce soit sur le plan économique, social ou politique, l’éternel militant se battait à distance. Le 30 décembre dernier, le diplomate s’envole vers la Kabylie, sa région natale, une première depuis de nombreuses années, mais la dernière pour l’éternité.

Un hommage émouvant

Il y a ceux qui grandissent grâce à l’histoire et il y a ceux qui font grandir l’histoire, qui changent son cours et qui laissent leur trace. Aït Ahmed fera toujours partie de cette dernière catégorie et le 1er janvier dernier, le peuple a prouvé que l’empreinte du militant restera gravée dans leurs mémoires. Alors que l’ambulance transportant le corps du défunt peinait à se frayer un chemin au milieu d’une véritable marée humaine, Aït Yahia connaissait un climat de ferveur.

Une foule immense assiste aux obsèques du défenseur de la liberté, Aït Ahmed - (c) AFP

Une foule immense assiste aux obsèques du défenseur de la liberté, Aït Ahmed – © AFP

Ce résistant avait choisi son petit village du Sud d’Alger, niché entre deux collines pour être enterré, dont les habitants reprendront en chœur, les slogans les plus frappants de son parti lors de ses obsèques. Si le premier ministre du pays, Abdelmallek Selal, a rapidement été exclu de l’hommage à coups de pierres, le cortège funèbre finira par avancer et à 14h30, Aït Ahmed est enterré.
Les neufs fils de la Toussaint ont tous tiré leur révérence ; une page de l’histoire se tourne.

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