ART

Le Front National en guerre contre la culture

Le Front National s’est toujours opposé à l’art contemporain et à la culture en général. Quand Jean-Claude Philipot, conseiller municipal de Reims, publie sur son blog deux textes fustigeant l’art contemporain – « Un écrin pour de la merde » le 27 novembre 2014 et « Ils ne manquent pas de culot certains représentants de la gauche » le 2 décembre 2013 – il y décrit un art faussement intelligent, devant lequel les « bobos gauche caviar » s’extasient « pour faire branché ». Le président du groupe FN au Conseil Municipal de Reims se représente les FRAC comme des lieux où sont exposées des œuvres « pouvant être réalisées par un enfant de 5 ans, voire un animal ». Notons quand même qu’il y parle de « l’urinoir de Deschamp » (en voulant certainement parler de Fontaine, de Marcel Duchamp). Le message est clair. Mais à l’occasion des élections régionales, le Front National adopte un nouveau discours.

Le discours illusoire de Marine le Pen
Ce 1er décembre, Marine le Pen, candidate pour les régionales de 2015, publie sur son site une lettre ouverte aux artistes, dans laquelle « [elle] s’adresse directement à [eux] », les caressant dans le sens du poil. Elle y décrit son programme culturel pour la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie en cas de victoire. Accompagnée de Sébastien Chenu, qu’elle place au rang de Vice-président chargé de la culture, elle projette de construire de nombreuses « pépinières d’artistes », qui fonctionneraient comme des résidences, dans lesquelles seraient accueillis des créateurs contemporains « de tout âge » et de « tous domaines : sculpture, peinture, musique, artisanat… ». En plus d’être accueillis, ces artistes seraient soutenus, de la conceptualisation de leurs travaux à leur exposition « dans des lieux préstigieux comme le Grand Palais », le tout en étant logés et en disposant d’ateliers. Une opportunité pour les jeunes artistes ! Mais ce discours est faussé et faussement idéal, Marine le Pen ne s’en cache pas : « […] nous souhaitons rompre avec la logique actuelle des Fonds régionaux d’art contemporain […] ». L’art contemporain ne plairait-il pas aux dirigeants du FN ? Ce parti préfèrerait promouvoir des artistes régionaux et nationaux, ”les vrais artistes” en quelque sorte, les représentants du “beau et du bien fait”, allant dans le droit chemin de la pensée du parti et ne s’écartant pas vers un ”art dégénéré” et faussement intello. En résumé, le FN souhaite cadrer les artistes dans des lieux bien spécifiques – rappelant ainsi la logique de Platon qui ne savait que faire des artistes au sein de la société – tout en les contraignant à une ”création” vaine et culturellement pauvre. Attirer le milieu de la culture pour mieux le faire taire.

Des propos menaçants
Le 6 novembre, la Coordination Nationale des Enseignants et des Écoles d’Art envoie aux différents candidats aux élections régionales une lettre, demandant aux partis comment ils envisagent l’avenir des écoles d’art en cas de victoire. Le 25 novembre, Christophe Boudot, candidat FN pour la région Auvergne-Rhône-Alpes, donne sa réponse. Enfin… il énonce sa politique plutôt que de répondre aux questions de la CNEEA. « Nous voulons une culture de l’art et non une ”cul-ture” du ”canul-art”. » Toujours le même problème, le FN n’aime pas la création contemporaine, qui y voit une culture « élitaire » qui ne profite qu’à des « « artistes » médiocres », sortes de parasites de la société, profitant des impôts du peuple pour vivre, et nuisant à la reconnaissance des « vrais artistes ». Alors, M. Boudot, comment envisagez-vous l’art contemporain et son enseignement ? Il prône un art libéré des institutions contemporaines, pour mieux se concentrer sur son territoire, un art « de la culture populaire locale ». Une façon de faire auto-centrée, qui n’interrogerait en aucun cas les questions du monde contemporain. Et si, par malheur, les écoles ne correspondent pas aux critères du parti, elles se verraient « refuser le soutien [de la région] » en cas d’élection. Entendez que les écoles sont menacées de fermeture et de coupures budgétaires. Une aberration pour quelqu’un pour qui la « liberté artistique » compte.

Le discours du Font National a changé. Pourtant, le propos est à peu près le même : l’art contemporain doit être éradiqué pour laisser place à un art territorial, populaire, incarnant les valeurs du parti d’extrême droite. Cependant, ces intentions sont à moitié cachées, elles peuvent sembler aguicheuses. En parallèle, les dirigeants du FN profitent de l’opinion peu favorable à l’art contemporain pour rassembler de nombreux frustrés, utilisant une rhétorique populiste et pleine de clichés, rabaissant les artistes à des imposteurs. Face à de tels discours, à la promotion d’une telle médiocrité culturelle, il est important d’agir. De nombreux artistes et personnalités du monde de l’art se sont réunis pour signer une lettre-ouverte à Marine le Pen. Mais l’action doit également passer par les urnes, et c’est pourquoi il est important d’aller voter, pour ne pas laisser le pouvoir à ces détracteurs de la culture.

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