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De l’usage d’Instagram

L’usage que nous faisons quotidiennement des réseaux sociaux a été particulièrement passé au crible ces derniers temps… Dans l’immédiat des attentats, chacun, en découvrant son fil d’actualité sur Facebook, s’est interrogé sur la mise en scène – et donc en image – de ses émotions. Chacun de nos amis se montre profondément affecté, partageant un article sur le financement de Daech, se signalant « en sécurité » ou en accolant sur un sourire, encore ensoleillé par une tequila sirotée les pieds dans l’eau, le drapeau français. Alors quand on se connecte, on s’interroge : on est touchés, comme tout le monde. Cette mobilisation massive ne peut que nous entraîner à y prendre part, à afficher notre soutien.

C’est là qu’intervient le problème : comment ? On avale des articles par centaines, assoiffés par la volonté de comprendre, lequel choisir ? Il faut éviter un troll mal placé d’un « ami » presque oublié et ménager toutes les sensibilités. Bon, pas d’article, on évite soigneusement la polémique, surtout qu’on n’y connait pas grand-chose finalement…C’est décidé, on va se draper le profil de nos couleurs nationales. Fait. Quoique… En y réfléchissant, ça nous gêne un peu, que ce soit Facebook qui nous le propose. Ce drapeau, est-ce qu’il recouvre réellement toutes nos questions, nos angoisses ?

Décidément, pas évident de partager ce que l’on ressent réellement. Parce que nous sommes tous touchés, directement, dans notre quotidien. Contre la crispation ambiante à la première sirène qui retentit dans le silence, on décide de montrer combien la vie est belle, qu’elle continue. Armés de notre portable, on photographie un monument, une bouteille de vin ou l’amour. Et on partage, #prayforparis.

Nous tous, artistes potentiels

C’est ce que nous permet Instagram : ajouter notre pierre à l’édifice, notre petite contribution, notre création. Eh oui, une création. C’est une composition, un agencement de notre quotidien, une mise en scène à laquelle on ajoute filtres, saturation, orientation, nuances, touches de couleur, textes… Le potentiel de création de tout un chacun s’étend à l’infini. Chaque profil est un espace d’expression personnel, c’est notre fenêtre sur le monde.

Car contrairement au discours ambiant – vous savez, celui des générations précédentes, qui n’ont pas « grandi avec Internet » – tout n’est pas à jeter dans nos usages des réseaux sociaux. Instagram est une porte d’entrée dans des communautés mondialisées et aux intérêts les plus divers. A la manière de Pinterest, on suit des influenzers (un vrai métier) dans tous les domaines : « gastronomique » pour nous faire rêver devant notre plat de spaghettis, déco pour donner une seconde vie à notre mobilier Ikea (#inspinterior), mode pour bousculer notre dressing défraichi (la réussite incroyable de Betty Auttier ou de KenzaSMG) et bien sûr, sportif pour nous faire bondir de notre canapé.

De l’information à la publicité

C’est une mine d’informations et de motivations. Des tendances s’y dessinent, nous sollicitant à des causes éloignées de notre quotidien : une telle se laissera tenter par l’aventure vegan (comme FullyrawCristina ou Rawavana), un autre osera publier ses clichés plutôt talentueux (à l’image du goûter de Merys), deux autres entreront avec fracas dans la fitfam (les fameuses photos avant/après des méthodes Kayla Itsines, de Katrina et Karena de Toneitup ou de Tiboinshape au masculin). On se laisse tenter : on pourrait tout changer, manger mieux, bouger toujours plus, être plus heureux.

C’est un mantra publicitaire dont il faut se prévenir. La répétition d’hashtags (mots-clefs pardon), de reposts, de profils… a valeur d’incitations, jusqu’à l’addiction. On retombe invariablement sur l’impossibilité d’imiter au quotidien ses mentors. C’est un fait : on ne pourra jamais cuisiner vegan quatre heures par jour, lire deux bouquins entre notre séance de crossfit quotidien d’1h30 et notre cours de yoga.  Cet aveu de faiblesse implique que ce soit un métier à plein temps, incompatible avec la vie de Monsieur-Tout-le-Monde. Et quand ils se retrouvent au centre des critiques, ces influenzers sont les premiers à le souligner : derrière les profils, il y a des hommes. Cette nécessité de le rappeler démontre qu’ils diffusent une image faussée de la réalité. Leur construction constante et savamment agencée nous renvoie, comme un mauvais miroir, à une image faussée de nous-mêmes. Derrière chaque post, il y a, grande révélation, bien souvent des intentions commerciales.

Instagram, véritable entreprise

Car Instagram, c’est un métier : il s’agit concrètement de nous vendre du rêve. Un seul exemple : la vie de Jay Alvarrez et Alexis Ren, tous deux mannequins, est largement étalée sur leur deux profils, à coups de brûlantes enlaçades sur sable fin, sauts en hélicoptères au-dessus de lagons et rencontres avec des raies mantas en microbikinis. Grâce aux revenus issus du placement de produits, certains sont payés plusieurs milliers d’euros par photo. Netflix appelle « grammasters », ceux dont l’audience et donc l’influence est avérée par le nombre de followers, ceux dont les avantages sont démultipliés en voyages, fringues…Certains parviennent à gagner leur vie grâce à Instagram.

Toutes les marques sont présentes sur le réseau social et on suit tous une de leur page, fan de leur « univers », que ce soit dans la mode, le luxe, les nouvelles technologies… La récente polémique Essena O’Neill fait état de la mise en scène constante à laquelle s’astreignent les stars du réseau… pour finalement faire de l’autopromotion pour son blog. Cette jeune star tous réseaux confondus disait : « Je vais quitter Instagram, YouTube et Tumblr. Je viens de supprimer plus de 2000 photos qui ne servaient qu’à m’auto-promouvoir. Sans m’en rendre compte, j’ai passé la majeure partie de ma vie d’adolescente à être accro aux réseaux sociaux, et à être focalisée sur mon statut social et mon apparence physique ». Pour elle, « ils ne représentent pas la vraie vie, ils ne sont faits que d’images artificielles ». Avec plus de 300 millions d’utilisateurs actifs par mois, Instagram n’a pas échappé à la monétisation, les photos sponsorisées sont désormais directement insérées dans notre fil d’actualité. Racheté par Facebook, cette fusion est à même de nous proposer des contenus publicitaires encore plus ciblées.

Encore une fois, tout n’est pas à jeter avec Instagram, c’est un moyen pour les artistes de faire reconnaitre leur travail, de la manière la plus simple qu’il soit. Derrière une image, il y a tout une équipe qui travaille, les suit, les guide, les conseille, traquant l’évolution des trends, de likes… L’image reste le vecteur le plus efficace pour créer des émotions, à l’échelle la plus vaste. Une image publiée sur Instagram génère 60 fois plus d’engagement qu’un contenu posté sur Facebook, d’après le Mediateur.

Cessez donc de les idéaliser et de les envier, sachez vous en inspirer intelligemment. Tous vos ratés culinaires, votre dimanche à zoner en pyjama, vos partiels qui approchent à grand pas, votre vie un peu… banale finalement, c’est ça qui compte. Coupez votre téléphone, courrez prendre un verre de rouge en terrasse – ni healthy ni bio pour le coup – et profitez de la vraie vie, la vôtre.

Sudiste exilée à Paris, Mazienne #fromthebeginning. Droguée à l'actu, le plus souvent par seringue radiophonique.

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