CINÉMA

Le Pont des espions : La Guerre des mondes

Depuis la fin des années 90, la filmographie de Steven Spielberg a radicalement changé. Il tend à délaisser le cinéma tout public pour s’atteler à des films, même si toujours aussi divertissants, plus adultes. Que ce soit avec un petit robot, une attaque d’extraterrestres, ou une figure iconique de l’Histoire des Etats-Unis, le cinéaste semble établir des liens politiques avec notre époque. Et si son nouveau film, Le Pont des espions, dépassait le simple traitement de son contexte historique de la Guerre froide pour poser des questions plus contemporaines ?

Dans le dernier acte de Cheval de guerre une scène voyait deux soldats anglais et allemand collaborer pour libérer un cheval au milieu du no man’s land. Le dialogue qui en résultait renvoie directement au cœur de la deuxième partie du Pont des espions. Ici l’avocat d’assurance, joué par Tom Hanks, se retrouve face à un employé de l’URSS pour négocier l’échange entre les deux pays de prisonniers. Il est alors constataté que c’est le peuple qui subit en première ligne les agissements irresponsables de leurs gouvernements respectifs. C’est donc sur lui (et non sur les élites) que repose la seule chance de renouer le dialogue qui va pouvoir résoudre la situation. Steven Spielberg appelle alors  les citoyens à reprendre les choses en mains en renouant la communication entre les nations. Le film raconte donc la résolution d’une situation critique (l’échange entre deux nations ennemies) par un personnage qui va se battre contre les institutions américaines : la Justice et la CIA. On est effectivement bien loin de la caricature simpliste que sous-entend depuis des années la critique qui voit en Spielberg un véhicule de propagande pro-gouvernement américain.

Par ailleurs le scénario, écrit par les frères Coen, pointe du doigt la versatilité du peuple américain. Celui-ci préfère juger selon l’émotivité qui est suscitée par un événement, et non par rapport aux faits eux-mêmes. Alors que dans nos sociétés l’émotion fabriquée par les médias – ici il est mis en avant la propagande dans les écoles, la presse et la télévision – guide toutes nos réactions, le film nous pousse à nous réapproprier le jugement rationnel. D’ailleurs ce pragmatisme est incarné par le prisonnier soviétique qui ne cesse de répondre « would it help ? » à la question de savoir s’il a peur.

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© 2015 Twentieth Century Fox

Que ce soit avec Amistad, La Guerre des mondes ou Lincoln récemment, Steven Spielberg ne cesse de questionner l’identité américaine. Qu’est-ce qu’être américain ? Est-ce les élèves qui chantent de concert l’hymne américain face aux drapeaux (un plan qu’on croirait sorti d’une propagande et suivi ironiquement par une bombe nucléaire) ? Ou est-ce le citoyen qui revient à la Constitution comme fondement de la création des Etats-Unis, quitte à tenir tête au système ? Le film opère donc une remise en perspective des valeurs américaines. Le pilote américain a la physique typique des héros américain, va-t-en guerre et sur-héroïque, des anciens films de guerre de la jeunesse de Spielberg. Face à lui se trouve en totale opposition le personnage de Tom Hanks qui représente un héroïsme intellectuel, pragmatique. Deux visions de valeurs héroïques, l’une surannée et l’autre plus actuelle et plus que jamais nécessaire.

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© 2015 Twentieth Century Fox

Conforme à la vision classique du cinéma (proche de celle de Frank Capra), le sous-texte chez Spielberg n’est jamais asséné par les dialogues. Toutes les idées présentées sont véhiculées par les émotions passant par le biais de la mise en scène, à la fois sophistiquée et invisible, embellie par la photographie de Janusz Kaminski (déjà à l’œuvre sur notamment le Soldat Ryan, La Guerre des mondes, Minority Report ou Cheval de Guerre). L’efficacité immédiate du savoir-faire de Steven Spielberg se constate dans l’aisance par laquelle il parvient à nous faire identifier à l’étudient américain, visible en une poignée de plans seulement. Filmant en grande partie de scènes de dialogues, le cinéaste de 68 ans ne succombe jamais à la facilité des champ-contrechamps télévisés. Au contraire il les dynamise et les complexifie, comme avec ce jeu sur les travellings avant lors d’un échange, qui souligne le duel de persuasion que se livrent les deux personnages.

Plus il vieillit, plus Steven Spielberg se met en danger en sortant de sa zone de confort de Maître de l’Entertainment hollywoodien. Une chose est sûre, il n’est pas prêt à rendre les armes et c’est tant mieux, le meilleur de sa carrière est loin d’être derrière lui.

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