CINÉMA

Knight of cups, l’ode au sensible de Terrence Malick

Après Tree of Life en 2011 et A la Merveille en 2013, Terrence Terrence Malick revient avec Knight of Cups et poursuit sa quête pour atteindre son inaccessible étoile. Il nous plonge dans ses considérations métaphysiques, un mouvement plus radical et concret que jamais. En dépit d’un égocentrisme exacerbé, la poésie visuelle unique de Terrence Malick nous emporte dans un monde oscillant entre rêve et réalité, vérité et mensonge. Là où Knight of Cups diffère de ses prédécesseurs c’est par cet ancrage dans le présent, qui lui permet d’avoir une vision critique lui-même en tant qu’œuvre, de nous questionner en tant que spectateur et d’interroger le monde dans lequel on vit. Dans les profondeurs d’une métaphysique du mensonge.

Une métaphysique du quotidien.

Une voix off nous narre la parabole biblique du pèlerin en quête de la perle sacrée. Ce pèlerin c’est Rick (Christian Bale), scénariste en pleine crise existentielle, voguant sur les berges de sa conscience, bercé par les flots de sa mémoire. Il y rencontre la/les femme(s) de sa vie, revient sur sa relation avec son père et ses frères. Il est à la recherche d’une perle ; que ce soit la foi, l’amour tapi dans les profondeurs du désir dont l’aboutissement serait la nativité, ou enfin la mort, omniprésente.

Ce matériau métaphysique, donne lieu aux plans malickiens, cette nature infinie comme métaphore de la conscience et cette caméra légère comme la vie. Une fois de plus il nous présente sa vison radicale d’un cinéma-poésie. Des décors vides et symboliques, un montage tourbillonnant et un art de l’ellipse nous emporte dans un torrent de poésie. On comprend ce que Bresson voulait dire dans son fameux aphorisme : « Ne cours pas après la poésie. Elle pénètre toute seule par les jointures (ellipses) ». Mais la singularité de ce film, c’est son ancrage dans le prosaïque, le quotidien et l’autobiographique. En effet Terrence Malick se met en scène par ce scénariste perdu dans l’ennui. S’il nous avait habitué à développer une poétique particulière, on le connaît moins quand il s’immisce dans les méandres du capitalisme. Néanmoins à chaque instant de la narration, le plus banal soit-il, tout peut basculer et devenir une escapade poétique, un égarement vers une métaphysique du quotidien.

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Le « spectacteur » ; spectre de l’acteur comme spectateur.

Avec Weerasethakul, Terrence Malick est l’un des rares en 2015 à proposer un film contemplatif, à considérer le cinéma comme un art désintéressé. On prend conscience qu’on regarde une œuvre qui nous offre une distance réflexive. C’est beau au sens kantien. Mais ce jugement est schismatique car il y a une « distinction » entre le goût des esthètes et le goût populaire. Ce film est esthétique et hermétique ; il privilégie la beauté à la compréhension, ce qui conduit indubitablement à l’ennui. Dans une ennuyante incertitude, on oscille à tout moment entre le rêve et la réalité, on doute à tout moment.

Mais le doute et l’ennui dans lequel le spectateur est plongé est le même que celui qui englobe le personnage, son incertitude quant à la tangibilité du monde dans lequel il vit, monde du superficiel et de la représentation. C’est à ce niveau-la que le spectateur est aspiré dans le film ; l’identification se déploie dans l’incompréhension et la réticence face à ce qu’on voit. Car oui, le regard que Terrence Malick pose sur notre présent est traversé par le topos de la « société du spectacle ». Rick évolue dans le monde du cinéma. Tout est faux, c’est un film. Terrence Malick joue d’un va-et vient avec la réalité. Christian Bale ne cesse d’être Christian Bale évoluant dans un film Terrence Malick. Il déambule comme un spectre souriant qui revient sur sa vie, il regarde comme un spectateur ce qui est censé être son existence. Des voix off nous présentent une histoire dans laquelle ils sont les protagonistes. C’est un « spectacteur » : le spectre de l’acteur comme spectateur.

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Expérience submersive.

Ce film est un culte à la beauté. La beauté des corps et des décors. Chaque plan est un tableau ; le travail sur la lumière est mystique. Les femmes ne sont que des mannequins, des jeunes filles en fleurs dansant nues dans un bal érotique. C’est une œuvre sensitive qui fait appel à tous les sens. Terrence Malick use d’une richesse de média prodigieuse. Il prend plaisir à représenter toutes les formes artistiques, de l’art plastique à la danse en passant par le théâtre,  pour élever le cinéma au rang d’art total. Et, enfin, il ose travailler différents formats et supports d’images délaissant par moment ces plans à la plastique lisse et parfaite, pour s’intéresser à la rupture. Le spectateur est pris dans un mouvement de submersion et, comme le personnage, il va tenter de sortir des flots esthétiques de ses désirs. La caméra semble flotter dans l’eau, comme cette bande sonore hypnotique et répétitive. Par un travail remarquable sur le rythme et la rupture, Terrence Malick submerge et perd le spectateur d’une surabondance d’informations et de signes. Cette submersion rappelle celle dans laquelle Rick est plongé. Le film est ponctué de plans aquatique, marquée par un mouvement d’élévation, trouvant une finalité dans l’adéquation entre le corps et l’esprit. Une expérience submersive.

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